AU COMMENCEMENT ETAIT L’ASSOCIATION !

samedi 29 mai 2010
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« Le principe d’association a constitué le coeur du projet politique des premiers socialistes, pour lesquels il devait permettre de concilier bonheur individuel et bonheur collectif. »
C’est en toute raison ce qu’affirme Philippe Chanial, maître de conférence en sociologie à l’université Paris-Dauphine dans un article du 12 mars dernier de la Revue du Mauss permanente.

PAR LA COOPERATION LIBRE ET VOLONTAIRE

Philippe Chanial poursuit : « Par la coopération libre et volontaire, pensaient-ils, en développant l’association de producteurs ou encore le mutualisme, il deviendra possible d’éviter l’égoïsme individuel tout comme le despotisme collectif, et, plus globalement, de promouvoir une société démocratique favorisant le plein déploiement des capacités morales de chacun. »

Marx avait pour sa part moqué le moralisme impénitent des précurseurs français du socialisme. Il leur reprochait leur idéalisme utopique, leur sentimentalisme religieux, leur philosophie misérable et leur économie politique si approximative.

« Ces reproches sont sévères, juge Philippe Chanial. Ils le sont non seulement parce que son analyse économique du capitalisme doit beaucoup plus qu’il ne consentit à l’avouer à Saint-Simon ( 1760-1825 ), Fourrier ( 1772-1837 ), Pecqueur ( 1801-1887 ), et Proudhon ( 1809-1865 ), mais surtout parce que ces auteurs n’ont jamais prétendu que l’on pourrait, à l’instar du matérialisme historique, faire « l’économie » d’une critique morale du capitalisme. »

AVERSION POUR LA MORALE DE L’INTERET

« En effet, ce qui rapproche ces pionniers du socialisme, en dépit de leurs différences et de leurs controverses incessantes, c’est leur commune aversion pour cette morale de l’intérêt qui traduit comme exigence de laisser faire parler économistes, a conduit aux injustices et aux désordres propres au capitalisme moderne.

« Or justement, sous bien des aspects, le matérialisme est toujours resté prisonnier de cet imaginaire utilitaire.

« Dès lors, n’est-ce pas cet « autre socialisme » qui mérite, dans le contexte du marché-monde qui est désormais le nôtre, d’être redécouvert ? »

NI LE MARCHE, NI L’ETAT.

Notre auteur est donc conduit à penser que l’aurait tort de considérer que ces morales de la sympathie, de l’harmonie ou de la réciprocité, ne constitueraient qu’une réaction moralisatrice à la doctrine de l’intérêt promu par le capitalisme naissant.

« Le socialisme, dit-il, comme le note Eugène Fournière au tournant du siècle, veut constituer le milieu dans lequel l’individu ne soit pas aussi violemment incité à sacrifier l’intérêt d’autrui au sien propre, où soient unis, jusqu’à se confondre, l’intérêt individuel et l’intérêt social.

« Cette solidarité doit donc trouver la forme sociale par laquelle elle pourra faire société.

« Or, pour tous ces pionniers français du socialisme », « le milieu socialiste » par excellence, l’espace privilégié où peut s’opérer cette harmonisation coopérative des intérêts, n’est ni le marché, ni l’Etat, mais l’Association. »

LA COMMUNE DANS CETTE LIGNEE

Au fond, il ne nous est pas possible de contester que les décisions de la Commune de Paris se situent dans cette lignée.

C’est en effet ce qu’écrit Engels en 1891 quand il est sollicité pour faire une nouvelle introduction à « La guerre civile en France ».

« Mais le plus merveilleux, dit-il, c’est la quantité de choses justes qui furent tout de même faites par cette Commune composée de blanquistes et de proudhoniens ;

LA MORT DE PROUDHON

« Proudhon, le socialiste de la petite paysannerie et l’artisanat, haïssait positivement l’association. Il disait d’elle qu’elle comportait plus d’inconvénients que d’avantages, qu’elle était stérile par nature, voire nuisible, parce que mettant entrave à la liberté du travailleur:dogme pur et simple, improductif et encombrant, contredisant tout autant la liberté du travailleur que l’économie de travail, ses désavantages croissaient plus vite que ses avantages ; en face d’elle, la concurrence, la division du travail, la propriété privée restaient, selon lui, des forces économiques.

