Peu importent les marteaux et les faucilles !

mardi 1er juin 2010
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Le mouvement communiste, contrairement à une idée largement répandue, a été, et est toujours, caractérisé par la diversité des approches, par les différences ou même les divergences dans les conceptions et les programmes, diversité, différences et divergences qui ne peuvent seulement trouver une causalité dans la multitude des situations concrètes de chaque pays ou de chaque époque.
Il est toujours possible de regretter cette situation, je précise que ce n’est pas mon regard, mais les réalités, nous le savons, ou devrions le savoir, par expérience, sont têtues et bravent toutes les subjectivités.
Nous poursuivons aujourd’hui, en conséquence, la présentation de cette diversité avec un marxiste iranien dont on parle peu en général, et pourquoi donc, Mansoor Hekmat, 1951-2002, pseudonyme de Zhaobin Razani, fondateur dans un premier temps en 1978 de l’Union des militants communistes, qui prend part à la révolution iranienne de 1979.
Il sera très influencé par la création par la création de conseils ouvriers ( Shoras ).

REFUS DE TOUT SOUTIEN AU REGIME ISLAMISTE

Pour sa part, Mansoor Hekmat refuse tout soutien au régime islamiste de l’ayatollah Khomeiny, contrairement à la majorité de la « gauche », et dénonce le « mythe de la bourgeoisie nationale-progressiste ».

Contraints de fuir au Kurdistan en 1981 en raison de la répression, les militants de l’Union des militants communistes fusionnent avec une organisation kurde issue du maoïsme, Komala, avec laquelle ils fondent le Parti communiste d’Iran.

La nouvelle organisation dispose d’une véritable armée, laquelle tient tête au régime iranien et aux nationalistes. Dans leur « zone libérée », les droits des femmes sont respectés, ce qui leur vaut la haine des traditionalistes.

En 1991, en totale rupture avec le nationalisme kurde, Mansoor Hekmat quitte le Parti communiste d’Iran et entraîne avec lui une grande partie de l’organisation.

Il crée alors le Parti communiste-ouvrier d’Iran, puis en 1993, le Parti communiste-ouvrier d’Irak-né de l’insurrection des conseils ouvriers en 1991. Les deux partis sont étroitement mêlés dès l’origine.

L’OPPOSITION NATIONALISTE DE GAUCHE-COMMUNISME PROLETARIEN

Revenant sur la révolution iranienne dans un article de 1987, six ans après la vague de répression qui a assis le pouvoir islamique, Mausoor Hekmat précise cette opposition.

Il constate, non sans amertume, qu’au 20e siècle, le mot « socialisme » sert de couverture idéologique pour trois conceptions différentes : à l’Est, au capitalisme d’Etat ; à l’Ouest, au réformisme ; dans le tiers-monde, au nationalisme.

Mais nulle part, il ne désigne le mouvement de la classe ouvrière pour abattre et dépasser le capitalisme.

En Iran particulièrement, le socialisme a été, dès l’origine, avec la formation du Parti Tudeh en 1941, un mouvement qui visait à réaliser « l’unité nationale, le développement économique, la démocratie bourgeoise et les réformes sociales », capable d’attirer à lui les classes moyennes iraniennes, pour lesquelles le voisin soviétique proposait un modèle de développement national réussi.

Ce parti prosoviétique était au centre d’une coalition anti-fasciste, le Front national, qui éclata en 1953, lorsque le Tudeh hésita à soutenir pleinement le gouvernement nationaliste du docteur Mossadegh.

La disparition de cette coalition laissa émerger, dans l’espace politique laissé vacant, un nationalisme de gauche plus marqué, de coloration maoïste.

La critique de l’URSS par Mao avait son pendant dans la critique du Tudeh par la gauche radicale, tandis que la caractérisation de l’Iran comme un « pays semi-féodal et semi-colonial » permettait de faire l’impasse sur le degré réel de développement des relations sociales capitalistes.

