Comptes et mécomptes de Pôle Emploi (I).

dimanche 16 janvier 2011
par  Charles Hoareau
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Le 9 novembre dernier le personnel de Pole Emploi était en grève, une grève historique par le nombre de grévistes (certainement un des scores les plus élevés de l’histoire de l’ex ANPE et UNEDIC) et par les enjeux de cette action.

Hormis le satisfécit ridicule que se délivre le gouvernement sur les résultats de la fusion ANPE/ ASSEDIC d’après une « étude » d’opinion auprès des chômeurs qui se déclareraient tous contents des services de Pôle Emploi (sic !), personne de sérieux n’ose prétendre cela. Retards de dossiers accumulés par milliers, courriers contradictoires, radiations arbitraires, jungle de plus en plus épaisse du calcul des droits et enfin – et surtout – baisse considérable de ceux-ci depuis les 30 dernières années. Rouge Midi, par la série d’articles qu’il consacre à cette institution, espère contribuer à l’éclairage sur les enjeux et les perspectives de lutte de toutes celles et tous ceux que la cohésion sociale, au vrai sens du terme, préoccupe.

Pour mesurer les enjeux de ce qui se passe, il convient de faire un rapide retour en arrière sur cette institution.

Jusque à la fusion intervenue en décembre 2008, il y avait deux institutions héritées de la Libération aux statuts et aux missions bien différenciées : l’assurance chômage et le Service public de l’emploi.

(I) Historique

I- 1 L’assurance chômage : au départ une des 5 branches de la sécu

A la Libération, le CNR en créant la sécu est parti d’un principe simple. La richesse d’un pays est le fruit du travail humain, une partie de cette richesse est redistribuée sous forme de salaire individuel, l’autre redistribution doit se faire sous forme de salaire socialisé obligatoire afin de protéger solidairement les travailleurs des accidents de la vie, de la naissance à la mort. La gestion de ce système était confiée à des administrateurs élus et puisqu’il s’agissait du salaire socialisé il appartenait aux salariés de le gérer majoritairement : c’est ce que l’on a appelé la gestion ouvrière où 85% des administrateurs étaient des représentants élus des salariés.

La sécurité sociale ainsi créée devait comporter 5 branches : maladie, retraite, accident du travail, famille et assurance chômage. On peut aisément comprendre qu’en 1945 le chômage n’était pas la question première d’un pays dévasté, ruiné par la guerre et manquant de main d’oeuvre.

Ce n’est qu’en 1958 que l’UNEDIC fut créée mais si elle fut bien rattachée à la protection sociale elle fut coupée de la sécu et surtout inaugurait une nouvelle forme de gestion, le paritarisme qui attribuait 50% des postes au patronat, les autres 50% étant répartis également aux organisations syndicales quelle que soit leur importance ou leur représentativité. Grâce à cette règle, il suffisait au patronat qu’une seule organisation syndicale de salariés, même la plus petite, signe un accord, et il était assuré d’imposer ses choix. Comme ce sera le cas tout au long de l’histoire sociale moderne on s’appuya sur les chômeurs pour effectuer un recul démocratique permettant un recul ultérieur des droits, reculs que l’on a par la suite étendus à l’ensemble des salariés.

I-2 Le service public de l’emploi

A la Libération le CNR, considérant que l’emploi est un droit constitutionnel et relève de choix politiques, crée un Service public de l’emploi : Les Services Extérieurs du Travail et de la Main d’Oeuvre (SETMO), qui laissent la place en 1968 à L’ANPE. Office autonome elle a pour mission de recenser les emplois disponibles et de venir en aide aux 300 000 chômeurs que compte la France d’alors en leur proposant travail ou formation. Elle a aussi pour mission d’aider les salarié-e-s qui le souhaitent (et peuvent donc s’inscrire), à se réorienter.

On est bien devant une institution aux métiers et missions clairement distincts de l’assurance chômage chargée, elle, de gérer la part du salaire socialisé consacrée à la perte d’emploi et à ses conséquences. C’est l’ANPE seule qui juge des parcours professionnels des salariés ou des chômeurs qui s’adressent à elles.

