Kafka à Roissy : mon bébé et moi dans la folie sécuritaire

samedi 17 juillet 2010
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Je suis une habituée du train. Quand ma mère m’a appelée pour me dire que ma grand-mère était décédée, j’ai naturellement pensé me rendre à Toulouse avec mon fils de 2 mois en train. Il est habitué, je lui ai fait traverser la France deux fois.
Malheureusement, comme je ne suis pas sûre d’avoir une place assise ni de couchette, car j’effectue ma réservation tardivement, je me vois obligée de me rabattre sur l’avion.

Comme je n’ai pas trop l’habitude de ce moyen de transport, j’appelle le numéro de leur service client pour demander ce qu’il convient de faire avec un bébé en bas âge. On m’explique la marche à suivre. Je note sur un papier :

« Se présenter à un guichet “vente” avant le vol pour faire éditer un billet pour le petit. »

Je demande si c’est tout. On me répond que oui.

Le soir du départ de Roissy - Charles-de-Gaulle, le 4 juin, je pars en RER avec mon fils Joseph en écharpe contre moi et mon mari qui m’accompagne afin de m’aider avec mes bagages et me soutenir dans ce moment difficile. Arrivée à l’aéroport, une hôtesse, sur présentation de ma seule carte d’identité, édite un billet pour Joseph après m’avoir demandé sa date de naissance.

Je me rends donc au bureau de pré-enregistrement des bagages, où l’on vérifie vos papiers une première fois. J’ai une valise-cabine dont la roue est cassée et qui contient toutes les affaires de mon fils et les miennes.

Une hôtesse souriante me demande ma pièce d’identité ainsi que celle du petit. Je lui tends seulement la mienne, en lui disant que mon fils n’a que deux mois et qu’il n’a pas encore de pièce d’identité, ce qui pour moi est évident, d’autant plus qu’on ne me l’avait pas dit au téléphone.

« Vous ne regardez jamais les informations ? »

L’employée grimace et ouvre de grands yeux en me demandant mon livret de famille, pièce que je ne savais pas revêtir une quelconque importance puisqu’il n’y figure aucune photo.

Sentant que la dame au bout du fil a oublié de me prévenir de quelque chose de capital, je lui montre la carte SNCF « enfant + » de mon fils (avec photo) ainsi que son carnet de santé. Elle prend connaissance de ces documents et les emporte au bureau des enregistrements où ses collègues et elle, après un conciliabule assez long, décident qu’ils ne peuvent pas me laisser partir dans ces conditions.

La dame revient m’annoncer la nouvelle. Je suis estomaquée, sans doute parce que je suis une habituée de la liberté du train. Elle s’exclame sur le ton de l’évidence :

« Mais avec tous ces enlèvements d’enfants ! »

J’avoue qu’à cet instant, la perspective de ne pas pouvoir rejoindre Toulouse à temps me fait perdre patience. J’ouvre ma valise pour en sortir tout ce qui prouvait que mon bébé était bien le mien, pour rien. L’employée continue :

« Vous ne regardez jamais les informations ? »

Je pousse un soupir, essaie de me calmer. Mon mari, moins aimable, leur dit que ce bébé ne peut pas être volé « à moitié » : ou ils appellent la police ou ils nous laissent passer !

L’impression de parler à des robots

Les deux hôtesses ne veulent rien entendre. J’appelle ma mère pour lui annoncer que je ne pouvais pas partir, et je fonds en larmes devant les employées. Elles acceptent alors de nous replacer sur un vol le lendemain matin à 7 heures plutôt que celui de 14 heures, qui me ferait rater les obsèques.

C’est précisément sur ce vol que doit partir ma sœur aînée. J’accepte. Je suis épuisée, j’ai l’impression de parler à des robots.

Nous nous rendons tôt à l’aéroport le lendemain avec ma sœur. La veille au soir j’ai vérifié la réservation sur Internet sans quoi je n’aurais pas pu fermer l’œil. Pourtant, en arrivant à l’aéroport -toujours avec mon bébé mais cette fois avec une valise trop grosse pour la cabine car l’autre était cassée-, la réservation a disparu. Je ne peux donc pas partir.

A cet instant, je suis profondément désespérée, d’une tristesse totale.