L’ennemi principal, pour le maoïsme iranien, c’était le propriétaire terrien féodal, allié de l’impérialisme – ceci au moment même où l’échec programmé des réformes agraires amenait massivement les paysans à la prolétarisation urbaine. Leur programme était celui de tout nationalisme : développement par l’industrialisation et la gestion étatisée de l’économie, ce qui impliquait naturellement le renversement de la monarchie.

La fascination pour les modèles chinois, mais aussi vietnamien et latino-américain, donnait une forme pratique à ce programme : la guérilla.

LES DIFFERENCES

Dans son interview de l’automne 1989, Mansoor Hekmat analyse la vitesse incroyable de l’évolution des évènements en Pologne, en Yougoslavie, en Hongrie, en Union soviétique même.

« L’évolution de l’URSS et du bloc de l’Est, dit-il, et les récents événement en Chine, montrent les différents aspects de l’effondrement du socialisme bourgeois. Il existe entre-eux des différences qui ne doivent pas être sous-estimées.

« Comme camp socialiste bourgeois, pôle du mouvement soi-disant communiste, le camp socialiste bourgeois en Chine avait fait faillite très rapidement. Le maoïsme a été défait et a quitté le scène politique dans les années 70.

« L’abandon des prétentions socialistes dans la Chine d’après Mao a aussi été rapide. Les manifestations actuelles en Chine révèlent plutôt les difficultés d’adaptation matérielles de la structure administrative aux orientations déjà posées, en matière de politique économique et d’idéologie.

« Nous voyons là l’achèvement d’un processus déjà engagé, ayant discrédité le socialisme bourgeois tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du pays.

« En un certain sens, ces évènements, qu’il ne s’agit pas de minimiser, sont moins importants que ceux qui ont eu lieu dans la société soviétique par leur impact international.

« En Union soviétique on assiste à un tournant qui, indépendamment de ses effets sur les relations internationales, est en train de clore le chapitre du socialisme bourgeois qui avait existé jusqu’ici.

« Les changements politiques sont allés plus vite que les changements économiques. Mais le processus irréversible en cours, qui a déjà ruiné intégralement le modèle capitaliste d’Etat, s’achèvera dans la dissolution complète du camp soi-disant socialiste et la disparition du socialisme bourgeois soviètique.

Ce n’est pas seulement une catastrophe pour ceux qui ont pu être appelés les révisionnistes, car avec l’effondrement de ce courant ce sont toutes les autres tendances pseudo-marxistes non prolétariennes qui étaient nées de la critique de ce courant qui vont aussi prendre fin. »

S’AGIT-IL DE LA CRISE DU COMMUNISME ?

« S’agit-il de la « crise du communisme » ou de la « fin du communisme » ? Je ne vois pas le monde comme un champ de bataille doctrinal, poursuit Mansoor Hekmat.

« La véritable histoire, c’est celle des mouvements de classes, des mouvements sociaux. Bon c’est sûr, « quelque chose » s’est effondré et a pris fin. C’est la défaite du mouvement bourgeois capitaliste d’Etat. La bourgeoisie l’a appelé communiste et l’a présenté comme tel à des millions de gens.

« Le mouvement socialiste des travailleurs, c’est-à-dire la lutte anticapitaliste du prolétariat dans la société contemporaine, a poursuivi son existence à côté de ce communisme officiel, et naturellement avec la suprématie de cette tendance capitaliste d’Etat, a enduré des hauts et des bas.

« C’est un autre mouvement auquel, dans la lignée du Manifeste communiste, je fais allusion en parlant de communisme ouvrier...

« La crise du socialisme bourgeois ne sape pas les fondements du communisme ni ne le met en crise...

UNE NOUVELLE GENERATION DE PARTIS COMMUNISTES

Pour Mansoor Hekmat, « une nouvelle période de la lutte communiste des travailleurs est devant nous. Les fondements du communisme retournent dans la classe ouvrière. Le communisme ouvrier, comme mouvement social, retrouve sa place réelle dans la société.

« Ce mouvement a une force immense. Contrairement à ceux qui ont proclamé la mort de Marx et du marxisme, je vois la décennie à venir comme celle d’un retour au marxisme, parce que le marxisme est le mouvement social, le mouvement de protestation anticapitaliste des travailleurs, qui relève la tête après la défaite de la révolution d’octobre et des années de suprématie des mouvements faussement socialistes de la bourgeoisie.

