Les Rohingyas, persécutés et oubliés

jeudi 17 juin 2010
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Quelque 400 000 Rohingyas persécutés par la junte au pouvoir au Myanmar (Birmanie)sont réfugiés au Bangladesh. Certains survivent dans des bidonvilles, quand d’autres ont obtenu le statut de réfugiés.

Des hordes d’enfants oisifs, parfois entièrement nus, courent et jouent çà et là. Un fil noué à un sac en plastique se transforme cerf-volant, des cailloux en osselets, une tige végétale en corde à sauter. Sur les collines de Kutu Palong, dans le sud du Bangladesh, la vie s’invente dans la misère du camp des réfugiés. Les enfants cherchent à tromper le vide de leur existence que ni leur pays d’origine, le Myanmar, ni leur pays d’accueil, le Bangladesh, ne veut reconnaître. Car ils sont les enfants d’un peuple apatride et discriminé, rayé des cartes et privé de droits : les Rohingyas.

Depuis la fin des années 1970, les Rohingyas fuient leurs terres séculaires de l’Arakan, dans le nord-ouest de la Birmanie. Minorité musulmane tyrannisée par la junte birmane probouddhiste, les Rohingyas sont près d’un million à avoir pris la route de l’exil. Ils fuient vers le Bangladesh voisin, mais aussi vers la Malaisie et l’Arabie Saoudite. Parfois désespérés, ils partent à l’aveuglette sur des rafiots en pleine mer. Les Nations unies décrivent cette ethnie comme “l’une des plus persécutées au monde”. Mais leur tragédie ne parvient pas à susciter l’intérêt de la communauté internationale. Et 400 000 d’entre eux vivraient illégalement au Bangladesh, un pays déjà surpeuplé, accablé par la pauvreté et dont la patience semble être à bout.

“La répression a débuté il y a neuf mois”, assure Mustafa Attu, 52 ans. Il est arrivé récemment à Kutu Palong, où s’improvise un bidonville de 20 000 réfugiés illégaux venus des environs. “La police s’est mise à faire des descentes pour nous arrêter, dit-il. J’ai pris peur et je suis venu ici avec l’espoir d’être protégé.” Car, sur l’autre colline et sous l’administration du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR), vivent 28 000 Rohingyas ayant obtenu le statut de réfugié. Ce “privilège” donne droit à des rations de nourriture convoitées par les délaissés qui se massent aux portes du camp officiel, comme si cette proximité pouvait leur en donner la clé. Mais rien n’est moins sûr. Les autorités refusent d’enregistrer de nouveaux réfugiés. “Ils doivent repartir chez eux”, réitère le gouvernement de Dacca.

Comment survivent alors les 20 000 Rohingyas du bidonville de Kutu Palong ? Peu à peu, les langues se délient. “Les jeunes partent travailler en cachette à l’extérieur du camp”, admet Imanshuri, 32 ans. Une activité importante consiste à couper illégalement du bois dans la forêt voisine, puis à le revendre aux réfugiés “enregistrés”. Ce n’est pas sans danger. Le mois dernier, Shazida Begum, 10 ans, est partie vers la forêt. “J’étais avec quinze autres enfants, raconte la fillette. Deux policiers ont surgi. Nous nous sommes enfuis, mais j’ai été rattrapée. Les policiers ont mis un couteau sous ma gorge. Ensuite…” Ensuite, Shazida a été violée. Et trois cabanes plus loin, c’est Teeva, 25 ans, qui a elle aussi été violée quinze jours plus tôt. D’après Imanshuri, les viols des femmes Rohingyas seraient fréquents. “Comme les Rohingyas n’ont aucune source légale d’argent, ils s’impliquent dans des activités criminelles”, dénonce Khalid Hossain, chef de la police de Teknaf, à la frontière de la Birmanie. “Ils s’adonnent aux vols, aux trafics d’alcool, de drogue et de passeports. La situation sécuritaire pourrait se détériorer.” Les réfugiés sont certes poussés aux extrémités. Dans le camp, Zahera (nom d’emprunt) avoue qu’elle se prostitue pour survivre, “comme beaucoup d’autres femmes Rohingyas”. Ses clients sont des villageois qui paient 100 takas (1 euro) la passe, dans sa hutte minuscule et en présence de sa fillette. “Quand je suis à court d’argent, ajoute Zahera, je prie Dieu de m’envoyer des clients.” Si les bas-fonds de la détresse humaine existent, ils s’incarnent ici, sur ces collines du Bangladesh, parmi les Rohingyas réfugiés.

Par Vanessa Dougnac dans  Le Temps le 16/06/2010

Transmis par Linsay



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