DE ANDRE GORZ A L’ECOSOCIALISME

samedi 4 septembre 2010
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Ici, il sera question d’écologie politique.
Allons immédiatement à un questionnement essentiel : l’écologie est-elle soluble dans le productivisme et le capitalisme ?
Pour André Gorz, la réponse ne fait aucun doute : l’écologie politique doit être ancrée dans la critique du mode de production capitaliste et de l’aliénation dans le travail, et loin de légitimer l’accroissement du pouvoir des experts, elle doit au contraire viser la réappropriation par les individus de la maîtrise sur leur vie.

LA DEFENSE D’UN MONDE VECU

« L’écologie politique, dit-il, n’est pas identifiable aux politiques de « préservation du milieu naturel » qui, s’appuyant sur l’étude scientifique de l’écosystème, cherchent à déterminer scientifiquement les techniques et les seuils de pollution écologiquement supportables, c’est-à-dire les conditions et les limites dans lesquelles le développement de la technosphère industrielle peut être poursuivi sans compromettre sans compromettre les capacités autogénératrices de l’écosphère.
« Pour celles-ci, en effet, il ne s’agit pas de pacifier nos relations à la nature, mais seulement de la « ménager ( au double sens de management et demanagement ) »

Pour Charlotte Nordmann qui cite ainsi Gorz dans un article de « Sociologias », intitulé : « Ecologie, écologie : l’écologie existe-t-elle ? », l’écologie politique ne doit pas être assimilée à ce qui n’en fait qu’une recherche anxieuse des moyens de préserver l’industrialisme et le productivisme, motivée par la menace d’une apocalypse imminente.
« Gorz, dit-elle, nous rappelle ainsi que le mouvement écologique est né bien avant que la survie de l’humanité ne soit mise en question : son enjeu est à l’origine la lutte contre la destruction de la culture du quotidien par les appareils de pouvoir économiques et administratifs, de sorte que la défense de la « nature » doit ici s’entendre moins comme la défense d’un « milieu naturel » que comme celle d’un « monde vécu », où les individus peuvent s’épanouir parce qu’ils sont capables de le comprendre, d’y agir et de le maîtriser.

MAXIMISER L’AUTONOMIE DES INDIVIDUS

Pour Charlotte Nordmann, « l’engagement de Gorz dans le mouvement de l’écologie politique a d’abord ce sens, celui de la recherche des moyens de maximiser l’autonomie des individus, leur libération vis-à-vis tant de la nécessité matérielle que des contraintes construites par l’organisation capitaliste du procès de travail...

« Sa question, c’est celle des rapports des hommes à leur milieu, au monde vivant, naturel mais aussi social, dans lequel ils l’inscrivent. Il va ainsi jusqu’à mettre en garde contre les risques de « pétainisme vert, d’écofascisme, ou de communautarisme naturaliste... 
« Si, dit-elle, les impératifs écologiques relèvent simplement de la science, et non de la politique, on pourra accepter qu’ils soient mis en oeuvre de façon autoritaire, par des lois et des règlements contraignants, des « taxations, des subventions et des pénalités » qui dépossèderont plus encore les individus de leur capacité de décider collectivement de leur vie, sans changer rien aux mentalités ni aux valeurs construites par le système économique et social actuel...

LE DEVELOPPEMENT DURABLE RELEVE DU FANTASME

« Ce qui serait masqué, précise-t-elle, c’est le fait qu’il ne peut y avoir de politique écologique sans ruptures avec la logique capitaliste.
« Lorsqu’on ne reconnaît pas cette contradiction, on peut en venir à croire que l’impératif de « respect de l’environnement » va s’imposer de lui-même et à tous...
« Mais le capitalisme repose sur l’exigence d’une croissance constante, de l’augmentation continue du volume de marchandises produites et consommées, ce qui est directement contradictoire aussi bien avec la prise en compte du caractère fini des ressources naturelles qu’avec la rupture de l’idée que ces « ressources n’existeraient que pour être exploitées.
« Toute la rhétorique du « développement durable » relève de ce fantasme de continuer comme avant aussi longtemps que possible, à coups de mesures de protection d’un « milieu environnant » dont on craint qu’il ne soit bientôt tellement endommagé qu’il ne soit plus capable de supporter son exploitation...
« Or cette rhétorique a ceci de terrible... qu’elle fait en réalité obstacle à la reconnaissance de l’urgente nécessité de mesures radicales...
« Reste à savoir si ces mesures seront mises en oeuvre de façon autoritaire ou si elles émaneront des individus eux-mêmes, si leur adoption sera le lieu d’une dépossession plus profonde encore ou au contraire d’une réappropriation...
« C’est en tout cas seulement si l’on assume qu’il y a là un enjeu proprement politique que l’écologie peut être émancipatrice. »

LE CAPITALISME DU DESASTRE

Roger Rashi [1] a choisi, lui, dans un premier temps, de nous parler de Naomi Klein [2] et de ce qu’elle appelle le « capitalisme de désastre », un scénario de saccage et de destruction, option plausible découlant des choix politico-économiques que font aujourd’hui ceux qu’elle appelle « les tenants du néo-libéralisme », particulièrement ceux qui sont représentés par l’administration Bush et les dirigeants des grandes entreprises multinationales.

