« Elle semble être un très grand pas en avant »

mardi 13 avril 2010
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Une interview de la dirigeante communiste libanaise parue sur le site du PCL et reprise par le blog Liban résistance

Toni Solo et Salah Ahmine : Dans les difficiles conditions de la réalité Libanaise, les différentes composantes confessionnelles et politiques, les douloureuses expériences du passé, les manipulations des puissances impérialistes, que pouvez-vous nous dire sur l’expérience et l’orientation unitaire de la Résistance Nationale Libanaise ?

Marie Nassif-Debs : La Résistance nationale libanaise a fait ses premières preuves en 1969, quand les agressions israéliennes se faisaient quotidiennes au Sud du pays et, même, à Beyrouth, profitant de la théorie lancée par la bourgeoisie pro-étasunienne au pouvoir sous le mot d’ordre “ La force du Liban réside dans sa faiblesse”.

Cette Résistance commença avec “ La Garde Populaire” (Al-Haras Al-Cha’bi) que les Communistes libanais avaient formée afin de préserver les villageois des attaques-surprises des commandos de Tel Aviv.

Puis, ce fut, un an plus tard, le tour des “ Forces des Partisans” (Qouat Al-Ansar) qui, sous l’égide du Parti Communiste libanais, une fois de plus, rassembla des militants de plusieurs partis communistes arabes, y compris des Palestiniens.

Mais, l’expérience la plus glorieuse fut celle du “ Front de la Résistance Nationale Libanaise”, plus connue sous le nom de “ JAMOUL : Jabhat Al Mouqawama Al Wataniiya Al Loubnaniya” et dont les militants, appartenant au PCL et à d’autres petits groupes de la Gauche libanaise, furent à la base de la libération de la majeure partie du territoire national occupé, en 1978 puis, surtout, en 1982 par les armées israéliennes.

Ce que nous devrions dire de tous ces groupes de Résistance, c’est que, même s’ils furent formés par les Communistes, il n’en reste pas moins qu’ils étaient ouverts à tous ceux qui voulaient participer à la libération de leur pays ; c’est ce qui, d’ailleurs, a fait, pendant de longues années, la force de ces mouvements.

Par rapport à la dernière décennie du XX° siècle et à la décennie passée, il faut dire que nos Camarades, malgré des tensions et des attaques armées, n’ont pas manqué à la tradition d’ouverture : ils furent présents lors de la riposte contre l’opération dite des “ Raisins de la colère” (1996), puis en 2000, lors de la Libération.

Et, là, je dois ouvrir une parenthèse pour dire que notre Camarade Souleiman Ramadan fut le dernier à quitter le camp de concentration de Khiam, après avoir soutenu, avec notre Camarade Ghassan Saïd, tous les prisonniers qui s’y trouvaient…

Nous ne devrions pas oublier la lutte glorieuse qui nous avait unie à la Résistance islamique et à tous ceux qui se sont opposés, en 2006, à l’agression israélo-étasunienne la plus barbare et la plus meurtrière.

Si j’évoque ces faits, ce n’est pas parce que je veux vanter le rôle de notre Parti (Le Parti Communiste libanais) et de la Gauche libanaise dans la Résistance, mais pour dire que nous avions toujours voulu une orientation unitaire entre les forces de la Résistance au Liban ; malheureusement, ce ne fut pas toujours le cas et nos appels sont restés sans réponse, la plupart du temps. Mais nous continuerons dans la même voie, parce que nous pensons que le complot impérialiste et sioniste contre notre peuple et les peuples arabes se poursuit et qu’il est de notre devoir de faire la jonction avec ceux qui veulent contrer ce complot ; comme nous pensons, aussi, que la Résistance d’un peuple dépasse tous les clivages confessionnels et autres…

Toni Solo et Salah Ahmine : Vu depuis la gauche et les secteurs démocratiques, est-ce que vous pouvez nous faire un résumé sur les expériences unitaires des forces politiques et sociales durant les dernières décennies dans le monde arabe ? Existerait-il une expression ou une structure de ce genre d’expérience dans
l’actualité ?

Marie Nassif-Debs : Dans les dernières décennies, les expériences unitaires dans le monde arabe ont presque disparu. Les causes, nombreuses, peuvent se résumer dans les deux suivantes : d’abord, la chute de l’Union soviétique et du Mouvement communiste international ; ensuite, la crise qui a abouti à l’implosion du Mouvement de libération nationale arabe, à la suite d’une série de déboires des armées arabes face à Israël et des dissensions aigües entre certains pôles de ce mouvement, notamment la Syrie et l’OLP.

Cependant, il y eut des alliances entre des forces progressistes dans certains pays, dont le Liban, qui avaient pour but de préserver les acquis sociaux et de promouvoir la lutte pour le changement.

