Un conflit national, un enjeu TOTAL

mercredi 17 mars 2010
par  Charles Hoareau
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De l’action contre la fermeture du site de Dunkerque les habitant-e-s de France n’ont surtout eu comme information que les risques de pénurie qui risquaient d’en résulter.
Quand ce n’est pas la CGT qui était accusée de tous les maux pour - une fois n’est pas coutume - avoir arrêté la grève trop tôt….par les mêmes qui en son temps ont approuvé la loi qui a instauré l’interdiction des grèves de solidarité !
Pour mieux cacher le débat sur l’indépendance énergétique, la gestion des ressources de la planète et la nécessaire socialisation de l’outil de production que ce conflit met à jour ?

La partie visible de l’iceberg du conflit

Au départ, du moins de ce que nous en découvrons dans les médias grands publics, il y a la fermeture annoncée de l’usine de Dunkerque « pas assez rentable » selon le groupe TOTAL dont les profits sont pourtant confortables. 14 milliards d’euros en 2008, 8,5 milliards en 2009 : excusez du peu !
Si au vu de ces chiffres la mesure peut révolter, à première vue la logique semble irréfutable : baisse de la consommation d’essence, donc baisse du raffinage et donc baisse de l’emploi. Comme en plus la voiture ça pollue et les ressources en pétrole sont limitées l’argument parait imparable.
A première vue seulement.

Car le coup vient de loin et l’intérêt des populations qu’il s’agisse d’emploi ou d’environnement est bien loin des préoccupations de la direction du groupe TOTAL…mais en doutiez-vous ?

La partie cachée

Comme le rappelle la CGT, en mars 2009, donc au lendemain de la parution des chiffres de l’excédent 2008, la direction faisait « l’annonce d’un premier plan de restructuration dans le raffinage et la pétrochimie avec la destruction de 555 emplois. Aujourd’hui avec 8,5 de profit en 2009, TOTAL projette de fermer son activité de raffinage sur le site des Flandres, soit la destruction de 800 emplois (organiques et sous-traitants), de fermer ou de vendre six dépôts pétroliers en jetant comme des kleenex des centaines de salariés. ».
Et ce n’est pas tout. La direction annonce son intention de réduire d’ici à 2011, les capacités de raffinage de 25 millions de tonnes. Comme le dit la CGT « Ceci signifie clairement qu’en y intégrant la fermeture d’une distillation de Normandie et de Flandres, on peut s’attendre à une prochaine annonce de fermeture d’une à deux raffineries en Europe représentant conjointement 13,6 millions de tonnes. »

Dans une de ses déclarations la CGT conteste l’argumentation de surcapacité de raffinage développée par TOTAL et par la chambre patronale des industries pétrolières l’UFIP.

« En 2009 la chute de la demande pétrolière en France représente 2,8 %, soit -2,4 millions de tonnes : la raison purement conjoncturelle est due à la crise économique. Et contrairement à ce qu’ils annoncent, la demande est quasiment identique à celle de 2002 et de 2007.

Alors pourquoi réduire de 12 % les capacités de raffinage nationales représentant 20 % de celles du Groupe TOTAL en France, si ce n’est pour créer des déficits de production afin de faire remonter les cours des produits pétroliers ? »

La meilleure preuve de la justesse de l’analyse du syndicat, c’est que le ROACE (ou rentabilité des capitaux employés moyens) du raffinage était de 20 % en 2008, il est de 7 % en 2009. On est donc devant un cas classique de volonté de retrouver un taux de profit qui convienne au groupe…et l’intérêt des populations n’a rien à voir là-dedans.

L’intérêt sacrifié des populations

Au contraire il est même sacrifié sur l’autel du profit. Depuis des années la CGT alerte sur la non adaptation de l’outil de production à la demande intérieure française. Ce que le patronat reconnait en parlant de "vieil outil industriel" [1]En effet si le besoin en essence a baissé par contre celui en gas-oil n’a fait qu’augmenter avec la mise en circulation croissante de véhicules diésel au point que si la France exporte de l’essence elle importe du gas-oil. Pour corriger cela il aurait fallu que TOTAL fasse les investissements nécessaires…ce que le groupe a toujours refusé de faire.

