Alain, le bureau Marseille 02 est grève totale : quelle est l’origine de ce conflit ?

Alain : Une jeune CDD, Jessica a été remerciée au bout de 7 mois. A sa place la direction de la Poste a voulu faire venir un intérimaire. Ça fait 4 ans [2] qu’on leur dit si un jour vous faites appel à l’intérim on sort tous à 100%, cadres compris. Ils ne nous croyaient pas.
On a fait revenir Jessica et une autre CDD étudiante remerciée quelques temps auparavant et on a imposé leur présence au travail. Un huissier est venu « constater ». Selon lui, il y avait matière à accuser la première de vol de courrier (sic ! ) puisqu’elle était au tri , et la seconde de détournement de véhicule puisqu’elle était sur une tournée. On a donc dû arrêter l’action sous cette forme.et la grève a démarré. L’intérimaire s’est mis en grève avec nous. Le lendemain il était viré. Ils en ont fait venir un autre qui s’est mis en grève lui aussi. Finalement ils en ont trouvé un à qui ils ont confié un bout de tournée. Il est seul à travailler dans un entrepôt où nous sommes 53 habituellement. C’est une provocation mais on est sereins : on est à 100% en grève. Depuis 54 jours il n’y a aucune négociation, seuls quelques contacts que le chef d’établissement appelle échanges

Il semble que vous ayez un grand soutien de la population : comment l’expliques-tu ?

On a un soutien terrible. La pétition qui a été lancée sur le secteur a déjà recueilli 1500 signatures. Quand on manifeste dans la rue on est applaudis aux fenêtres. Un comité de défense a été créé, il a organisé 2 débats publics qui ont fait salle comble. Il y a eu aussi une soirée corse pour récolter la solidarité financière. Le théâtre de Lenche [3] a décidé de nous reverser la recette de la soirée du samedi 4 décembre ! Les gens passent nous voir, nous apportent ce qu’ils peuvent. Hier une vieille dame qui a 500€ par mois de pension a tenu absolument à me faire un chèque de 10€ ce qui est énorme pour elle. Un cadre d’un bureau voisin a versé 200€...Tu sais ici les gens on les connait, on s’est battus à leur côtés. (On est en plein coeur du quartier de la rue de la République et Alain de me citer des gens du secteur pour lesquels nous nous sommes mobilisés quand la désormais mondialement connue Lehman Brother, alors propriétaire de milliers de logements, voulait expulser les gens modestes pour les remplacer par des plus fortunés. [4].)

Ce sont toutes ces luttes communes qui expliquent que le mouvement dépasse largement le cadre habituel de nos soutiens (CGT, PCF…). Nous sommes dans un fief socialiste et la population, toutes opinions confondues, fait savoir quotidiennement son mécontentement à la direction. En 2006 la Poste voulait nous supprimer 40% des emplois. On s’est battus, la population a tenu bon avec nous et on a gagné ! On a fait le lien entre bataille des retraites et bataille contre la précarité : si demain tout le monde est précaire quel sera le montant des retraites ?...
Il y a deux statuts à La Poste et c’est déjà trop. Là avec l’intérim il voudrait nous en mettre un 3^e : pas question. Tu te rends compte au plan national, sur les 280 000 salarié-e-s qu’emploie La Poste, il y a maintenant plus de CDI que de fonctionnaires…

54 jours [5] de grève, à 100% de surcroît, c’est peu commun : comment l’expliques-tu ?

Ici tous les conflits se font à 100%. Cela est dû à notre pratique démocratique. Tout se décide collectivement. Tous les mois il y a 2 heures d’information syndicale où l’on réunit le personnel par moitié. On ne prend pas de décision sans l’assentiment du personnel. Même pour un arrêt de 24h on se réunit et on vote. Sur 53 postiers, 47 sont syndiqué-e-s et on fait 96% des voix aux élections (51 sur 53 !). Pendant la grève on fait une assemblée tous les jours où on décide des initiatives…et ça n’arrête pas ! Par exemple on a chez nous un coureur de l’extrême qui a traversé nombre de pays en courant. Jeudi 2 décembre on organise avec lui une course sur 15km à travers Marseille pour aller à la direction régionale. Outre les coureurs il y aura une caravane de voitures et tous passeront par un circuit où ils vont croiser des salarié-e-s d’autres bureaux ou entreprises. C’est un conflit où tout le monde prend sa part, les jeunes comme les anciens, y compris ceux qui comme moi sont à quelques mois de la retraite.

La direction refuse de négocier, elle retire toute la paye, comment tu expliques cet acharnement ?

En fait notre conflit met à jour des chiffres qui sont camouflés. Sur Marseille on a dénombré 143 salarié-e-s intérimaires. Il y en a à peu près autant sur le reste du département. On a donc environ 300 intérimaires dans les Bouches du Rhône. C’est cela que nous dénonçons et voulons faire cesser. Nous ne voulons pas de l’intérim. Tout salarié a droit à un statut stable. L’intérim a des conséquences multiples que les salarié-e-s ne peuvent même pas dénoncer auprès des entreprises qui ont recours à eux puisqu’ils ne peuvent pas voter. A La Poste des Bouches du Rhône cela représente 300 salarié-e-s qui n’ont pas droit à la parole. C’est aussi un chiffre dont il faut tenir compte quand on analyse le résultat des élections professionnelles. La direction craint énormément les répercussions de notre bataille. Elle est complètement dépassée. Elle envoie des huissiers, cherche la provocation mais ça ne marche pas. La direction devait remettre un prix lors d’un concours de boules, nous on est allé lui remettre le 1^er prix de la non-négociation. Tu te rends compte qu’ici, contrairement à ce que l’on peut voir ailleurs, c’est la direction qui a cadenassé le portail !!!

Comment tu vois la suite ?

Le personnel est fermement déterminé car on se dit qu’on va gagner. On a d’ailleurs déjà gagné la bataille idéologique. On est dans l’un des rares bureaux de France – pour ne pas dire le seul – où nous faisons 32h par semaine avec un samedi sur 2 de repos. Nous sommes dans une bataille offensive et notre lutte est connue. Tu te rends compte que Benoit Hamon, dirigeant du PS est venu nous voir et nous dire qu’il fallait renationaliser La Poste. Nous qui avons connu les batailles contre les lois Quilès et Mexandeau cela fait drôle !! On a reçu le soutien du président du CG, celui-là même qui a critiqué les éboueurs et les portuaires en grève : il ne peut pas faire autrement.
Comme en 2006 nous avons eu le soutien de Marie George Buffet et du PCF qui organise des collectes de soutien. D’ailleurs ici on a aussi cette particularité (il me montre alors une banderole des postiers communistes accrochée à côté des autres sur l’un des murs) notre grève est profondément politique. Pour l’emploi et pas n’importe lequel, pour le service qui est dû au public.

On a aussi le soutien du secours populaire qui nous porte à manger régulièrement. Les organisations de la CGT (fédération, UD, syndicats…) organisent des collectes : on tiendra !