La défense juridique des droits des travailleurs

vendredi 3 septembre 2010
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La bataille d’un avocat qui a décidé de défendre les droits des ouvriers qui ont quitté leur campagne pour travailler dans les usines des zones urbaines.

Liu Pifeng est un homme riche. A la tête d’un cabinet d’avocats florissant de Jinan, dans l’est du pays, il roule à bord d’une Chrysler noire, ce qui est signe de réussite en Chine. Mais il n’a aucun mal à révéler ses origines modestes. Pendant la conversation, il relève les jambes de son pantalon - une habitude qu’ont les travailleurs chinois pour se rafraîchir les mollets pendant l’été. Et il attribue son physique trapu à l’alimentation de son enfance. « Je viens d’une famille de paysans, explique-t-il. J’ai grandi en mangeant des patates douces et, aujourd’hui, j’ai le même gabarit qu’elles. »

Ses origines paysannes lui ont laissé une autre trace : son empathie pour « les gens du bas de la société, qui sont si démunis ». C’est ce qui l’a poussé à consacrer une partie de son temps à un centre de consultation juridique gratuit pour les travailleurs migrants. Quelque 210 millions de Chinois ont quitté leur ferme pour construire les routes, les voies ferrées et les villes qui ont permis la fulgurante croissance économique du pays, et pour travailler dans les usines qui ont surgi dans leur sillage. Mais, selon la loi chinoise, ce sont des citoyens de seconde zone, qui ne bénéficient pas des mêmes prestations sociales que les citadins, et qui sont régulièrement exploités par leurs employeurs.

Quand il a créé son cabinet, en 1999, M. Liu se souvient qu’il voulait juste développer et faire prospérer son activité. « C’était ma seule ambition », dit-il. Mais, en découvrant certaines pratiques, notamment les pressions flagrantes que les autorités locales exerçaient sur les juges pour obtenir gain de cause dans des procès intentés par des citoyens lésés, il a commencé à réfléchir sur les injustices d’une société où le fossé entre les riches et les pauvres va s’accroissant. « J’étais très mécontent d’une série de mesures, mais j’ai appris qu’il ne sert à rien d’être mécontent, ou de se plaindre », poursuit-il. « Je devais m’occuper des problèmes concrets et commencer par la base. »

En 2002, l’avocat a donc créé son centre de consultation juridique gratuit. Il a installé une table de ping-pong dans la salle d’attente, distribué des prospectus et des brochures exposant les droits des travailleurs migrants dans les usines et sur les chantiers de construction, puis il a commencé à attendre les visites.

Les 54 avocats du cabinet de M. Liu n’étaient pas tous favorables à cette nouvelle orientation. « Mais je leur ai hurlé dessus », dit-il en riant, et les récalcitrants sont revenus sur leur position. Depuis son ouverture, le centre a aidé plus de 30 000 travailleurs migrants à récupérer 5 millions de yuans (735 000 dollars) de salaires impayés.

A l’heure où la Chine s’oriente tant bien que mal vers la primauté du droit, au lieu de laisser régner l’arbitraire, les avocats ont, selon M. Liu, un rôle essentiel à jouer. « Il y a trente ans, nous nous contentions de représenter nos clients dans des procès. Aujourd’hui, nous prenons part à la politique et sommes attentifs au bien-être des gens ordinaires », dit-il.

Les riches avocats ont une responsabilité sociale, poursuit-il en montrant une calligraphie - base philosophique de son activité - exposée dans son cabinet. C’est un enseignement de Mencius, philosophe chinois confucéen du IVe siècle avant J.-C., qui dit : « Si vous êtes pauvre, renforcez votre vertu ; si vous avez réussi, aidez à sauver le monde. »

Sur un plan pratique, cet enseignement peut se traduire par l’aide juridique offerte à Zhu Shengguan, un travailleur migrant qui s’est récemment présenté au cabinet de M. Liu avec un air épuisé, en massant les moignons des deux doigts qu’il a perdus dans un accident de chantier. L’employeur, après avoir fait la sourde oreille, a fini par payer ses frais médicaux.

Au début, les recours contre les salaires impayés constituaient l’essentiel des activités du centre. Aujourd’hui, cinq avocats du cabinet de M. Liu consacrent la majeure partie de leur temps à régler des conflits de travail ou à poursuivre des employeurs ayant refusé de payer les cotisations sociales de leurs employés ou de leur signer un contrat.

Près de la porte de son cabinet, une autre calligraphie énonce les trois principes qui, d’après M. Liu, devraient guider l’activité de tout avocat : « Justice naturelle, droit national, amour du peuple. » En Chine, la justice naturelle et le droit national ne coïncident pas toujours, surtout quand il s’agit de travailleurs migrants. « Mon but, affirme M. Liu, c’est de rendre le droit national conforme à la justice naturelle. »

Permis de résidence

Si les travailleurs migrants ne sont pas traités de la même façon que les citadins « de souche », c’est notamment en raison du « hukou » , un permis de résidence qui permet à la Chine de contrôler et de limiter les migrations dans le pays, en particulier vers les villes.

Ce hukou est considéré par la population comme un instrument de discrimination. Les ouvriers migrants venus des zones rurales pour
travailler dans les villes peuvent obtenir, via leur entreprise, un « hukou collectif », mais ce permis n’a pas valeur de résidence permanente. Or les villes veulent réserver les avantages sociaux à leur population autochtone et jouent donc habilement sur cette distinction pour freiner l’attribution de droits ou de prestations aux migrants.

Par Peter Ford dans The Christian Science Monitor le 01/09/2010

Transmis par Linsay



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