Philippe Jérôme fait d’ailleurs observer dans l’Huma du 24 février 2010 « depuis 1973, la part du gazole est passée de moins de 30 % à 80 %, celle de l’essence suivant le mouvement inverse. Et s’agissant de gazole, la France est très déficitaire : un tiers de la consommation (10 à 12 millions de tonnes) est importé, principalement de Russie. »

Les investissements les pétroliers préfèrent les faire en Arabie Saoudite où TOTAL a construit une raffinerie d’une capacité de 400 000 barils/jour, en Inde où a été construite une des plus grandes raffineries du monde ou dans la région de Timimoune dans le sud Algérien où d’autres projets sont à l’étude. Là où comme le dit justement Philippe Jérôme « les obligations environnementales pèsent moins lourd…[obligations] qui ont fait baisser les marges sur le raffinage (de 23 euros en moyenne par tonne entre 1995 et 2008, à 15 euros en 2009). »

Pour faire bonne mesure, Schilansky le président de l’UFIP a annoncé une quinzaine de fermetures de raffineries en Europe et un cataclysme social dans le raffinage en cas de mise en place d’une taxe carbone et du maintien de plusieurs mesures françaises et européennes sur le C02, les PPRT (plans de prévention des risques technologiques), la modernisation de l’outil industriel…
Pardi pourquoi se gêner ? A polluer autant le faire dans des pays moins regardants…et on pourra alors accuser ces pays barbares de ne rien faire pour lutter contre les gaz à effet de serre…

L’autre raison bien sûr est celle de la valeur accordée à la force de travail. Dans la chimie, comme dans le textile ou l’automobile, mieux vaut faire travailler les salarié-e-s des pays au niveau de vie moins élevé que le nôtre.

Le résultat de ces choix si on les laisse faire ? Il est évident : du chômage en France et des pays producteurs pillés et pollués en contrepartie d’emplois locaux sous-payés quand on ne fera pas venir, pour mieux les surexploiter, des indiens ou autres asiatiques comme ce fut le cas à Dubaï.

Et ne parlons pas de l’indépendance énergétique de la France, notion jetée aux orties par les tenants d’un capitalisme mondialisé dont l’UE est une pièce maitresse. Pour eux la nation n’existe plus, alors vous pensez l’indépendance énergétique…

Sans compter que si on parle d’écologie cette politique a pour conséquence d’augmenter les importations de produits raffinés (plus 6% en 2009) or ceux-ci sont autrement plus dangereux à transporter que du pétrole brut. Le phénomène est déjà observable dans nombre de ports français qui voient arriver, en lieu et place du pétrole brut du produit fini avec les répercussions que l’on devine sur l’emploi en France. Dans le grand sud (de Berre à Lyon), cette politique pourrait conduire à la fermeture de 5 raffineries sans pour autant augmenter de manière pérenne le fret du Port de Marseille Fos bien au contraire car là aussi les produits finis ne combleront pas le transport actuel du brut.

Une CGT offensive et lucide

C’est avec tout cela en tête que les salarié-e-s de la chimie sont entrés en action. Ils savent que la lutte est longue et l’enjeu de taille. Au-delà du seul avenir de la raffinerie de Dunkerque ce qui se joue c’est l’avenir du raffinage en France. La grève des ouvriers du site dunkerquois et des autres usines de la branche pétrole en témoigne et d’où la demande de la fédération chimie CGT de deux tables rondes : une pour Dunkerque parce qu’il y a urgence, une pour l’ensemble du raffinage et l’avenir industriel de la chimie française.

Manifestation nationale à Paris

De l’extérieur on peut toujours dire que les salarié-e-s de toute la France auraient dû continuer la grève en soutien à ceux de Dunkerque et c’est vrai que du banc de touche on peut gagner beaucoup de matches, mais sur le terrain c’est un peu plus difficile et c’est oublier plusieurs éléments.