Ma sœur, dans le même état, s’énerve comme moi la veille. L’hôtesse admet que la règle du livret de famille est excessive quand on voyage en France. Elle est humaine, elle compatit.

L’heure tourne et on cherche à nous trouver une place sur le vol. Heureusement, il reste une trace de la réservation de la veille quelque part, et on me croit donc. Mais on m’explique qu’on m’a replacée sur un vol plein et que la réservation s’est effacée à minuit.

Les appels se succèdent, j’ai l’impression que la chaîne d’autorisation est longue pour nous sortir de cette situation. Heureusement, mon fils est calme contre moi malgré ma tension. Plus de place du tout, me dit-on. Je m’abaisse à supplier, je veux juste partir.

L’hôtesse du guichet d’embarquement, qui a tout de suite compris le problème, fait des pieds et des mains contre une série de refus interminable. Finalement, on me débloque une place sur le vol mais comme l’enregistrement est terminé, je ne peux pas prendre ma valise.

Je dis que ça me va, que je la laisserai à la consigne.

« Ah non, il n’y a plus de consigne depuis les “événements”. »

L’hôtesse, qui décidément veut notre bien, court vers un guichet et demande à un homme s’il est possible qu’il fasse passer ma valise.

« Vous n’aviez qu’à arriver à l’heure »

Il nous répond froidement « non », indiquant que nous n’avions qu’à arriver à l’heure. A ces mots, nous nous écrions que nous étions à l’heure. Il nous dit que ce ne sont pas ses affaires et arrache les cartes d’embarquement si durement obtenues des mains de l’hôtesse pour les annuler.

Elle les lui prend à son tour en disant qu’elle trouvera une autre solution.

Là, ma sœur s’écrie « Bon, allez, on vide la valise. » Je me plie en deux avec mon fils pour vider à toute hâte le maximum de mes affaires (couches lavables…) dans nos sacs à main, mais aussi dans des sacs plastiques sous les regards de passagers alertés par nos pleurs et supplications et celui, froid, de l’homme qui a ordre de ne pas prendre cette valise.

Je lui dis qu’il me donne envie de vomir et lui tends ma valise vide. Il me répond -comble du sécuritarisme- qu’il n’a pas le droit de prendre une valise vide.

L’hôtesse lui dit elle-même « Mais elle est vide ! », bien consciente que c’est interdit mais lui demandant un effort. Il ne veut rien entendre, et l’hôtesse court vers la porte de l’aéroport. L’avion est censé partir cinq minutes plus tard.

« Je suis si contente que vous puissiez partir »

A ce stade, je fais entièrement confiance à cette dame, la seule avec sa collègue du point « vente » qui a montré depuis la veille une sympathie humaine alors que tous les autres ont agi comme des robots aux ordres, terrifiés d’enfreindre la moindre règle même ponctuellement. Même lorsque leur bon sens leur criait sans doute que
jamais nous ne pourrions attenter à la sécurité de qui que ce soit.

Je la suis en courant, en tenant mon bébé bien fort pour ne pas trop le secouer. Ma sœur court aussi avec nous, mais l’hôtesse lui dit de partir rapidement sinon elle aussi ratera l’avion. Elle m’embrasse en pleurant .

A cet instant, je suis sûre de ne pas pouvoir être avec ma famille en ce jour si triste.

Finalement, l’homme de la sécurité accepte de prendre la valise vide. L’hôtesse et moi courrons vers les portails, où elle doit enlever ses ballerines. Je pose mes sacs plastique sur le tapis, je suis dans un état de panique. Elle court au devant pour prévenir de ma venue. On appelle mon nom à la porte d’embarquement.

L’homme me court aussi après pour me demander mon identité afin d’avoir une chance de retrouver ma valise. Comme il n’était pas obligé de le faire, je le remercie à plusieurs reprises, même d’essayer. J’arrive à la porte d’embarquement et l’hôtesse insiste pour m’aider à porter mes sacs en plastique dans le couloir qui mène à l’avion.

Avant de me laisser, je prends le temps de la remercier. Quelque chose de terriblement beau et humain se passe. Elle fond en larmes et me dit : « Je suis si contente que vous puissiez partir. » Je la serre dans mes bras.

Je tiens ici à la remercier encore pour son humanité et sa compassion.

Par Coralie Desbois Professeur le 15/07/2010 source Rue 89

Transmis par Linsay



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