LEFRANCAIS, GUSTAVE (I)

vendredi 16 juillet 2010
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J’en cherchais un, j’ai trouvé deux Gustave Lefrançais
D’abord, bien sûr parce que chronologiquement, le communard.
Daniel Bensaîd, qui s’y est intéressé avant moi, dit de lui : « Moins célèbre que Varlin, Vallès, Flourens ou Rossel, il fut pourtant le premier président de la Commune de Paris et, tout Lefrançais qu’il fût, Eugène Pottier lui dédia l’Internationale. »
La piste apparaît bonne à suivre...
Le second se présente plutôt de façon énigmatique.
Il intitule un article : « Le totalitarisme cosmopolite du monde de l’avoir est désormais gravement malade...Qu’il crève et qu’enfin vive la passion de l’être. »
Et vous, vous en avez de l’avoir ?
On présente cependant son auteur comme « philosophe marxiste, nietzchéen et heideggerien » et on dit qu’il affectionne l’anonymat et que, lorsque on insiste, « il signe Gustave Lefrançais, du nom de ce communard radical qui dénonça par avance toutes les complémentarités insidieuses qui font de la droite et de la gauche les deux articulations inter-actives de l’échiquier politique de la servitude marchande. »

J’y reviendrai

« La servitude marchande » ? Bigre ! C’est attrayant comme thème... une autre bonne piste à suivre qui semble prolonger dans le présent un épisode qui est rarement évoqué dans les livres d’histoire scolaires, mais le capitalisme s’est doté « d’appareils idéologiques d’Etat », comme le dirait Althusser, et il convient qu’ils assument le rôle qui leur a été confié.

QUAND L’HISTOIRE SE CASSE EN DEUX

Notre ami le communard, s’il adhère à Genève à l’Internationale, est également influencé par Bakounine. Aussi, quand il meurt le 16 mai 1901, un compagnon lit son propre testament :
« Je meurs de plus en plus convaincu que les idées sociales que j’ai professées toute ma vie et pour lesquelles j’ai lutté autant que j’ai pu sont justes et vraies.
« Je meurs de plus en plus convaincu que la société au milieu de laquelle j’ai vécu n’est que le plus cynique et le plus monstrueux des brigandages.
« Je meurs en professant le plus profond mépris pour tous les partis politiques, fussent-ils socialistes, n’ayant jamais considéré ces partis que comme des groupements de simples niais dirigés par d’éhontés ambitieux sans scrupules ni vergogne.
« Pour dernières recommandations, je prie mon fils Paul de veiller à ce que mon enterrement – exclusivement civil bien entendu – soit aussi simple que l’a été ma vie elle-même, et à ce que je sois accompagné que de ceux qui m’ont connu comme ami et ont bien voulu m’accorder soit leur affection, soit plus simplement leur estime. »

« Son roman de formation, indique Daniel Bensaïd, résume l’expérience d’un siècle où l’histoire s ’est cassée en deux.
« Peut-on imaginer la profondeur de cette coupure ?
« Témoin, de sa fenêtre, de la tuerie, le jeune défroqué Ernest Renan écrit à sa soeur Henriette le 1er juillet 1848 :
« L’orage est passé, ma chère amis, mais il laissera longtemps après lui de funestes traces ! Paris n’est plus reconnaissable : les autres victoires n’avaient que des chants et des folies ; celle-ci n’a que deuil et fureur.

LA CLASSE BOURGEOISE CAPABLE DE TOUS LES EXCES !