« Je démontre dans mon livre, dit Naomi Klein, moult preuves à l’appui, qu’il y a un dénominateur commun entre le coup d’Etat de Pinochet au Chili en 1973, le massacre de la placeTiananmen en 1989, l’effondrement de l’Union soviétique au début des années 90, les difficultés rencontrées par Nelson Mandela dans l’Afrique du Sud post-apartheid, les attentats du 11 septembre 2001, la guerre en Irak, le tsunami qui dévasta les côtes du Sri Lanka en 2004, le cyclone Katrina qui ravagea l’année suivante La Nouvelle-Orléans, la pratique de la torture dans les prisons d’Abou Ghraid et de Gantanamo, les crises alimentaires et pétrolières mondiales qui sévissent actuellement : tous ces moments charnières de notre histoire récente ont favorisé l’avènement d’un « capitalisme du désastre ».

DES REFORMES DE THERAPIE DE CHOC ET DE BARBARIE

« Chaque fois, dit Naomi Klein, ces traumatismes majeurs ont été suivis par la mise en place de réformes économiques présentées comme une thérapie de choc, dont le principal but est d’assurer la prise de contrôle de la planète par les tenants d’un ultralibéralisme implacable. Ce néolibéralisme fondamentaliste met sciemment à contribution crises et désastres pour substituer aux valeurs démocratiques, auxquelles les sociétés aspirent, la seule loi du marché et la barbarie de la spéculation.
Roger Rashi montre dans son article « Capitalisme ou Ecosocialisme », qu’à la faveur ces crises, toute une nouvelle grappe industrielle fortement soutenue par l’Etat se met en place.

« Ce sont les grandes sociétés privées de sécurité comme Blackwater, en fait des mercenaires à la solde des Etats-Unis, les grands groupes de construction comme Bechtel, les grandes sociétés pétrolières et celles qui les desservent comme Haliburton, la myriade de conseillers financiers, de compagnies d’assurances, de banques et d’intermédiaires de tout ordre.
« Cette intégration de l’Etat et du très grand capital forme un nouveau complexe que Klein nomme le « complexe du capitalisme du désastre.
« Ce complexe carbure aux catastrophes. Son essence est de croître et de profiter des grands désastres pour littéralement déposséder le peuple de ses acquis sociaux et de ses biens communs... »

LE MODELE DE BAGDAD

La réponse de ce complexe, poursuit Roger Rashi, sera calquée sur le modèle de Bagdad.
« Nous verrons apparaître, d’une part des enclaves surprotégées pour les élites et les riches, des zones où tous les services et conforts seront assurés et maintenus, pour un prix, bien sûr.
« C’est ce que Klein appelle les « zones vertes ».
« D’autre part, surgiront des « zones rouges » desquelles l’Etat se sera désengagé de presque toutes ses responsabilités sociales. Ce seront de vastes territoires où l’Etat ne se limitera qu’à l’exercice de ses fonctions répressives, des zones de guerre, d’insécurité, de pauvreté et de maladies où vivotera le reste de la population.
« Ce sera un système d’apartheid planétaire où l’accès aux ressources environnementales, à la sécurité et au confort sera fortement différencié selon le statut social. En fait, il consistera en la création de bulles de richesses et de privilèges qui surnageront sur un océan de misère et de pauvreté. Les élites chercheront de la sorte à stopper aux portes de leur forteresse la barbarie qui s’abattra sur le reste du monde... »

LA RIPOSTE CITOYENNE ET POPULAIRE, LE SOCIALISME

Roger Rashi montre que, loin de conclure dans la déprime et le catastrophisme, Klein parle de riposte citoyenne et populaire aux excès du capitalisme sauvage, qu’elle décrit avec beaucoup d’enthousiasme la montée de la gauche latino-américaine et l’appel de Hugo Chavez à construire un socialisme du 21e siècle.
« Ceci est nouveau pour Klein, précise Roger Rashi, car jusqu’à ce dernier livre, elle s’était toujours gardée d’appuyer des idéologies « globalisantes », préférant plutôt promouvoir des ripostes locales et communautaires faites de démocratie participative et d’autogestion.
« C’est donc toute une évolution qu’elle fait ici, une évolution motivée par la prise de conscience du danger aigu qui guette la planète en raison du capitalisme débridé.
« Bien qu’elle n’utilise pas le terme d’écosocialisme, sa réflexion s’inspire néanmoins des pistes explorées par les tenants de ce projet social, notamment en ce qui a trait aux préoccupations d’équité sociale et de défense de la nature. »

On devine bien où Roger Rashi veut en venir...