« Ce n’est que pour les cas d’exception – comme Proudhon les appelle – de la grande industrie et des grandes entreprises, par exemple les chemins de fer, que l’association des travailleurs n’était pas déplacée.

« En 1871, même à Paris, ce centre d’artisanat d’art, la grande industrie avait tellement cessé d’être une exception que le décret de loin le plus important de la Commune instituait une organisation de la grande industrie et même de la manufacture, qui devait non seulement reposer sur l’association des travailleurs dans chaque fabrique, mais aussi réunir toutes ces associations dans une grande fédération.

« Bref, une organisation qui, comme Marx le dit très justement, devait aboutir finalement au communisme, c’est-à-dire à l’exact opposé de la doctrine de Proudhon.

« Et c’est aussi pourquoi la Commune fut le tombeau de l’école proudhonienne du socialisme.

LA LIBRE FEDERATION CONTRE LES BLANQUISTES

Cette école a aujourd’hui disparu des milieux ouvriers français : c’est maintenant la théorie de Marx qui y règne sans conteste, chez les possibilistes pas moins que chez les « marxistes ».

« Ce n’est que dans la bourgeoisie « radicale » qu’on trouve encore des proudhoniens. »

Engels souligne ensuite que les blanquistes furent aussi conduits à agir contre leurs propres principes :

« Elevés à l’école de la conspiration, liés par la stricte discipline qui lui est propre, ils partaient de cette idée qu’un nombre relativement petit d’hommes résolus et bien organisés était capable, le moment venu, non seulement de s’emparer du pouvoir, mais aussi, en déployant une grande énergie et de l’audace, de s’y maintenir assez longtemps pour réussir à entraîner la masse du peuple dans la révolution et à la rassembler autour de la petite troupe directrice.

« Pour cela, il fallait avant toute autre chose la plus stricte centralisation dictatoriale de tout le pouvoir entre les mains du nouveau gouvernement révolutionnaire.

« Et que fit la Commune qui, en majorité, se composait précisément de blanquistes ?

« Dans toutes ses proclamations aux Français de la province, elle les conviait à une libre fédération de toutes les communes françaises avec Paris, à une organisation nationale qui, pour la première fois, devait être effectivement créée par la nation elle-même.

ELIMINER LE VIEIL APPAREIL D’OPPRESSION

« Quant à la force répressive du gouvernement naguère centralisé : l’armée, la police politique, la bureaucratie, créée par Napoléon en 1798, reprise depuis avec reconnaissance par chaque nouveau gouvernement et utilisée par lui contre ses adversaires, c’est justement cette force qui, selon les blanquistes, devait partout être renversée, comme elle l’avait été à Paris.

« La Commune dut reconnaître d’emblée que la classe ouvrière, une fois au pouvoir, ne pouvait continuer à se servir de l’ancien appareil d’Etat.

« Pour ne pas perdre à nouveau la domination qu’elle venait à peine de conquérir, cette classe ouvrière devait, d’une part, éliminer le vieil appareil d’oppression jusqu’alors employé contre elle-même, mais, d’autre part, prendre des assurances contre ses propres mandataires et fonctionnaires en les proclamant, en tout temps et sans exception, révocables.

A NOUVEAU CLAUDE BERGER

Dans ce cheminement de l’idée d’association, qui a pris un temps la forme concrète de l’Association Internationale des Travailleurs – je renvoie mes lecteurs à mon article intitulé : « Une interview de Marx » - il n’est pas étonnant de rencontrer à nouveau Claude Berger et son ouvrage : « Marx, l’Association, l’Anti-Lénine, vers l’abolition du salariat » dont je parlais aussi récemment.

