Le véritable coût d’une salade : vous payez 99 cts, l’Afrique paye 50 litres d’eau potable

mardi 9 mai 2006
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Pour vous, ce n’est qu’une salade que vous posez dans votre chariot au super-marché avec le reste des courses de la semaine. Mais pour les fermiers du Kenya, victimes de la sécheresse provoquée par une agriculture intensive, cela pourrait signifier leur déchéance. Le monde commence à manquer d’eau et, selon les groupes écologistes, les consommateurs des supermarchés Britanniques contribuent à provoquer la sécheresse globale.

Une multitude de rayons chez Tesco, Sainsbury et Waitrose, remplis de tomates espagnoles, de pommes de terre égyptiennes et de roses kenyanes, accélèrent la pénurie de notre ressource la plus précieuse.

Au Kenya, les produits alimentaires cultivés pour l’exportation incluent la laitue, la roquette, les haricots, les petits pois et les brocolis. La production d’une simple salade de 50g consomme pratiquement 50 litres d’eau dans des pays où cette denrée est rare. Une salade mixte contenant des tomates, du céleri et des concombres, avec de la salade, nécessite plus de 300 litres d’eau. S’ajoutent à cela le nettoyage, le traitement et l’emballage.
Le commerce international des légumes et fleurs hors-saison représente du travail pour quelques uns et de la richesse pour une minorité. Mais pour tous ceux qui découvrent que l’eau de leurs terres a été extraite en amont par de grosses entreprises, cela représente de nouvelles difficultés et même des dégâts permanents à l’environnement.

Bruce Lankford, conférencier sur les ressources naturelles à l’université d’East Anglia, a déclaré hier : « Nous exportons la sécheresse. L’agriculture à forte valeur-ajoutée est bonne pour les économies de ces pays mais ses effets sur la pauvreté sont disparates. A la saison sèche, les fermiers en aval (du réseau d’irrigation) se retrouvent avec des lits de rivières à sec ».

Un documentaire de la chaîne de télévision Channel 4, Un Monde Sans Eau (A World Without Water), diffusé ce soir, décrit les conséquences de la pénurie croissante de l’eau et des batailles qui se livrent autour. L’eau est de plus en plus considérée comme un bien commercialisable et une source de profits, privant ainsi les plus pauvres d’un des éléments essentiels à la vie.

Comme pour l’Afrique, de nombreuses salades chez nous proviennent des zones frappées par la sécheresse du sud de l’Espagne, où les pluies l’année dernière ont été les plus faibles jamais enregistrées. La production de tomates nécessite des usines de désalinisation qui consomment beaucoup d’énergie et qui ont provoqué une augmentation du taux de sel dans les eaux côtières. La surface des serres est si étendue qu’on peut désormais l’observer depuis l’espace.

En Egypte, les légumes sont devenus si importants pour l’exportation que le gouvernement a menacé d’une action militaire tout pays en amont qui construirait un barrage sur le Nil ou un de ses affluents. La moitié de toutes les fleurs coupées vendues dans les supermarchés britanniques proviennent du Kenya, où le volume des exportations vers la Grande Bretagne a augmenté de 85% entre 2001 et 2005.

Les roses et les oeillets sont les spécialités de la région, mais le niveau de consommation de l’eau du Lac Naivasha est insoutenable.

David Harper, biologiste à l’université de Leicester, qui surveille le lac pour le compte de l’ONG Earthwatch depuis 17 ans, a dit « Naivasha est en train d’être sacrifié parce que nous avons besoin de trop d’eau. Pratiquement tous les européens qui ont mangé des haricots ou des fraises kenyans, ou qui ont admiré des roses kenyanes, ont acheté de l’eau du Naivasha. Le lac est en train de s’assécher. Il va se transformer en un étang boueux et puant au bord duquel des communautés misérables tenteront de survivre. »
Il y a quarante ans, la vision cauchemardesque présentée par des experts tels que Paul Ehrlich, biologiste à l’université de Stanford, dans son livre « The Population Bomb » était que la population augmentait si vite que la terre serait incapable de produire suffisamment de nourriture. Le désastre ne s’est pas produit grâce à un accroissement extraordinaire des rendements générés par d’énormes investissements en irrigations. Mais ceci a crée une autre menace.