Renan poursuit : « Les atrocités commises par les vainqueurs font frémir et nous reportent en un jour à l’époque des guerres de religion.
« Quelque chose de dur, de féroce, d’inhumain s’introduit dans les moeurs et dans le langage. Les personnes d’ordre, ceux qu’on appelle les honnêtes gens ne demandent que mitraille et fusillade : l’échafaud est abattu, on y substitue le massacre : la classe bourgeoise a prouvé qu’elle était capable de tous les excès de notre première Terreur avec un degré de réflexion et d’égoïsme en plus. »

1500 tués au combat. 3000 exécutions. 12 000 déportés.
« Lefrançais et ses frères d’armes en furent, au contraire, déniaisés une fois pour toutes », indique Daniel Bensaïd.
« Après juin 1848, il n’y a plus une République, mais deux. Irréconciliables.
« La bleue et la rouge. La bourgeoise et la sociale. »

LA NAISSANCE DE LA REPUBLIQUE BOURGEOISE

Marx écrit alors : « Le véritable lieu de naissance de la République bourgeoise, ce n’est pas la victoire de Février, c’est la défaite de Juin. »

« Quels rapports existe-t-il, demande encore Lefrançais, entre la conception moderne d’une république égalitaire, basée sur le travail, et les républiques antiques à patriciens, à plèbe et à esclaves ?
Décidément, « notre république n’a rien de commun avec la vôtre : juin l’a suffisamment démontré ! »

Et la Commune de 1871 confirme Juin 1848. La révolution du 18 mars porte au pouvoir un gouvernement de « sans-grades, d’inconnus, d’ignorants », qui sera un jour la gloire de « la première vraiment populaire de nos révolutions. »

LA FRACTURE DE CLASSE DE LA GUERRE CIVILE

Après la défaite, Lefrançais résume les racines de la fracture de classe qui est la clef de la guerre civile :

« Les vrais « crimes » de la Commune,ô bourgeois de tous poils et de toutes couleurs : monarchistes, bonapartistes, et vous aussi républicains roses et même écarlates ; les vrais crimes de la Commune qu’à son honneur vous ne lui pardonnerez jamais ni les uns ni les autres, je vais vous les énumérer...La Commune, c’est le parti de ceux qui avaient d’abord protesté contre la guerre en juillet 1870, mais qui, voyant l’honneur et l’intégrité de la France compromis par votre lâcheté ont tenté l’impossible pour que l’envahisseur fût repoussé en dehors des frontières...La Commune, pendant 6 mois, a mis en échec votre oeuvre de trahison...La Commune a démontré que le prolétariat était préparé à s’administrer lui-même et pouvait se passer de vous...La réorganisation des services publics que vous aviez abandonné en est la preuve évidente...La Commune a tenté de substituer l’action directe et le contrôle incessant des citoyens à vos gouvernements, tous basés sur la raison d’Etat, derrière laquelle s’abritent vos pilleries et vos infamies gouvernementales de toutes sortes...Jamais, non jamais, vous ne lui pardonnerez. »

PRODUCTEURS, SAUVONS-NOUS NOUS-MEMES !

Daniel Bensaïd considère que la formule vaut pour lui au pied de la lettre. Elle est à la base de son hostilité envers toutes formes de délégation représentative et d’un goût jamais démenti pour la démocratie directe.

« Par deux fois, poursuit-il, en un quart de siècle, la génération de Lefrançais a subi la cuisante épreuve des lâchetés et de la cruauté bourgeoise.
« Aussi appartient-il avec Vallès, Varlin, Courbet, Frankel, Beslav, Longuet, Vermorel, à la minorité de la Commune qui vote contre la création d’un Comité de Salut Public.
« Non seulement, il désapprouve le fait de rejouer en farce les grandes heures de la Terreur jacobine, mais il craint qu’un tel comité ne devienne une arme aux mains d’un parti, alors que la Commune de Paris est « l’expression et la force impersonnelle de la révolution. »
Elle doit le rester.

