Le pays où il n’est pas facile de faire grève

...si tant est qu’il y ait un pays où cela soit facile...
lundi 23 août 2010
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Les uns après les autres, ils s’insurgent. Et brandissent la menace d’une rentrée sociale à hauts risques. Depuis que le gouvernement du conservateur David Cameron a présenté son budget, le 22 juin, les syndicats britanniques évoquent ces grèves qui pourraient perturber la vie de leurs concitoyens une fois l’été passé. Des rues qui ne seraient plus nettoyées, des poubelles qui resteraient pleines, des métros qui ne rouleraient plus....

A lire la presse, l’ombre de « l’hiver du déplaisir » - comme l’ont baptisé les Britanniques en référence à la pièce de théâtre Richard III et à la première tirade du héros shakespearien - plane une nouvelle fois sur le Royaume. C’était fin 1978, début 1979, quand le premier ministre travailliste James Callaghan tentait désespérément, pour juguler une inflation galopante, de plafonner la hausse des salaires. S’ensuivirent des arrêts de travail dans tout le pays. Et l’élection de Margaret Thatcher.

Aujourd’hui, le 10 Downing Street, dont la priorité est de réduire un déficit budgétaire record en temps de paix, veut sabrer dans le train de vie de l’Etat. Avec, à la clé, près de 600 000 emplois en moins d’ici à à 2015 dans le secteur public, soit 10 % des effectifs. Ceux qui échapperont au couperet se sont, pour leur part, vu promettre deux ans de gel des salaires et une retraite amputée. Quant aux salariés du privé, qui ont déjà subi de plein fouet la récession, voilà que M. Cameron veut les faire travailler jusqu’à 66 ans d’ici à 2016. En France, la perspective d’une telle cure d’amaigrissement aurait déjà mis le pays en ébullition. Ici, rien. Si ce n’est des déclarations d’intention des organisations syndicales. Pourtant, il reste 6,9 millions de salariés syndicalisés en Grande-Bretagne, dont 4 millions dans le public. C’est deux fois moins qu’à la fin des années 1970 mais c’est encore 20 % de la population active.

Il faut dire que les mouvements sociaux ont fort mauvaise presse de ce côté de la Manche, où la liberté individuelle est une valeur non négociable. Surtout, il est très compliqué d’y faire grève. Cela relève même du parcours du combattant, au cours duquel les employeurs peuvent porter l’affaire devant la justice et obtenir facilement la fin des opérations. « C’est le droit de grève le plus restrictif des pays développés, explique Keith Ewing, professeur de droit à King’s College, il enfreint à plusieurs égards les droits de l’homme, comme l’ont souvent pointé le Bureau international du travail et le Conseil de l’Europe ». Ce qui n’empêche pas M. Cameron d’étudier, sous la pression du patronat, la possibilité de le réglementer encore un peu plus.

En tant que tel, le droit de grève n’existe pas en Grande-Bretagne. Constitutionnel en France, en Italie ou en Espagne, il est illégal sur l’île d’Albion. Les juges, qui ont façonné le Common law, considéraient qu’il violait les droits des employeurs. Le Labour, qui est né en 1899 du désir des syndicats de changer les choses, a accordé, en 1906, une « immunité » aux organisations désireuses de faire grève à certaines conditions. Et notamment à celle que leur motivation ne soit pas d’ordre politique.

Entre 1979 et 1990, Mme Thatcher a fait adopter pas moins de cinq lois pour encadrer toujours plus cette « immunité ». Son successeur John Major en a rajouté deux. Le New Labour de Tony Blair puis de Gordon Brown, qui a dirigé le pays entre 1997 et 2010, n’a pas jugé utile de lui rendre un peu de cet espace perdu.

Conséquence, aujourd’hui, les mouvements de solidarité sont, eux aussi, interdits : une grève doit porter sur les seules conditions de travail des salariés au sein de l’entreprise. Un juge a même considéré en mai, dans le cas de Johnston Press, qu’elle ne pouvait être organisée à l’échelle du groupe de presse, mais seulement de ses titres...

Par ailleurs, toute grève doit être précédée d’un référendum, dont l’organisation est soumise à une procédure complexe, avec multiples notifications à l’employeur et moult détails sur l’état des troupes rebelles (catégorie socioprofessionnelle, lieu de travail...). Il suffit d’une faille technique dans l’une de ces étapes pour que les avocats de la direction saisissent la justice. Et, le plus souvent, parviennent à leurs fins.

British Airways (BA), dont les hôtesses et stewards, après vingt-deux jours de grève depuis le début de l’année, envisagent de nouveaux arrêts de travail en septembre 2010, en sait quelque chose. En décembre 2009, un tribunal a arrêté Unite dans son élan au motif que le syndicat avait consulté des salariés en cours de licenciement, qui ne pourraient donc pas faire grève. De fait, la direction n’avait pas voulu lui communiquer la liste des partants... « Une grève de ce genre sur la période de Noël fait plus de mal à BA et au grand public » qu’à n’importe quel autre moment de l’année, a commenté le juge.

En mai, un de ses confrères a, à son tour, privé le personnel navigant de la compagnie aérienne de grève, malgré, là encore, un oui massif au référendum : le syndicat n’avait pas notifié à ses troupes, au moment des résultats, les onze bulletins invalidés. Le chiffre en question avait été transmis à la direction et figurait sur le site Web de Unite. Mais pas dans les SMS qu’avaient reçus ses membres. En appel, Unite a obtenu gain de cause. Une fois n’est pas coutume.

Par Virginie Malingre le 24/08/2010 source Le Monde

Transmis par Linsay


En médaillon, 4 des 647 ouvriers licenciés par TOTAL pour « grève illégale » en juin 2009



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