L’ECOSOCIALISME

« L’écosocialisme, dit-il, constitue la synthèse des impératifs écologiques et des impératifs d’équité sociale. C’est la prise ce conscience de l’importance de ménager les rapports de l’être humain à la nature tout en transformant les rapports des êtres humains entre eux. »
Il cite Ian Angus, rédacteur du site web « Climate and Capitalism », pour qui le but de l’écosocialisme est de remplacer le capitalisme par une société dans laquelle les moyens de production seront détenus en commun et la préservation ainsi que la restauration des écosystèmes seront une préoccupation centrale de toutes ses activités.

L’écosocialisme s’articulerait ainsi selon trois grands axes :

- 1) La croissance infinie favorisée par le capitalisme est insoutenable à long terme et, en conséquence, le système capitaliste est incompatible avec la préservation de la nature. L’essence de ce système, c’est l’expansion continue pour la recherche du maximum de profit. Pour lui, s’arrêter c’est mourir. Cette course effrénée à la croissance l’amène fatalement à se butter à la nature dont les ressources sont limitées.

- 2) Les socialismes de la première vague ont tous échoué tant sur le plan écologique que sur celui de l’équité sociale. Selon Joel Kovel dans « The enemy of nature », ces premiers socialismes ont été marqués par les conditions de leur genèse. Venus au monde dans la guerre et les tourmentes, ils ont pris un pli militariste, hiérarchique, et élitiste dont ils ne se sont jamais débarrassés. De plus, ils ont confondu nationalisation et socialisation. Le socialisme de Marx ne prônait pas la nationalisation mais plutôt la socialisation des moyens de production, c’est-à-dire leur mise en commun par la société. L’étatisation n’est qu’une seule des formes que peut prendre la socialisation, contrairement à ce que nous avons vu dans les « socialismes » inspirés de l’URSS. L’écosocialisme, lui, se doit d’être pluraliste, démocratique, autogestionnaire et égalitaire. Il doit chercher à révolutionner les rapports sociaux ainsi que les forces productives. En d’autres termes, il se doit de changer la façon de travailler et de vivre ( ce qui constitue les rapports sociaux ), ainsi que la façon de produire et d’agir sur la nature ( autrement dit, les forces productives ).

- 3) L’unité des mouvements sociaux anti-systémiques doit être réalisée. Une préoccupation majeure des écosocialistes est d’unir l’ancien mouvement social, celui de la classe ouvrière, aux nouveaux mouvements sociaux, comme le mouvement des femmes, le mouvement écologique et le mouvement anti-guerre. Pour Roger Rashi, « que ce soit dans les années 70 et 80 avec André Gorz, ou plus récemment avec Joel Kovel, Michael Löwy ou John Bellamy Poster, tous les penseurs de ce courant prônent l’unité des mouvements antisystémiques, et s’opposent à la division artificielle que certains cherchent à entretenir entre les différentes forces de changement social. »

REPRENDRE LE CONCEPT DE SOCIALISME ?

Enfin, Roger Rashi considère qu’il convient de répondre à la question : pourquoi reprendre le terme de socialisme ?

« Le socialisme, dit-il, est un mouvement de lutte bicentenaire pour la justice sociale. C’est le premier mouvement à avoir affirmé qu’un autre monde était possible et qu’il fallait se battre ici et maintenant pour l’atteindre. C’est un mouvement qui a voulu fonder une utopie réalisable et dont nous pouvons apprendre énormément, tant dans ses erreurs que de ses succès. Aujourd’hui, tout en se réclamant de la continuité historique de ce mouvement, il faut le refonder, le renouveler, en s’inspirant, entre autres, de l’écosocialisme ».

Pour lui, « en son temps, Karl Marx a réalisé une synthèse magistrale qui a permis au mouvement socialiste de prendre son envol pendant près d’un siècle.

« Ce grand penseur a fusionné l’objectif de l’aile libertaire du mouvement, « la société sans classe dans laquelle les producteurs associés mettent en commun les moyens de production », avec la stratégie prônée par l’aile politique qui était de « prendre le pouvoir pour transformer la société. »
« Il s’agit aujourd’hui, conclut Roger Rashi, de refaire cette grande synthèse entre pôle libertaire et pôle politique du mouvement et de fonder ainsi un projet social émancipateur pour le 21e siècle. »

Nous aurons certainement l’occasion d’y revenir prochainement tant les questions posées apparaissent déterminantes.

Pour ma part, ainsi que j’ai déjà eu l’occasion de le préciser, et comme d’ailleurs l’ont fait en leur temps Marx et Engels en nommant Le Manifeste, je continue à préférer situer la perspective historique dans le communisme plutôt que dans le socialisme.

Mais je crois aussi qu’il n’est rien d’irrémédiable dans cette « opposition », l’essentiel étant de pouvoir s’entendre sur le contenu, et en sachant qu’en dernier ressort, et selon l’affirmation de Marx, ce sont « les masses » qui font l’histoire, et sans doute leur reviendra-t-il de nommer le projet qu’elles souhaiteront construire.


[1Roger Rashi est un des membres fondateur de Québec Solidaire et siège à la commission de l’environnement du Parti du Travail.

[2Naomi Klein est une journaliste canadienne, auteur, cinéaste et militante altermondialiste.



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