Six mois après, « business as usual » en Haïti ?

jeudi 15 juillet 2010
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Six mois après le séisme qui a ravagé Haïti, le 12 janvier 2010, c’est Médecins du monde qui le dit : jamais les Haïtiens n’ont été aussi bien soignés. Le secteur médical privé s’est effondré, les consultations ont triplé et les médicaments sont gratuits [1]. Les plus démunis sont mieux nourris, le Programme alimentaire mondial (PAM) assure la gratuité des cantines scolaires. Près de 300 000 personnes ont été engagées dans le programme « Cash and food for work », comprenant un travail, l’assurance santé et un repas, le tout pour 200 gourdes par jour (moins de 4 euros), soit le salaire minimum – que le président, M. René Préval, trouve excessif.

Si l’on exclut l’université, qui devra attendre, la reconstruction des écoles, et, au-delà, celle du système scolaire, fait figure de priorité. L’Etat, qui scolarise 10 % des enfants, promet d’en accueillir la moitié d’ici dix ans. La Banque interaméricaine de développement (BID) annonce 300 millions de dollars – la moitié de l’investissement total prévu dans l’agriculture – pour aider le pays à parvenir à l’autosuffisance alimentaire. En 2008, la pénurie avait déclenché des émeutes de la faim dans le pays. Serait-ce la « refondation » tant attendue ?

Proposé par les organisations sociales alternatives, le concept – qui évoque l’éradication des mauvaises habitudes politiques et des inégalités abyssales de la société haïtienne – a fait florès. Pas un secteur qui ne l’ait repris à son compte ! Et pourtant… Selon le gouvernement, la médecine gratuite n’a plus que quelques mois d’existence devant elle. Les abris provisoires sont encore rares et le déblaiement avance à vitesse d’escargot en l’absence de titres de propriété, de cadastre et de véritable volonté des pouvoirs publics face aux intérêts privés. Quand elle peut se faire, la reconstruction rappelle de plus en plus l’urbanisme de jadis. Et puis, une évidence : le PAM ne durera que tant qu’il y aura des bailleurs.

Or, ces derniers peinent à concrétiser leurs engagements. La conférence de Punta Cana, en juin dernier, a certes réitéré les promesses (11 milliards de dollars), mais sans précisions sur l’échéancier. Les principaux donateurs peinent à passer de la promesse au don. On ne sait plus si on disposera de 11 ou de seulement 8 milliards. Seuls les pays latino-américains (Brésil, Venezuela et Cuba notamment) ont honoré leurs engagements. Les promesses concernant l’accueil de réfugiés, elles non plus, n’ont pas été suivies d’effet. La France, par exemple, n’a pas assoupli sa réglementation relative au regroupement familial et les reconduites à la frontière démontrent la vacuité du moratoire annoncé.

En matière de refondation, le gouvernement haïtien donne-t-il vraiment l’exemple ? Le président Préval manœuvre pour étendre son mandat et éluder les questions sur les affaires de corruption datant d’avant le séisme. Les élections sénatoriales d’avril 2009 s’étaient tenues non sans difficultés avant le tremblement de terre. Ce dernier ne facilite pas les choses dans la perspective du scrutin prévu pour 2011, censé renouveler la Chambre des députés, un tiers du Sénat, la présidence et les collectivités locales. Le Conseil électoral provisoire – « provisoire » depuis des lustres – est chargé de les programmer. Proche de la présidence, il est récusé par une opposition que l’état d’urgence affaiblit. Et que Préval cherche à récupérer ou à annihiler.

Comme avant le séisme, l’exécutif se refuse à discuter avec le mouvement social, seul, pourtant, à bénéficier d’un indiscutable crédit auprès de la population. Aucune consultation : ni avec les mouvements alternatifs [2], ni avec les syndicats paysans (la moitié de la population est rurale), ni avec les coopératives ou les associations à vocation sociale.

Et la communauté internationale, pourtant échaudée et méfiante face à la corruption des élites (M. William Clinton, représentant de l’ONU, est censé avoir l’œil sur le premier ministre haïtien, M. Jean-Max Bellerive), refuse de suivre le conseil de certaines ONG : encourager, au travers d’un mouvement social toujours vigoureux malgré les désastres politiques ou géologiques, une éducation citoyenne et une démocratie participative. Un mouvement social qui jouerait son rôle dans la définition et le contrôle des objectifs. Comment, en effet, renforcer un Etat aussi corrompu autrement qu’en favorisant les contre-pouvoirs ?

