La faillite morale de l’armée

lundi 1er novembre 2010
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Le 22 octobre, WikiLeaks, site spécialisé dans la publication de documents confidentiels, a divulgué 391 832 documents classifiés
de l’armée américaine sur la guerre en Irak et portant sur la période 2004-2009, soit la plus grande fuite d’information jamais subie par le Pentagone.

Les dernières fuites de documents militaires orchestrées par le site WikiLeaks révèlent l’étendue des mensonges, de la désinformation et des abus liés à la guerre en Irak. Le président George W. Bush, le vice-président Dick Cheney et les commandants en chef sur le terrain, y compris le célèbre général David Petraeus, [auparavant chef de l’armée américaine en Irak et aujourd’hui à la tête de la coalition en Afghanistan] ont sciemment transmis des informations fausses et trompeuses au peuple américain et au Congrès à propos de l’invasion de l’Irak et de ses conséquences.

Le peuple américain connaissait déjà les mensonges utilisés pour justifier l’invasion de ce pays. Nous savons désormais que les mensonges se sont poursuivis pendant la guerre, surtout au sujet du traitement des prisonniers et de la situation d’ensemble en Irak. Par exemple, le gouvernement Bush nous a systématiquement affirmé que l’armée ne tenait pas le compte des pertes irakiennes, tant civiles que militaires. Les documents divulgués par WikiLeaks démentent cette affirmation. A maintes reprises, le président Bush a nié avoir connaissance de ces chiffres — pourtant, ils étaient disponibles. Aujourd’hui, le Pentagone ne prend même pas la peine de contester le nombre de personnes tuées 2004 et 2009 révélé par WikiLeaks, un total de 109 000, dont 65 000 civils.

L’assassinat arbitraire de près d’un millier de civils irakiens à des postes de contrôle, le fait que nous ayons confié nos prisonniers irakiens aux forces de sécurité du pays tout en sachant qu’ils seraient torturés et violés, tout cela est désormais à porter au bilan de la nation. Il est troublant de constater que les autorités américaines semblent avoir approuvé le règne de violence sans frein imposé par les sociétés privées travaillant pour le Pentagone. La dissimulation des morts de civils, d’enfants, l’ignorance affichée quant aux tortures commises à la prison d’Abou Ghraïb sont autant de souillures portées aux valeurs américaines que nous nous targuons de défendre.

Quand des chefs d’état-major viennent asséner sans sourciller des mensonges au peuple américain, quelles peuvent en être les conséquences ? Quelles répercussions cela peut-il avoir dans les rangs de l’armée, et dans toute la société américaine ? Imaginez un soldat de 20 ans obligé de mentir à propos de ses agissements. Les valeurs avec lesquelles ont grandi les membres de nos troupes dans leurs foyers, leurs lieux de culte, leurs écoles — l’honnêteté, l’intégrité, l’honneur, le devoir — ont toutes été foulées au pied. La politique de nos décideurs a contraint le personnel de nos forces armées, jusqu’au moindre fantassin, à entretenir le mensonge, ou du moins, à faire avec afin de rester dans l’armée. La définition même de ce qui constitue un crime de guerre a été modifiée.

Quand des soldats américains sont chaque jour confrontés à de si terribles dilemmes moraux, il n’est pas étonnant que plus de 500 000 de ceux qui sont rentrés de nos guerres actuelles soient affligés de troubles mentaux. Plus de 300 000 d’entre eux souffrent de stress post-traumatique. De plus, un grand nombre de nos anciens combattants peinent à se réadapter à une vie civile normale. La guerre a toujours été l’enfer. Mais nos soldats ploient sous le poids d’un fardeau supplémentaire, puisqu’on leur a infligé une relecture de leur code moral qui avilit les valeurs qu’ils croyaient défendre. Pourtant, personne au Pentagone ne souhaite parler de l’importance de cette tension morale pour nos soldats. Les chefs militaires refusent d’aborder ces questions au nom de leurs hommes, car ce faisant, ce serait tout le système bâti sur ces mensonges qui s’effondrerait.
Nous risquons maintenant de nous perdre dans l’océan des documents dévoilés par WikiLeaks. Mais au lieu de nous attacher aux détails, nous devrions nous poser quelques questions vitales liées à ces informations. Par exemple, qu’est-ce qui, aux yeux du reste du monde, symbolise l’action des Etats-Unis à l’étranger ? Cette réputation nous aide-t-elle quand nous cherchons à mobiliser d’autres pays dans la lutte pour les droits de l’homme et la démocratie ? Cela fait-il de nous des partenaires dignes de confiance dans des négociations économiques ?

Pour nous qui nous identifions en tant qu’Américains, c’est un moment décisif. Prenons-nous la pleine mesure de ce qu’implique notre approbation du statu quo, le fait que nous n’ayons jamais remis en cause la véracité de rapports dont le caractère mensonger est aujourd’hui avéré ? Ou allons-nous enquêter sur nos crimes et ainsi nous engager dans une voie susceptible de restaurer l’honneur de l’Amérique et sa place de leader dans le monde ?

Par Bonnie Bricker & Adil E. Shamoo dans le Foreign Policy in Focus le 27/10/2010

Transmis par Linsay


Bonnie Bricker et Adil E. Shamoo sont mariés et signent régulièrement des articles dans Foreign Policy in Focus. Elle est institutrice et lui médecin. Né en Irak, Adil E. Shamoo enseigne la santé publique à l’université du Maryland.



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