Fred Pearce, l’auteur de « When The Rivers Run Dry » (lorsque les rivières assèchent), dit « Aujourd’hui, le monde produit deux fois plus nourriture qu’il y a une génération mais pour cela consomme trois fois plus d’eau ».
« Deux-tiers de cette eau extraite de la nature est employée à l’irrigation des récoltes. Cette consommation d’eau est largement insoutenable et beaucoup en sont arrivés à la conclusion que l’apocalypse n’a pas été évité, mais seulement retardé. »
Les ONG avertissent que si les conflits passés portaient sur le pétrole, ceux du futur porteront sur l’eau. Jacob Tompkins, directeur de Waterwise, qui milite en faveur de la réduction de la consommation d’eau, dit que des guerres « froides » de basse intensité sont déjà en cours. « Nous sommes en train d’exploiter une eau qui ne peut être remplacée. Cela ne peut pas continuer. Une meilleure gestion de l’eau dans l’avenir dépend des décisions prises dès aujourd’hui. Si nous devions payer pour la part d’eau comprise dans notre nourriture, nous réduirions la quantité d’eau utilisée. »

Les consommateurs pourraient commencer par privilégier des variétés de légumes « peu gourmandes » en eau. La pomme de terre Maris Piper consomme beaucoup d’eau tandis que la Desiree résiste à la sécheresse et peut pousser sans irrigation. M. Tompkins dit « la pomme de terre Desiree est aussi bonne au goût mais les supermarchés ont tendance à ne pas en proposer parce qu’ils disent que les consommateurs ne les aiment pas. Ils ne nous donnent pas le choix. Le meilleur chose à faire pour les consommateurs serait de se demander quelles quantités d’eau sont nécessaires pour faire pousser les légumes et faire pression sur les supermarchés pour que ces derniers proposent des produits qui consomment peu d’eau. » [A World Without Water, Channel 4, Saturday, 7.30pm ]

Jeremy Laurance

Poussés vers la Secheresse

- Rajasthan, Inde : Coca-Cola est accusé d’avoir accentué les pénuries d’eau dans la région qui souffre déjà d’un manque de réserves et de pluies. Les chiffres du gouvernement indiquent que malgré les faibles pluies, les niveaux d’eau sont restés stables entre 1995 et 2000, date à laquelle l’usine de Coca-Cola est entrée en activité. Les niveaux des réserves ont ensuite chuté de près de 10 mètres, asséchant les fermes aux alentours. Il faut trois litres d’eau pour fabriquer un litre de Coca-Cola et on craint que la zone ne devienne un « trou noir », laissée à l’abandon à cause du manque d’eau.

- Equateur : le producteurs équatoriens de roses utilisent couramment 15 à 20 fongicides, insecticides et herbicides pour chaque hectare de fleurs expédiées vers l’Europe. L’usage intensif des produits chimiques empoisonne les cours d’eau et les nappes phréatiques - avec des effets dévastateurs sur la faune et la flore tout en touchant l’eau potable.

- Tanzanie : la population rurale des zones centrales sèches de la Tanzanie subit des rationnements sévères à cause du manque d’eau. L’accroissement de la production agricole, principalement destinée à l’exportation vers l’Europe, est en partie responsable de la diminution de l’eau dans un pays qui est déjà en proie à un problème de quantité d’eau disponible par habitant et une population en croissance rapide.

- Vietnam : l’expansion des plantations de café dans la province de Dak Lak a apporté une prospérité économique dans la région, mais a aussi provoqué des dégâts sur l’eau. Des conflits sociaux provoqués par le manque d’eau sont devenus plus fréquents et une bonne partie de l’eau potable a été contaminée par les pesticides et les fertilisants.

- Chine : Pour chaque tonne de riz, les rizières chinoises drainent 2.000 tonnes d’eau. Alors que la Chine a connu une stabilité relative dans les niveaux d’eau au cours du dernier siècle, les conséquences de la consommation croissante de riz en Occident commencent à se faire sentir. D’ici 2025, la moitié de la population mondiale dépendra en partie du riz pour son régime alimentaire.

- Venezuela : les forets tropicales des Andes jouent un rôle important dans l’hydrologie. Les effets de la demande croissante de l’Occident pour le boeuf, le café et le chocolat vénézuélien commencent à peine à se faire sentir.

Kate Thomas

- Source : The Independent

- Traduction : Viktor Dedaj pour Cuba Solidarity Project



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