Avec l’arrivée à échéance de l’aide d’urgence, avant la fin de l’année, les lendemains du séisme pourraient prendre un chemin bien connu en Haïti, comme le soulignait un récent débat organisé par Médecins du monde [3] : l’aggravation des inégalités. Ou la transformation d’Haïti en une immense zone franche, ce qui équivaudrait à la perpétuation du non droit.

La Commission intérimaire pour la reconstruction d’Haïti (CIRH) est une création internationale unique, aux dimensions internationales, dont les règles de fonctionnement demeurent incertaines : rompront-elles avec une politique qui favorise les classes sociales supérieures ? Avec l’opacité ? Pour l’heure, rien ne semble l’indiquer.

De leur côté, les « parrains internationaux » (Canada, Etats-Unis, République dominicaine) se mobilisent davantage autour des contrats de reconstruction que de la société à reconstruire : « business as usual », en quelque sorte. Le voisin dominicain, qui exploite sans vergogne les travailleurs haïtiens, se verrait bien en puissance émergente reconnue. Et le président du pays, M. Leonel Fernandez, en parrain de la reconstruction, au profit d’entreprises du bâtiment à la recherche de nouveaux marchés, après le boom immobilier local de ces dernières années. Un leadership d’après séisme que le Canada – sous la pression de son gouverneur général, Mme Michaëlle Jean, d’origine haïtienne – endosserait bien lui aussi. Sans parler des Etats-Unis, qui semblent avoir installé leur armée de façon durable dans la région.

Au lendemain du séisme, un vaste mouvement d’exode urbain s’était développé. L’objectif : regagner la province d’origine en quittant la « République de Port-au-Prince » (selon son appellation locale), sinistrée. Faute d’accueil et d’un minimum d’aide sur place, en l’absence de collectivités locales disposant de moyens, le mouvement s’inverse aujourd’hui.

En Haïti, l’écrasante majorité de la population est qualifiée de « pays en dehors » [4]. En dehors de tous les circuits d’échange, d’information, de participation à la vie démocratique… Bannir l’exclusion, faire entrer Haïti dans son siècle, construire enfin la cité, entend-t-on aujourd’hui de toutes parts. Chiche ! « Casser, comme le répète l’écrivain Frankétienne, cet assistanat, un état dégradant, une humiliation… Contre les structures mentales, un seul remède, c’est l’éducation [5]. »

En attendant, faute de changement de cap, le séisme pourrait se doubler d’une deuxième catastrophe : météorologique (avec la saison des cyclones), sismique… ou sociale et politique. La compassion démonstrative (à dimension laïque ou religieuse) suffira-t-elle à prévenir le sentiment d’isolement, d’abandon ou d’injustice qui perdure depuis des siècles ?

Sur le blog de Christophe Wargny le 13/07/2010 Monde diplomatique

-Six mois après le séisme, des conditions de vie épouvantables
"Plus de 1 million de personnes continuent de vivre dans d’épouvantables conditions", six mois après le séisme qui a ravagé Haïti, le 12 janvier, dénonce le site d’information de Port-au-Prince, citant un bilan du Service jésuite aux réfugiés. "Là où la situation est la plus critique, c’est dans les camps non officiels, ignorés par les autorités et les organisations humanitaires. Leurs habitants reçoivent peu d’aide ou pas du tout", précise-t-il. Le tremblement de terre avait fait 250 000 morts et 1 million de sinistrés.

Source AlterPresse le 12/07/20

Médecins du monde parle-t-il du même pays ?...

Transmis par Linsay


[1Conférence du 3 juin 2010, Paris. C’est surtout vrai dans les camps officiels, les autres vivent des conditions épouvantables.

[2Parmi eux, la PAPDA (Plate-forme haïtienne pour un développement alternatif), le GARR (Groupe d’action pour les réfugiés et les rapatriés) ou Solidarité femmes haïtiennes. On retrouvera leurs propositions sur le site Alterpresse.

[3Voir note 1.

[4Pour reprendre le titre de l’ouvrage de Gérard Barthélemy, Le Pays en dehors, qui reste essentiel à la compréhension de l’univers rural haïtien (Cidhica, Montréal, 1989).

[5Le Monde, 22 mai 2010.



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