Bataille des retraites : assumons nos responsabilités

vendredi 17 septembre 2010
par  Charles Hoareau
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Dans quelle société voulons-nous vivre ?

Au lendemain de ce 7 septembre à l’ampleur exceptionnelle, les organisations syndicales ont donc maintenu le front syndical commun face au gouvernement, ce qui n’était pas forcément gagné d’avance. En effet, malgré ce que l’on sentait monter parmi les salarié-e-s, les taux exceptionnels de grévistes qui s’annonçaient et l’envie manifeste des travailleurs de nombre d’entreprises du public et du privé de ne pas en rester là, chez plusieurs organisations syndicales l’idée était de faire une prochaine journée d’action un samedi ou un dimanche, voire d’attendre le début octobre !

La CGT et SUD penchaient, pour appeler les salarié-e-s à la grève dès le 15, jour du vote de la loi, et poser la question de la grève reconductible. FO elle, demandait, une grève carrée sinon rien [1]… ce qui peut souvent être le moyen le plus sûr de ne pas faire grand-chose

La position qui est sortie de l’intersyndicale du 8 est donc une position de compromis. Sur le coup, chez nombre de militant-e-s déterminé-e-s à faire reculer le gouvernement la déception, voire la colère a été grande. Dans les réunions syndicales, certains faisaient valoir que chez eux ce n’était « pas mûr », d’autres disaient qu’il fallait frapper fort, vite et durer, qu’il y a des pays où pour empêcher un vote scélérat, les travailleurs ont entouré l’assemblée nationale pour bloquer l’entrée des députés...
Les débats auraient pu déraper et décourager l’ensemble, dans une nouvelle version du : faut-il attendre les retardataires ou s’appuyer sur les locomotives pour tirer tout le monde ? Ce n’est pas cela qui s’est produit. Nombre de syndicalistes, au-delà de ce qu’ils peuvent penser de la stratégie des organisations syndicales (y compris la leur), ont choisi de ne pas attendre des consignes fermes venues d’en haut et de prendre leurs responsabilités en se disant que l’heure n’est pas aux états d’âme mais à la Lutte, en grand. C’est la meilleure façon que le « bas » aide le « haut » ou le pousse…

Les appels qui se multiplient, les prises de position qui s’expriment, les tracts nombreux et variés qui sortent, montrent que tant au plan syndical, qu’au plan politique et associatif, chacun s’emploie à faire encore mûrir plus largement dans le monde du travail l’idée du nécessaire blocage du pays pour faire reculer le gouvernement… et le MEDEF étrangement silencieux dans la période.

Dans cette période particulière, face à un gouvernement, qui pour masquer son affaiblissement grandissant, franchit chaque jour un pas de plus vers le fascisme - ce qui a pour effet de l’isoler sur la scène internationale et de diviser son propre camp - l’idée qui grandit et qu’il nous faut faire grandir encore c’est que l’on peut gagner. Gagner non seulement sur les retraites, mais, et chacun en a conscience, gagner contre ce gouvernement de plus en plus discrédité avant qu’il ne nous entraîne tous vers un chaos prévisible.

Les conditions et les enjeux de la victoire.

Au fond la question qui nous est posée, par-delà celle des retraites c’est tout simplement dans quelle société voulons-nous vivre ?