« Pas besoin d’attendre longtemps : je crois que les années 90 seront une décennie de luttes ouvrières radicales dans les centres industriels d’Europe de l’Ouest et verront une nouvelle génération de partis communistes, les partis communistes ouvriers.

« Je pense que le marxisme comme critique en profondeur de la société capitaliste et comme théorie n’est pas sujet à crise. Même les développements actuels ne sauraient l’incriminer. L’effondrement des forces non-ouvrières qui s’étaient accrochées au marxisme pour cause de nationalisme, de démocratie, de réformisme ou d’industrialisation, ne fait que confirmer cela.

LE P.C. D’IRAN EVOLUE AVEC LES CHANGEMENTS DU MONDE

Interrogé sur ces évolutions, Mansoor Hekmat précise que la discussion du communisme ouvrier ne découle pas de ce qui se passe au PC d’Iran.

« Il s’agit plutôt de la volonté d’expliquer les problèmes fondamentaux du communisme aujourd’hui. Tout communiste est confronté à ces problèmes.

« Le communisme ouvrier est néanmoins une discussion et une perspective avancées par les tendances de gauche dans le parti.

« C’est aussi une critique des points de vue et des méthodes des autres tendances, une critique de ce que celles-ci imposent au PC d’Iran.

« Cette discussion présente au parti un « Que Faire ? » particulier et une plate-forme politique concrète distincte des explications des autres tendances quant au problème et perspectives du parti... »

POURQUOI COMMUNISME OUVRIER ?

Pour Mansoor Hekmat, parler de « communisme ouvrier » au lieu de « communisme », c’est parce le terme communisme a perdu le caractère de classe qu’il avait lors de la publication du Manifeste du Parti communiste en 1848.

« Le communisme, dit-il, était alors synonyme de socialisme ouvrier. Engels explique le choix du mot pour le Manifeste de la même façon. Pour se démarquer du socialisme non-prolétarien de l’époque, Marx et Engels ont opté pour le terme que le mouvement socialiste des travailleurs avait déjà adopté. Chaque mot du Manifeste communiste affirme qu’il est celui du socialisme ouvrier et ce que cette tendance de classe spécifique a à dire sur le monde, la société, le socialisme.

« Si Marx et Engels pouvaient voir aujourd’hui comment le mot « communisme » a été usurpé par des courants pseudo-socialistes d’autres classes, ils reconsidéreraient le titre du Manifeste et l’emploi du mot.

LE COMMUNISME OUVRIER, C’EST LE MARXISME

Pour Mansoor Hekmat, « c’est comment nous comprenons les classiques marxistes...

« Le communisme-ouvrier signifie un attachement social, et par là-même, un mouvement théorique.

« Ce qui est au centre, c’est l’organisation du mouvement socialiste réellement existant d’une classe particulière.

« Si le marxisme signifie quelque chose pour nous, c’est précisément parce qu’il incarne cette tradition de classe.

« Ensuite, on ne peut retourner qu’à ce dont on est parti. Donc, un courant qui s’est révélé dans un contexte non-ouvrier actuel, et par conséquent, d’un marxisme non-communiste, doit pour sortir de cette tradition « revenir au marxisme ». Il doit y retourner depuis un autre lieu – à la fois théoriquement et socialement...

« Mais quand le gros de ce mouvement, ces camps mondiaux, sont fondés sur des bases non-ouvrières, alors cette question ne peut être confinée au niveau théorique, à revenir à une théorie particulière ou combattre telle révision.

« Ce sont les bases sociales tout entières du communisme actuel, et par conséquent ses idées qui doivent être critiquées.
« Cette critique doit être faite du point de vue d’un mouvement social différent.

« Le communisme de Marx, le communisme-ouvrier, avant de critiquer les idées des socialismes non-ouvriers, doit d’abord expliquer leur caractère social comme mouvements non-ouvriers, et leur opposer le mouvement de la classe ouvrière.