L’ANPE emploie des fonctionnaires, essentiellement prospecteurs-placiers ou conseillers d’orientation, quand l’ASSEDIC emploie, à l’instar de la sécu, des salariés relevant du droit privé, liquidateurs ou conseillers sociaux, avec une mission d’accompagnement social des chômeurs.

Dans cette conception de départ, ANPE et assurance chômage (UNEDIC et ASSEDIC) ont des missions spécifiques et des personnels complémentaires mais pas forcément interchangeables. Cette réalité est importante pour comprendre une des aberrations de la fusion qui interviendra plus tard.

II Les différents angles d’attaque

II-1 Deux institutions combattues dès leur création

Si le propos récent de Kessler [1] est souvent cité cette attitude du patronat n’est pas nouvelle. Le CNPF, puis son successeur le MEDEF n’ont jamais accepté ces conquêtes et n’ont eu de cesse de les remettre en cause depuis la création de la sécu.

Dans ce but le grand patronat a toujours poursuivi une triple visée :

-  Dessaisir l’Etat de la politique de l’emploi pour en faire un marché (marché de l’emploi un terme que plus personne ne conteste aujourd’hui !) qu’il gérerait seul et sans contrainte. Puisque c’est un marché, on doit confier le placement des salarié-e-s à des marchands, intérim ou autre agences de placement. Si l’esclavage a été aboli, cette conception de la gestion de l’emploi s’en rapproche en le mettant au seul bon vouloir des puissants.

-  Abolir la notion de salaire socialisé (on parle de charges ou de cotisations patronales ce qui ne veut rien dire) afin de la remplacer par la notion d’assurance individuelle, pour que des assurances privées gèrent le pactole de cotisations de millions de salarié-e-s contraints, s’ils en ont les moyens, de s’adresser à elles pour se garantir.

-  Laisser à l’Etat la gestion d’une aide sociale minimum à l’instar de ce qui se fait dans nombre de pays anglo-saxons et que l’UE a repris dans le traité d’Amsterdam [2] et ce, dans le seul but de s’acheter sur le dos du contribuable, une paix sociale à bas prix.

Leur projet est clair : s’assure qui le peut et cette assurance en soi doit rapporter, donc la collecte doit en être confiée au privé. Tant pis pour les plus faibles et adieu solidarité.

Pour casser le système de protection sociale français, le grand patronat aura plusieurs angles d’attaque : la création artificielle de déficits, les attaques sur la démocratie de gestion, la réduction des droits, les détournements de mission…

II-2 La création artificielle des déficits

Le mécanisme est simple et terriblement efficace. Au départ en 1958 l’UNEDIC, dont, élément important, les seules ressources sont les cotisations, dispose de fonds considérables pouvant servir aux chômeurs. La gestion de ces fonds est régie par une convention discutée tous les 3 ans [3] par les « partenaires » sociaux (en fait, imposée par le patronat grâce au déni de démocratie que constitue le paritarisme et en l’absence de luttes suffisamment fortes sur ces questions) et avalisée par le gouvernement.

Depuis cette date, convention après convention vont se succéder :

-  une réduction des cotisations quand le régime est en excédent, et 3 ans plus tard, cette réduction des cotisations ayant entrainé un déficit,
-  une réduction des droits des chômeurs qui va créer un nouvel excédent et ainsi permettre à la prochaine convention,
-  une réduction des cotisations créant un nouveau déficit….etc.

Ce système est d’autant plus efficace, qu’il porte sur une répartition des recettes et dépenses qui s’applique à des populations en nombre très disproportionné. Une réduction même minime de la cotisation de 90% des salarié-e-s du pays a forcément des conséquences redoutables puisqu’elle va être supportée en quasi-totalité par les 10% d’entre eux qui sont indemnisés par elle. En réalité bien moins de 10% puisque, convention après convention, nombre de chômeurs vont être exclus du système.