Il y eut, aussi, des alliances entre des forces politiques et sociales disparates à propos de l’appui qui doit être accordé à la Résistance ; mais ces formes d’alliance ne sont pas très stables, vu qu’elles se basent sur des forces qui n’ont pas une vision commune minimum de la situation, d’une part, et, d’autre part, vu la faiblesse de la gauche en tant que noyau dur.

Il est vrai que notre Parti a fait, en mai 2007, appel à une réunion des Communistes et de la gauche dans le monde arabe, afin de mettre au point une structure nouvelle, en alternative à celle qui venait d’imploser ; il n’en reste pas moins que, jusqu’à ce jour, rien de concret ne fut créé, bien que des luttes communes furent mises au point en ce qui concerne les problèmes arabes essentiels, à savoir : la cause palestinienne (Gaza, le droit au retour…), les territoires arabes occupés, le conflit arabo-israélien, la résistance à l’occupation des sources d’énergie en Irak et ailleurs.

Nous œuvrons également pour transformer les réunions des Partis Communistes et de gauche arabes en une structure plus stable, à la manière de la Rencontre internationale des Partis communistes et ouvriers.

Et, si nous rendons vers des structures unitaires, dépassant les simples alliances, c’est parce que, depuis la disparition du Mouvement communiste, la lutte anti impérialiste n’avance pas très rapidement.

Bien au contraire : l’offensive impérialiste a fait des percées, tant sur le plan socio politique que sur le plan militaire. Nous devrions noter que les forces impérialistes (les Etats-Unis, l’OTAN et les autres alliances, dont Israël) ont enregistré des victoires un peu partout et le Mouvement altermondialiste, malgré son expansion, n’est pas à même d’y faire obstacle.

Toni Solo et Salah Ahmine : Comment est perçue la proposition du Président Chávez pour une internationale des peuples ou une “ cinquième internationale” actuellement depuis la perspective de la gauche en affrontement direct à l’entité sioniste et aux gouvernements alliés de l’impérialisme dans la région comme l’Egypte et l’Arabie Saoudite ?

Marie Nassif-Debs : Le projet lancé, le 20 novembre, par le Président du Venezuela Hugo Chavez répond, en grande partie, à nos attentes.
Je dis bien “ en grande partie”, parce que la littérature qui concerne cette “ Cinquième Internationale” n’est pas, encore, bien précise.

Il est vrai que de par la définition que le président Chavez lui donne (un espace où les partis, les mouvements, les courants à orientation socialiste pourront coordonner une stratégie commune contre l’impérialisme et pour le renversement du capitalisme par le socialisme), elle semble être un très grand pas en avant dans la lutte menée contre le nouveau projet impérialiste ; il est vrai aussi que l’appel à une forme d’organisation dite “ sans manuel et sans obligation où les différences seront les bienvenues” est de nature à élargir le rassemblement des forces anti impérialistes ; cependant, il est nécessaire d’attendre la rencontre du mois prochain et, surtout, le contenu d’une telle initiative.

Parce que, selon notre humble expérience, il ne suffit plus, avec les putschs, les complots et les guerres étasuniens, d’élargir et d’ouvrir une perspective, il faut aussi tenter de mettre au point un projet alternatif.

De même, s’il n’est pas nécessaire de créer une organisation très centralisée, à l’exemple des Internationales précédentes, il ne faut pas négliger l’importance d’une sorte de front commun à caractère permanent, qui regrouperait les forces et les mouvements sociaux, tant régionaux qu’internationaux, et les mobiliserait, dans un élan commun de solidarité internationale, dans le sens de trouver, ensemble, des solutions aux défis auxquels nous faisons face.

Toni Solo et Salah Ahmine : Certains sont de l’opinion qu’une “ cinquième internationale”, du moins pour le nom qui lui est désigné, peut perpétuer le prolongement du sectarisme au sein de la gauche, quel est votre avis à ce sujet ?

Marie Nassif-Debs : Il est vrai que certains ont peur des impacts laissés par les expériences précédentes, et ils ont raison en quelque sorte, vu que ces expériences se sont soldées par un échec retentissant dont nous sommes tous responsables, à des degrés différents.

Mais, ce dont je suis sûre, c’est que nous avons beaucoup appris de ces expériences ; et ceux qui ont lancé le projet ont montré qu’ils ne tentent pas de remplacer un sectarisme par un autre.