VIGILANCE CONTRE TOUTE USURPATION DU POUVOIR

Cette vigilance contre toute forme de délégation, de confiscation, d’usurpation du pouvoir et contre la formation d’une « caste nouvelle des employés d’Etat au moyen d’une Ecole d’Administration » ( une ENA avant l’heure envisagée par le thermidorien Carnot ), a pour contrepartie le souci de toute une vie pour l’éducation et l’éducation populaire.
« Lefrançais, dit Bensaïd, est sans cesse à l’écoute de ce qui fermente dans les clubs et les associations. Il s’émerveille de cette prolifération de vie et de culture populaire, où les classes laborieuses font leur apprentissage à grande échelle, contrairement à ce qui se passait dans les cercles fermés des sociétés secrètes.
« Dans les années 60, il assiste avec enthousiasme à l’essor du mouvement ouvrier moderne dont les formes solidaires entrent en conflit avec la concurrence sur laquelle repose « l’exploitation des salariés par les salariants ».
« Mais il combat aussi les illusions proudhoniennes dont les associations, « si fraternelles soient-elles », ne feraient que « substituer la guerre de groupe à groupe à celle d’individu à individu. »
« Le seul moyen de déjouer ce piège, c’est la « fédération des associations ouvrières solidarisées ; mais l’idée n’est pas encore mûre... »

LA REPUBLIQUE MODERNE, C’EST LA SOCIALE

Pour Daniel Bensaïd, le mot de la fin appartient à Lefrançais, « communiste irréconciliable et rebelle irréductible » :

« Aujourd’hui, la république ne vaut qu’autant qu’elle est la négation de toute suprématie, de tout privilège, non seulement d’ordre administratif, mais encore et surtout d’ordre économique.
« En un mot, la République moderne, c’est la sociale.
« Le grand honneur de la Commune de Paris, c’est de l’avoir compris.
« Et que les prolétaires ne l’oublient pas, ces derniers, les républicains plus ou moins radicaux et même intransigeants, ne sont pas moins dangereux parmi leurs implacables ennemis. »

Et, pour sa part, Bensaïd conclut :
« On est à mille lieux de la République prêtre, de la République pionne, de la République d’ordre, disciplinaire et inégalitaire, à mille lieux d’une gauche servile aux possédants, de ses reniements et de ses renégations, de ses révérences et de ses génuflexions. »

L’HISTOIRE A POURSUIVI SON CHEMIN

Les conclusions précédentes ne peuvent être une fin.
Le compère actuel de Gustave Lefrançais ne prend pas le train en marche lorsqu’il rappelle :
« Ecrasé militairement ou désemparé socialement, de la Commune de Paris à la Commune de Kronstadt, des barricades de 1848 au torpillage massif des grèves de 36 et de 68, le prolétariat a constamment vu ses luttes se retourner contre lui dès lors qu’elles demeuraient encore prisonnières des idéologies du monde qu’elles prétendaient dépasser et que reproduisaient toutes les polices politiques et syndicales qui prétendaient parler en son nom afin de le mieux faire taire.
« Toutes les organisations de gauche ( social-démocrates ou léninistes) qui ont passé la totalité de leur durée historique à encadrer et saboter les luttes ainsi que leurs larbins gauchistes ( trotskistes, maoïstes et libertaires ), ne constituent rien d’autre que la gauche de l’appareil politique du capital, fraction pleinement complémentaire et indissociable de la droite puisqu’ensemble ils représentent l’agencement unitaire des contrariétés de l’appareil d’Etat à partir duquel peut se développer la maintenance et la modernisation des mystifications sociales... »

QUEST LE PROLETARIAT DEVENU ?