  • Soit nous acceptons que le capitalisme sorte victorieux (et sans doute dans ce cas-là pour un long moment) de l’affrontement qui est en cours, qu’il nous entraîne encore plus loin dans une société de plus en plus inégalitaire où, par rapport à il y a 20 ans, on prend chaque année 200 milliards d’euros (vous avez bien lu !) dans la poche du monde du travail ce qui se traduit par bas salaires, précarité, augmentation du nombre de chômeurs et baisse de leurs allocations, surexploitation de sans-papiers et délocalisation d’entreprises, mal vie dans les quartiers populaires où l’économie souterraine avec son lot d’insécurité sociale supplante de plus en plus l’économie officielle dont les populations les plus pauvres sont de toutes façons de plus en plus exclues,
  • Soit nous refusons cette spirale infernale de la répartition inégale des richesses produites amorcée il y a 20 ans sous le gouvernement Rocard et nous nous battons pour récupérer nos 200 milliards (et même plus !) annuels à répartir entre
    • hausse des salaires,
    • augmentation du travail qualifié,
    • retour à une sécurité sociale véritable brèche révolutionnaire dans le mur du capitalisme et réellement protectrice de la maladie, la retraite, l’accident du travail, la famille, les chômeurs – les 5 branches prévues dans le projet initial de 1945 –
    • développement des services publics, rempart contre les inégalités
    • rétablissement des filets de sécurité sociaux de toute nature que le système social français comportait (en particulier le fonds social supprimé sous le ministère de Martine Aubry à l’été 1997), filets qui étaient la meilleure garantie de lutte contre la mal-vie en ce sens qu’ils empêchaient (pour peu que la lutte ou le tissu associatif s’en empare) nombre de sans-emploi de plonger dans l’exclusion et tout ce qu’elle comporte.

En bref, soit nous nous résignons à la société de barbarie, soit en mettant concrètement la solidarité au cœur du fonctionnement de la société par des revendications précises qui ne sont pour l’instant guère portées, nous agissons à la fois sur le niveau de vie et les valeurs humaines de chaque habitant de ce pays. Car comment voulez-vous que la jeunesse discriminée et précarisée croie à l’égalité, la liberté et la fraternité – sans parler de la justice et de l’honnêteté – quand elle voit nos dirigeants et leur politique ?

Ce qui se joue dans la bataille sur les retraites c’est l’inversion de la spirale infernale dans laquelle veut nous entrainer un capitalisme de plus en plus barbare n’en déplaise à celles et ceux qui croient à sa possible régulation.

Au plan syndical, quand des organisations, en particulier de la CGT, font le lien entre la bataille des retraites et le cahier de revendication à l’entreprise, cela va dans ce sens et renforce les raisons qu’ont les salarié-e-s de reconduire la grève du 23. Cela suffira-t-il à convaincre un monde du travail très remonté mais aussi très morcelé et que ce gouvernement exaspère ? En tous cas cela ne peut suffire pour convaincre les chômeurs, la jeunesse voire les salarié-e-s des petites entreprises de se joindre massivement au mouvement, apport précieux et sans doute décisif dans la bataille actuelle.

L’intervention des militant-e-s politiques peut de ce point de vue être essentielle. Non pas seulement pour soutenir un mouvement (ce qui est bien), non pas pour donner aux syndicats des consignes sur ce qui devrait être fait ou pas fait, mais pour donner à l’ensemble de la population l’envie de se battre sur l’enjeu de société qui nous est posé.

Dans quelle société voulons-nous vivre ?
Voilà la question que les politiques doivent poser à la population. Le nécessaire retrait du projet ne suffit pas. Appeler le peuple à prendre ses responsabilités pour reconquérir les 10% de PIB annuels que MEDEF et gouvernements nous ont pris depuis 20 ans, donc poser de toute autre façon la question du financement de notre protection sociale et mettre en perspective la société de solidarité vers laquelle nous voulons aller pour faire reculer la barbarie capitaliste, voilà notre tâche.

La société sera ce que nos luttes en feront.

Si le refus d’un projet qui veut nous imposer 2 ans de plus de travail et des retraites de misère a déjà mis 3 millions de gens dans les rues, c’est aussi parce qu’il est le catalyseur d’une politique qui mécontente le peuple tous azimuts. Au-delà du refus, la perspective claire de changer la société par l’obtention de revendications répondant aux besoins de toutes et tous, voilà une raison qui devrait donner envie à bien plus de gens encore de descendre tous les jours dans la rue avec ou sans mot d’ordre national.

Le 23 et les jours suivants, entamons un processus général de reconquête, un processus révolutionnaire, comme disent les peuples d’Amérique du sud.


[1de la même façon qu’en 2003 elle demandait la grève générale sinon rien moyennant quoi, et pour ne prendre que l’exemple des Bouches du Rhône, la centrale n’appelait pas aux journées de grève nationale dans les entreprises où elle était pourtant majoritaire…



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dimanche 19 septembre 2010 à 10h38 - par  barbazange paul

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