« Abolir le salariat » : Claude Berger se demande par quel mystère ce contenu essentiel de la révolution sociale, si largement populaire au 19e siècle, a-t-il été « oublié » sinon rayé des programmes dits « ouvriers » ou « démocratiques ? »

L’OUBLI DE L’ABOLITION DU SALARIAT

« De parole vivante, partagée par une multitude d’ouvriers, de programme immédiat des Communards de 1871, l’abolition du salariat, au début du 20e siècle et dès la Révolution d’octobre, ne fut plus déjà qu’un voeu pieu.

« Référence incantatoire puis royaume messianique de la fin d’un Etat qui serait pour longtemps « ouvrier », elle vient de disparaître, il y a peu, des statuts et des objectifs de la CGT française.

« En « réaliste », la grande centrale syndicale préfère suivre le déroulement d’une « réalité » qui, dans les pays dits « socialistes » ( exception faite de la Chine ) et dans les les pays capitalistes, ne va pas d’elle-même dans ce sens...

« Mais « l’oubli » de l’abolition du salariat (ou l’idéalisme qui lui fut attaché ) est aussi l’oubli ou la déformation du salariat lui-même.

« Et puisque sans lui, comme dit Marx, « point de capital, point de bourgeoisie, point de société bourgeoise », il y a lieu de lever le voile sur l’oubli ou de la déformation de la méthode d’analyse de Marx du travail, du capital et de la société bourgeoise.

UN IMMENSE REFOULEMENT

« Voile si épais que la majeure partie des commentaires et des pratiques de la tradition prétendue « marxiste » se résume à un refoulement, à une immense censure non seulement de la méthode, de la pensée et de la pratique de Marx, mais aussi de ce qui dans les luttes fonde le procès révo-lutionnaire menant à la suppression du salariat.

« Si tant est que Marx fondait sa pensée dans la réalité des luttes.

« Pour lui et Engels, toute lutte revendicative comporte une esquisse d’association qui abolit les catégories salariales divisant et produisant des hommes.

« Esquisse inconsciente certes, mais qu’il s’agit de perpétuer au-delà de la lutte par une Association des travailleurs pour une nouvelle existence et une lutte commune : pour l’abolition du salariat lui-même.

LA LUTTE CONTRE L’OPPRESSION

« La lutte permanente contre l’exploitation se transforme ainsi en une lutte permanente contre l’oppression, l’Association maintenue peut alors espérer affronter le capital sur le terrain des masses en voie de révolution.

« Au lieu de se limiter à l’opposition de deux intérêts, celui du capital et celui des travailleurs ( sans que jamais on ne voie comment révolutionner la société sur la base de la défense du seul intérêt de classe ouvrier nécessairement déterminé par le système, autrement que par le règne d’interminables médiations : la conscience de l’avant-garde, le rôle envahissant du parti ou bien le temps ou encore la « théorie » ), l’association oppose deux modes d’existence.

« Le sien prolonge la fin de la concurrence des travailleurs entre eux inaugurée dans la lutte par une politique qui tente d’abolir les effets de la divi-sion du travail et de la division sociale.

« L’autre, celui de la bourgeoisie, est fondé sur la division du travail, sur la division sociale et sur la domination des travailleurs par des institutions : l’Etat, l’Ecole, la Famille, la Politique, la Culture, qui leur sont extérieures. »

DES COMMUNES LIBREMENT FEDEREES

« L’association comme structure et comme procès de lutte aboutit à une organisation sociale communautaire instaurant le pouvoir des communes librement fédérées, répartissant le travail associé au sein de la fédération des producteurs dans le sens du contrôle égalitariste de la division du travail.

« L’association résulte donc de la recomposition de l’existence collective par la base des travailleurs.