« Aujourd’hui, constate notre Gustave Lefrançais actuel, le prolétariat est ainsi massivement précarisé, atomisé, et perdu en un lui-même réécrit de travers puisque le rapport social de la domination de l’argent règne sans partage sur le monde de l’in-concience démocratique et que le spectacle universel du fétichisme de la marchandise a envahi tous les domaines du quotidien jusqu’à envisager de pouvoir faire de chaque regard la duplication de sa vision totalitaire.
« En d’autres termes, le capitalisme après avoir fait de la matérialité du corps social sa propriété indivise, a fait mainmise sur l’intériorité des âmes en se posant comme horizon indépassable de tout ce qui rend possible l’émotion, dorénavant cloîtrée dans les galeries marchandes d’une histoire orwellienne réalisée.
« Au stade suprême de la colonisation de l’être par l’impérialisme de l’avoir, le dernier marché soumis par le capitalisme, c’est l’intimité la plus profonde de chaque cerveau devenue simple et narcissique parcelle idéologique uniformisée du développement nécessaire de l’ignominie économique générale. »

DEGAGER LES HORIZONS DU CHANGEMENT DE SOCIETE

Sans doute faut-il considérer le caractère quelque peu unilatéral d’une telle analyse, lequel ne manquerait pas d’obscurcir les horizons d’un changement de société dont les perspectives se dessinent pourtant dans le mouvement des consciences qui accompagne celui des réalités matérielles.
Nous retrouvons alors Gustave Lefrançais dans cette analyse :
« Depuis la première boucherie mondiale, le capitalisme est un système social en pleine décadence.
« Il ne peut plus offrir à l’humanité que la puanteur de son cycle barbare de crise, guerre mondiale, reconstruction, puis nouvelle crise...
« Avec ce nouveau siècle, il est entré dans la phase ultime de cette décadence, celle de la décomposition de toutes les conditions rendant possible la reproduction de sa composition.
« Aujourd’hui, dans ce monde du captieux rayonnant et de l’inversion généralisée, le krach inévitable du système des fictions faramineuses de l’économie spéculative s’annonce de plus en plus proche.
« Aussi, l’empire américano-israélien qui aspire au gouvernement du spectacle mondial n’a-t-il rien d’autre à offrir à la planète pour échapper à la faillite et tenter de sauver un dollar sur-hypothéqué que le chaos de la guerre sans fin par la mise en scène permanente de coups montés terroristes de vaste ampleur, menés de l’intérieur même des services spéciaux de la provocation étatique... »

LA VERITE DE LA VIOLENCE MARCHANDE

« Aujourd’hui, poursuit Gustave Lefrançais bis, la vérité historique du secret de la violence marchande est sous les yeux de tous.
« Les mystères du terrorisme et de ses attaques cabalistiques sous faux drapeau sont toujours le masque du pouvoir qui provoque, infiltre, obscurcit, calcule et manipule.
« Le véritable coeur du spectacle terroriste est le coeur véritable de l’Etat et le coeur mondial du spectacle terroriste international se dilue dans les caves impénétrables du Pentagone là où de très spéciaux escadrons de la mort ont monté le coup du 11 septembre et préparé toutes les explosives exécutions industrielles qui s’en sont suivies, de Madrid à Londres en passant par Beyrouth et Islamabad...
« Le spectacle du terrorisme mondial n’est donc pas une explosion d’imprévisible violence improvisée mais la conclusion organique des processus complexes de la crise marchande généralisée au cours de laquelle les caractéristiques fondamentales de l’impérialisme américain lui imposent, pour conserver sa prépondérance et ses prérogatives, de développer la stratégie du chaos spectaculaire universel... »

UNE SEULE ALTERNATIVE A LA DEMENCE

Pour Gustave Lefrançais, « l’opéra mythologique mondialiste des grandes machineries financières et terroristes ne va pas cesser de tenter d’intensifier le contrôle technique et policier de la planète à mesure qu’il va perdre de plus en plus la capacité de se contrôler lui-même.

« Il n’y a, dit-il, qu’une seule alternative devant cette démence irréversible : Insurrection de l’être ou barbarie de l’avoir, révolution sociale mondiale ou destruction de l’humanité.
« La seule possibilité de sortir d’un monde où les désirs humains sont niés par la dictature des besoins solvables, c’est d’en finir avec les lois sur lesquelles repose l’économie politique de la servitude en abolissant le salariat et la production marchande de la non-vie... »



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