Mise artificielle en déficit : l’exemple des recalculés [4]

Extraits des débats lors du procès du 15 avril 2004
En décembre 2000 quand le PARE a été mis en place, la prévision d’excédent pour les trois ans à venir était de 1 331 millions d’euros. Deux ans plus tard le déficit est de près de 3 700 millions d’euros : les réductions de cotisations étaient passées par là.
Interview D. KESSLER [5] :

Dans cette interview, Denis KESSLER justifie même la baisse des cotisations sur les réserves qui auraient été accumulées en 1999 alors que les résultats financiers montrent un déficit pour cette même année. Le représentant du MEDEF qui a conduit les négociations ayant aboutit au PARE, n’hésite pas à dire que les baisses de cotisations se sont faites en vidant les réserves de l’assurance chômage et donc en fragilisant le système.

« Pour la première fois depuis longtemps les cotisations ne couvrent plus les dépenses… Le coût pour l’UNEDIC des deux baisses de cotisations est de trois milliards d’euros sur 2 ans, soit 80% du déficit »
L’excèdent de l’UNEDIC amputé [6]

« Si l’UNEDIC avait continué à appliquer l’ancienne convention de l’assurance chômage, les excédents auraient été respectivement de 18,449 milliards de francs en 2001 et de 28,492 milliards de francs en 2002. »

Le financement de la protection sociale (Chapitre IV).

Les comptes de la sécurité sociale font apparaître une baisse des cotisations de 2% du PIB entre 1990 et 2001, soit 30 milliards d’euros par an. Cette baisse affecte de plein fouet l’UNEDIC dont : « 99% des recettes techniques sont constituées des cotisations et constituent l’essentiel (97%) des recettes de l’assurance chômage. » [7]

Le salaire et la protection sociale.

Dans ce document d’étude de la CGT, un autre tableau issu lui aussi des comptes de la sécurité sociale fait apparaître entre 1981 et 1999, une baisse des cotisations « patronales » de l’ordre de 10% (53,8% en 1981, 44,6% en 1999).

Recettes et dépenses annuelles RAC [8].

Ce document émanant de l’UNEDIC met lui même en évidence les variations de l’équilibre au rythme des baisses de cotisations. Ainsi, pour résoudre le déficit de 1993, on instaure la dégressivité, ce qui a pour conséquence une baisse des allocations chômage et un excédent du régime sur trois années consécutives (1994, 95, 96).

Fin 1996, malgré l’excédent, les prestations ne sont pas améliorées mais, au contraire, on supprime le fonds social et on baisse les cotisations. Cette nouvelle baisse entraîne un déficit en 1997, 1998 et 1999.

Fin 2000, l’excédent réalisé grâce à la diminution des allocations chômage est encore une fois absorbé par une nouvelle baisse des cotisations qui aura pour conséquence le déficit de fin 2002.

Taux de chômage (Assedic Alpes Provence).

Il est à noter, si on compare l’évolution du résultat de 1997 à 2002 avec ce document, que ces données (évolution du chômage et évolution du résultat financier) sont indépendantes. Ainsi en 1997, année où le taux de chômage culmine officiellement à 12,2%, le déficit n’est « que » de 328 millions d’euros. A contrario, en 2002, alors que le taux de chômage n’est « que » de 9,5%, le déficit est de 3 milliards 720 millions d’euros, soit plus de 10 fois plus.


En médaillon : 16 septembre 2008 des chômeurs de Normandie en action


[1sur le fait qu’il faille systématiquement détruire tout ce que le CNR a bâti

[2Le traité d’Amsterdam a été signé le 2 octobre 1997 et est entré en vigueur le 1er mai 1999.

[3l’actuelle arrive à échéance en mars 2011

[4recalculés : nom donnés au million de chômeurs qui en 2003 avaient reçu un courrier des ASSEDIC les informant de la fin anticipée de leurs droits. Le procès du 15 avril 2004 à Marseille leur donna raison en reprenant en particulier cet argument de la création organisée du déficit. L’effet boule de neige que provoqua cette décision obligea le gouvernement à annuler la mesure

[5vice president du MEDEF de l’époque

[6Télégramme de Brest, 15 mars 2001.

[7Op. cité : Crise financière : échec des partenaire du PARE, www.ac.eu.org

[8Régime d’Assurance Chômage



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dimanche 16 janvier 2011 à 19h28 - par  cadran anthony

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