- Un les salarié-e-s ne sont pas des robots avec un bouton sur lequel il suffit d’appuyer pour qu’ils se mettent en action. Site par site, entreprise par entreprise ils ont une histoire, un vécu des luttes qui se sont menées ou pas (Flandres n’avait pas connu de grève depuis plus de dix ans) et qui les détermine.

- Deux les grèves de solidarité, outre le fait qu’elles sont interdites en France suite au vote d’une loi qui n’a guère fait réagir que la seule CGT, ne sont pas évidentes à conduire dans la durée surtout dans cette période de baisse du pouvoir d’achat.

- Trois la CGT bien que majoritaire dans le secteur, n’est pas seule à intervenir et telle organisation qui est championne de la lutte à un endroit sera étrangement silencieuse à un autre. Dans ces conditions l’unité souvent facteur déterminant du succès est difficile à construire, elle est même un combat selon une formule restée célèbre.

Les syndicalistes le savent bien gagner une lutte, surtout de cette envergure, nécessite de ne rien faire qui affaiblisse le rapport de forces et cela passe par des modifications permanentes des formes d’action en accord avec les salarié-e-s concerné-e-s. Personne ne se berce d’illusion sur les engagements de TOTAL au sujet de la pérennité des sites mais le seul fait qu’un PDG d’un grand groupe soit obligé de s’expliquer sur sa stratégie industrielle, domaine d’ordinaire tabou dans le régime de monarchie économique où nous vivons est déjà un gain de la lutte. Et il faut l’apprécier pour poursuivre le combat sous toutes ses formes.

Dans ce combat le rôle des opinions publiques est important pour un enjeu qui les concerne d’où la décision de l’union régionale chimie CGT de distribuer un nouveau 4 pages explicatif à la population après celui déjà diffusé au niveau national

Le Pétrole un enjeu de société

La CGT sait que les réserves de connues de pétrole à ce jour sont de 40 ans et que selon toute vraisemblance, elles sont en réalité de l’ordre de 110 ans. La question de la fin du raffinage n’est donc pas pour demain. Par contre celle de l’utilisation du pétrole raffiné et des coopérations internationales pour l’exploitation d’un bien commun de l’humanité, elle, est bien posée.

Dans un article de février 2008, Jean Michel Petit secrétaire de la fédération CGT des industries chimiques déclarait : « Brûler ce produit [le pétrole NDR] uniquement dans des moteurs, c’est un gâchis phénoménal. Le pétrole n’est pas qu’une énergie. Le pétrole est avant tout une matière première pour des branches entières de l’industrie en France qui représentent des millions d’emplois. La vraie question devrait être : à qui doit profiter le pétrole, en terme de produits comme en terme de richesses créées ? Evidemment le pétrole doit profiter aux peuples qui le détiennent, mais il doit plus globalement répondre aux besoins énergétiques et industriels des citoyens. La vraie question est de savoir comment répondre aux besoins de la planète avec un prix du pétrole ajusté au mieux pour répondre aux besoins, en lien avec une redéfinition de la politique industrielle. » C’est la conscience de cette question qui conduit la fédération à dire « Les compagnies privées ne répondent pas aux besoins. Il est nécessaire de mettre sous contrôle public, de socialiser le secteur pétrolier. Ceci n’est pas utopique, c’est déjà le cas dans la plupart des pays. »

Emplois, écologie, gestion commune par les peuples du monde des biens communs planétaires (tout le contraire de la mondialisation capitaliste), d’autres rapports Nord Sud, socialisation des moyens de production, l’action des salariés de la branche chimie porte tout cela en son sein. Et il n’est pas sûr que la télé vous l’ait dit…


Merci à Marc, Sébastien et Jean Marie de la CGT chimie, ainsi qu’aux camarades de l’UL CGT Dunkerque pour leur aide précieuse pour la rédaction de cet article.


[1« L’outil de raffinage français n’est pas adapté aux proportions de gazole et d’essence consommées » L’Usine nouvelle du 24 février 2010



Documents joints

4 pages national février 2010
PDF - 91 ko

Commentaires

jeudi 10 juin 2010 à 05h28
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mercredi 9 juin 2010 à 13h53 - par  Marc Andibé
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mardi 11 mai 2010 à 09h06 - par  CADRAN anthony

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