« Loin d’attribuer un rôle économique à l’Etat dans la société révolutionnaire, elle implique la suppression des instances oppressives ( donc de l’Etat ) dont le rôle est majeur dans la production de l’homme salarié : dans l’oppression des travailleurs.

LA REVOLUTION DU TRAVAIL ET DE L’EXISTENCE

« L’association désigne la structure de la lutte révolutionnaire et son aboutissement : la révolution du travail et de l’existence, la suppression de leurs formes marchandes ou étatiques, la fin du salariat et conséquemment la suppression de l’argent.

« Le procès révolutionnaire débouche donc sur le socialisme immédiat qui est la transition au communisme.

« Cette théorie du procès révolutionnaire se distingue de tous les projets de transition au socialisme, médiations nouvelles qui naissent sur le sens uniquement revendicatif que l’on a coutume d’attacher aux luttes et selon l’ordre même de la spécialisation politique et syndicale réclamé par le capitalisme.

« Si cette théorie a été « oubliée » et, avec elle, si la réalité cachée mais pourtant essentielle d’association des luttes a été « oubliée », il y a lieu de poser la question : le salariat aurait-il changé de nature d’un siècle à l’autre ?

« Certes non.

LE MOUVEMENT BOLCHEVIK

« Par contre, le mouvement ouvrier organisé s’est radicalement transformé sous l’effet du mouvement bolchévik décrivant le cycle qui de Lénine l’amène à Brejnev en passant par Staline, qui de la révolution violente détruisant la « démocratie » bourgeoise le fait aujourd’hui opter pour le choix pacifiste du respect de la « légalité » de cette démocratie, en allant jusqu’à fonder le socialisme sur son maintien.

« Au 19e siècle, le mouvement ouvrier organisé, « spontané » dans ses tendances pacifistes ou violentes, proudhoniennes ou bakouninistes, sociaux-démocrates ou blanquistes, anarchistes ou étatistes, affrontait nécessairement les théories et les critiques nombreuses de Marx et Engels.

« S’il avançait des projets, Marx et Engels lui opposaient un procès ( et une méthode d’analyse des contradictions de la réalité pour le fonder ).

L’ASSOCIATION INTERNATIONALE DES TRAVAILLEURS

« Le même mouvement ouvrier butait également sur la pratique militante de deux hommes au sein de l’Association internationale des travailleurs fondée en 1864 et dissoute en 1872, association dont l’influence fut loin d’être négligeable sur la Commune qui, comme le dira Engels, « absolument, quant à l’esprit, l’enfant de l’Internationale » puisqu’elle « instituait l’association des travailleurs », son « décret le plus important » qui devait aboutir finalement au communisme (Introduction d’Engels citée ci-dessus ).

« Théorie et pratiques marxiennes [1] obligeaient à concevoir l’abolition du salariat non pas comme une « idée » mais comme une pratique née de la réalité des luttes et impliquée par la force des choses dans le procès révolutionnaire menant à la révolution pour cette abolition.

« Pratique émancipatrice, réellement libératrice et, par là, contagieuse au simple plan de l’existence. »

ET LENINE VINT

« Au 20e siècle, Lénine vint...avec dans ses bagages beaucoup d’ « idées » reprises de Kaustsky première manière : du Kautsky théoricien de la Seconde Internationale et partisan de la révolution violente avant qu’il n’en devienne l’adversaire farouche, décrivant ainsi personnellement le cycle ultérieur du Bolchévisme.

« Au 20e siècle, Lénine mit Kautsky première manière en pratique et dénonça le « renégat Kautsky » seconde manière [2] sans imaginer qu’il allait, lui, Lénine, inaugurer le cycle Kautsky à l’échelle historique de L’URSS et plus généralement du mouvement dit abusivement « communiste ».


[1Qui a trait à la théorie de Marx par opposition à « marxiste » qui peut fort bien désigner la tradition de sa censure et inclure la multitude de ceux qui s’y proclament dans le « camp » ouvrier du salariat.

[2Cf. La révolution prolétarienne et le renégat Kautsky



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