Le bateau de la honte

samedi 18 décembre 2010
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Si les autorités avaient sciemment retardé les opérations de secours ? L’insinuation formulée par le quotidien The Age au lendemain du naufrage meurtrier d’un navire transportant des demandeurs d’asile kurdes vient alimenter un débat sur l’immigration toujours aussi vif.


Les falaises de l’île Christmas sont meurtrières. Tous ceux qui vivent ici, commercent avec l’île ou surveillent ses eaux savent que lorsque le vent se lève, le port de Flying Fish Cove peut rester inaccessible pendant plusieurs semaines. Le véritable mystère de cette tragédie est de savoir comment ce bateau a pu arriver si près des falaises avec une météo aussi mauvaise ? L’île Christmas est une lugubre montagne qui jaillit d’une mer [au large de l’île indonésienne de Java] continuellement sillonnée par les bâtiments de la Marine australienne et des Douanes. Il est extrêmement rare qu’un bateau parvienne à proximité de Flying Fish Cove sans être détecté. Certaines embarcations sont autorisées à accéder au port, mais la plupart sont interceptées en haute mer et leurs passagers transférés sur un autre navire avant d’arriver sur l’île. Ce n’est pas ce qui s’est passé cette fois.

Le bateau s’est retrouvé à un kilomètre de l’entrée du port et est venu se fracasser sur les rochers en contrebas de la Tampa View Road. Il y a dix ans, les habitants s’étaient rassemblés sur cette falaise pour applaudir le capitaine Arne Rinnan qui tentait de faire débarquer les 438 hommes, femmes et enfants qu’il avait sauvés d’un navire en perdition dans l’océan Indien. Canberra s’en était mêlé. Avec l’arrivée d’autres bateaux, l’affaire avait dégénéré en bras de fer entre Canberra, qui souhaitait interdire ou retarder les opérations de sauvetage, et la Marine, qui tenait à respecter à la lettre les règles du sauvetage en mer. Il y avait eu des morts à l’époque, et le drame d’hier laisse penser que Canberra fait peut-être de nouveau pression pour retarder les opérations de secours.

Victimes et rescapés voyaient probablement il y a une semaine la mer pour la première fois, alors qu’ils étaient rassemblés sur une plage quelconque en Indonésie. Ces traversées racontent toute la même histoire. Les demandeurs d’asile sont terrorisés. Ils ne savent pas nager. Ils sont malades tout au long du voyage, arrivent à destination déshydratés et épuisés — certainement pas en mesure de faire face à la tragédie qui les a frappés hier. Leurs appels à l’aide ont réveillé les occupants des maisons le long de la falaise. Ceux-ci, tout en lançant des cordes et des gilets de sauvetage à la mer, ont tenté de prévenir le bateau qu’il ne fallait pas se diriger vers les eaux tumultueuses de Flying Fish Cove. Quand le navire a heurté les récifs, son moteur vomissait de la fumée. Il s’est retourné et a commencé à couler. La mer était trop agitée pour que des bateaux de sauvetage puissent quitter la crique. Grâce à l’intervention de propriétaires de boutiques de plongée, il a été possible de lancer d’autres gilets de sauvetage depuis la falaise. Mais, se sont demandés les habitants de l’île, où étaient les centaines de gilets dont disposent les services de l’immigration, stockés à quai ? Tout cela a été filmé. Ce n’est pas une catastrophe invisible, comme le naufrage du Siev [1]. Cette fois, rien n’excusera que l’on n’ouvre une enquête impartiale sur ce qui s’est passé.

Par David Marr dans The Age le 16/12/2010

Transmis par Linsay


[1dans lequel, en 2001, 353 demandeurs d’asile avaient péri, déclenchant une importante polémique en Australie



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