Ces « lieux saints » qui tuent la paix

vendredi 19 mars 2010
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Un nouvel exemple de la critique acerbe que suscite en Israël même la politique d’annexion tous azimuts du gouvernement...

Le Premier ministre Benyamin Nétanyahou a décidé d’inscrire le caveau des Patriarches situé à Hébron et le tombeau de Rachel à Bethléem sur la liste des sites du patrimoine national israélien.

En septembre 1996, le Premier ministre Benyamin Nétanyahou avait annoncé l’ouverture du tunnel du Mur des lamentations, sous le quartier musulman de la Vieille Ville de Jérusalem, arguant que visiter ce lieu nous permettrait de toucher aux “fondements de notre existence”. Lors des incidents qui ont suivi cette initiative politique pour le moins risquée, plus de 70 Palestiniens avaient été tués, ainsi que 17 soldats israéliens. Ce n’était hélas pas la première fois que des gens étaient offerts en sacrifice sur l’autel d’un passé mythique particulièrement confus. Hérode Ier le Grand, le souverain judéo-iduméen qui avait lancé la construction du Second Temple [en l’an 20 de l’ère chrétienne] et avait fait couler beaucoup de sang pour y parvenir, aurait exulté s’il avait connu les conséquences à long terme de son entreprise historique.

En 2010, le Premier ministre Benyamin Nétanyahou a décidé d’inscrire le caveau des Patriarches [à Hébron] et le tombeau de Rachel [à Bethléem] sur la liste des sites du patrimoine national [israélien] de façon à ne pas oublier notre histoire. Hélas, trois fois hélas, Nétanyahou n’a manifestement pas lu les conclusions des fouilles archéologiques les plus récentes, qui affirment qu’Abraham, Isaac et Jacob ne peuvent avoir vécu à l’époque décrite par l’imagination fertile des rédacteurs de la Bible.

Le Premier ministre actuel est le fils d’un historien [Benzion Nétanyahou, spécialiste de la Reconquista] qui, de façon injuste, a jadis été rejeté par la communauté universitaire israélienne et contraint de s’installer à l’étranger avec toute sa famille. Il n’y a donc rien d’étonnant à ce que Nétanyahou ait soudain décidé de consacrer un budget de 500 millions de shekels [132 millions d’euros] à la conservation de sites historiques sur le territoire israélien. Certes, au lieu de cela, il aurait pu faire bénéficier de cet argent les lycées publics ou les universités pour y financer des cours d’histoire, qui vont à vau-l’eau. Seulement, pour produire et reproduire une mémoire nationale inamovible et hermétique, des lieux de culte en pierre seront manifestement toujours plus efficaces que des débats universitaires ouverts à la critique. Seuls des événements son et lumière projetés sur des murailles muettes pourront résister aux flots de la mondialisation culturelle et à la profusion de sites Internet qui inondent les jeunes cerveaux [israéliens] et risquent d’en faire des êtres de plus en plus cosmopolites.

Outre l’aspect idéologique, il y a un problème politique dans la localisation des deux sites historiques qui viennent d’être ajoutés à la liste du patrimoine national. Le caveau des Patriarches et le tombeau de Rachel ne se trouvent pas sur le territoire juridictionnel de l’Etat d’Israël [mais en Cisjordanie palestinienne]. Mais, étant donné que le gouvernement israélien continue de financer l’implantation de citoyens israéliens dans des Territoires [palestiniens] que ce même gouvernement refuse obstinément de placer sous sa souveraineté, on ne voit pas pourquoi il ne financerait pas non plus des sites mémoriels qui ne se trouvent pas en territoire israélien.

Ce que suggère la démarche du fils de l’historien, au cas où ne nous l’aurions pas compris, c’est que les palabres autour de la paix et de la reconnaissance d’un Etat palestinien n’ont pour but que de plaire à un président américain indécis. Le caveau des Patriarches, à Hébron, le tombeau de Rachel, à Bethléem (et pourquoi pas le tombeau de Joseph, à Naplouse ?), resteront placés sous l’autorité du tout-puissant Etat d’Israël. Sans doute cela empêchera-t-il, paradoxalement, la création d’une deuxième réserve indienne [les Palestiniens en Cisjordanie] aux côtés de celle qui existe déjà à Gaza. Mais, qui sait, peut-être notre Premier ministre s’imagine-t-il que l’onde de choc d’une guerre totale avec l’Iran nous permettra d’annexer ces lieux manifestement si chers à la mémoire de notre nation victorieuse ?

Dans les communications de notre gouvernement, il est également dit qu’Abraham, Isaac et Jacob sont les “pères de la nation”. Naïvement, j’avais toujours cru qu’il s’agissait plutôt de Théodore Herzl, Max Nordau ou Vladimir Jabotinsky. Dieu merci, je me suis trompé. Sinon, Nétanyahou aurait fait inscrire le site du casino de Bâle (où fut organisé le premier Congrès sioniste), en Suisse, sur la liste du patrimoine historique israélien.

Par Shlomo Sand le 18/03/2010 Source : Yediot Aharonot

Transmis par Linsay



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