De même, les partis de gauche, de par le monde, ont analysé, depuis 1990, leur expériences précédentes : au Liban par exemple, et malgré la douleur laissée par les assassinats des années quatre-vingts du siècle passé, le PCL a œuvré dans le sens d’une alliance des deux Résistances, nationale et islamique ; et, si nous n’y sommes pas parvenu, c’est peut-être parce que le Hezbollah n’est pas encore prêt à s’ouvrir dans le sens d’une ouverture en dehors des forces “ religieuses” et, surtout, vers un parti communiste.

Et, même maintenant, au moment où nous voyons le Hezbollah s’enfoncer dans les projets d’un gouvernement de classe, nous l’appelons, ainsi que d’autres forces se disant anti impérialistes, à un programme commun du mouvement qui voudrait résister contre le projet impérialiste dit “ le Nouveau Moyen-Orient”.

Il nous est possible de lutter contre le sectarisme qui avait prévalu jadis, mais nous devons aussi prendre en considération la base idéologique de certaines forces et agir en connaissance de cause pour ne pas avoir de grandes désillusions à l’avenir. Pour nous, l’ouverture est très nécessaire, mais non suffisante.

Toni Solo et Salah Ahmine : Existeraient-ils dans votre région les conditions pour une initiative efficace et pratique de ce genre ?

Marie Nassif-Debs : Oui. Déjà, d’ailleurs, il y a des regroupements qui ont fait leur preuve : il y a, d’abord, le bureau arabe des Partis communistes et ouvriers ; il y a, ensuite, les mouvements ouvriers et de masse, mais aussi des partis de résistance qui partent d’une idéologie religieuse.

Mais, le problème avec ces regroupements, c’est que leur action ne fut pas continue. Ils font des réunions ou des conférences, ou encore quelques rassemblements…

Toni Solo et Salah Ahmine : Quels sont les critères qui doivent être adoptés pour qu’une initiative de ce genre aie un impact positif, - y aurait-il une place pour des mouvements d’inspiration religieuse comme le Hezbollah et Hamas ?

Marie Nassif-Debs : Tout dépend des objectifs du projet alternatif que nous voulons ; parce que c’est sur la base d’un projet que nous déciderons des forces que nous voulons rassembler.

Si notre projet se limite à la lutte contre la présence (militaire) de l’impérialisme dans nos régions, l’éventail pourra être très large. Mais, si nous voulons poser, en même temps, la lutte socio-économique (la lutte de classe), alors, le front des forces sera plus restreint.

Bien sûr, chaque rassemblement a son importance. Il est très vital pour la classe ouvrière et les peuples de lutter contre la cause première des guerres, des maladies et, surtout, de l’exploitation qu’est l’impérialisme ; cependant, pour moi, il faut que cela soit lié à un projet d’avenir. Non pas le socialisme, parce qu’il limite les forces auxquelles nous voudrions nous unir, mais, au moins, les lignes générales d’une société non basée sur l’exploitation ou, même, une société où il y aurait une certaine justice sociale.

Je ne suis pas très d’accord avec ceux qui disent : faisons le rassemblement sans bases ; l’avenir décidera.

Je crois que nous devrions, au moins, laisser à nos peuples la possibilité d’entrevoir de quel avenir nous parlons, non de les entraîner à l’aveuglette. D’ailleurs, je suis sûre que le Président Hugo Chavez et ceux qui ont formé le projet de la Cinquième Internationale savent ce qu’ils font et où ils vont.

Dans une telle perspective, toutes les forces de résistances, y compris le Hezbollah, auraient leur mot à dire et leur place au sein du groupe.

Toni Solo et Salah Ahmine : De votre point de vue, comment pourrait-on concilier l’idée d’un Front Mondial anti-impérialiste, une proposition de toujours d’un grand secteur de la gauche dans le monde, avec l’idée qui nous intéresse dans ce cas d’une “ internationale des peuples” ?

Marie Nassif-Debs : Comme je viens de le dire, nous devrions appeler au rassemblement sur des bases claires, en précisant les objectifs, à partir de la “ contradiction principale”.

Ainsi, l’Internationale des peuples ne pourra pas entrer en contradiction avec les formations déjà existantes, parce qu’elle ne vise pas à les remplacer toutes. D’ailleurs, elle n’appelle pas, vu son point de départ et le projet qu’elle présente, à éliminer les autres formations qui pourraient, si elles le voulaient, continuer à fonctionner.

Toni Solo et Salah Ahmine : Si les conditions existent, jusqu’à quels objectifs concrets devrait-on travailler ?

Marie Nassif-Debs : Je l’ai déjà mentionné : jusqu’à un projet social alternatif. Le capitalisme a assez prouvé qu’il est générateur de misère, de guerres et d’exploitation. Nous devons en finir avec le capitalisme, si nous voulons préserver les acquis sociaux, mais aussi la Planète et, surtout, le genre humain menacé de disparaître.



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