« Marx a rejeté les socialismes de son époque depuis un autre mouvement social, c’est ce que nous voulons faire aujourd’hui, en développant la discussion sur le communisme ouvrier... »

LE COMMUNISME OUVRIER COMME REACTION DE CLASSE

Pour Mansoor Hekmat, « la méthode Marx dans le Manifeste, c’est de différencier socialement, et non idéologiquement, le communisme ouvrier des autres tendances.

« C’est là que Marx explique le communisme ouvrier comme un mouvement social, comme une réaction de classe face à la société capitaliste, où il montre les différences entre ce mouvement et le socialisme des autres classes, qu’il soit féodal, bourgeois ou petit-bourgeois.

« Le Manifeste explique ces différents courants, et distingue le communisme ouvrier non comme doctrine, mais comme mouvement de classe bien défini, commr le produit de circonstances et d’intérêts particuliers.

« Marx parle de la confrontation des mouvements sociaux, et seulement sur cette base, il parle de la confrontation des idées.

« Pour Marx, le communisme ouvrier était un mouvement social concret, qui existait déjà avant ses propres idées, ses propres activités, et qui avait déjà produit des intellectuels et des théoriciens.
« Le marxisme s’est lui-même donné pour tâche d’ordonner ce mouvement et de l’armer avec des objectifs clairs et une critique performante de la société existante. »

D’ABORD ET AVANT TOUT UN MOUVEMENT SOCIAL

« Aujourd’hui, poursuit Mansoor Hekmat, nous voyons le monde selon la même méthode que le Manifeste du parti communiste.

« C’est sur cette seule base que nous devons aborder le problème des idées politiques qui dominent ce mouvement et ses distinctions avec les autres tendances socialistes qui existent dans la société.

« C’est précisément l’approche opposée de celle de toutes les tendances du communisme existant sur cette question.

« l’un des indicateurs de la distance entre ce type de communisme et la classe ouvrière, c’est précisément leur déni du caractère objectivement social du communisme ouvrier.

« Pour eux, le socialisme ouvrier est dérivé de l’idéologie socialiste, la doctrine socialiste crée la mobilisation socialiste de la classe ouvrière.

« Ils considèrent le marxisme, quelle que soit la conception qu’ils s’en font, comme l’origine du mouvement ouvrier.

« Si bien que la relation entre le mouvement et les idées, la société et la conscience, est totalement inversée.

« Et s’ils considèrent ce marxisme comme corrompu ou révisé, alors il ne leur reste plus qu’à dénier l’objectivité des mouvements socialistes des travailleurs.

LE MANIFESTE DE LA CONTESTATION OUVRIERE

« Si Marx revenait à la vie aujourd’hui, imagine Mansoor Hekmat, et qu’il regarde la société et le mouvement ouvrier, il pourrait de nouveau écrire le Manifeste du parti communiste-ouvrier ;

« Ce Manifeste serait l’expression de la contestation ouvrière dans le monde et armerait le mouvement d’une critique contre le socialisme de toutes les autres classes qui, malencontreusement, en sont elles-mêmes venues à s’appeler marxistes.

« Nous n’avons pas Marx aujourd’hui, mais nous avons notre propre mouvement de classe et, fort heureusement, une forte influence du marxisme dans ce mouvement, comme nécessité instinctive ( et, aujourd’hui, certainement « spontanée ») pour les militants ouvriers.

« Pour nous, la discussion sur le communisme-ouvrier signifie mettre en avant le Manifeste de ce mouvement social différent.

« Cela ne veut pas dire inventer une nouvelle tendance, une nouvelle doctrine dans la tradition du communisme existant.

« Notre réponse à ce communisme-là est une réponse sociale, notre critique est sociale et pratique, et notre sujet de travail est différent.

« C’est la même réponse que nous donnons à la bourgeoisie dans son ensemble : la fondation d’un puissant mouvement communiste-ouvrier. »


Tous ceux qui voudront approfondir leur connaissance de Mansoor Hekmat peuvent se rapporter notamment à la lecture de « La Bataille socialiste » qui publie l’essentiel de ses textes.



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