Souvenirs et réflexions sur des luttes passées, présentes et à venir…

samedi 1er janvier 2011
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Il est là, bien présent au milieu d’eux, et en même temps il est ailleurs. Plus exactement son corps est là mais sa tête ne peut s’empêcher de voyager à travers le temps…

Il se rappelle il y a plus de 20 ans, Bourguiba était encore là, il y avait eu à Marseille sur le Vieux Port (sur le Vieux Port ou devant le consulat ? il a un doute) un rassemblement de soutien qui était peu fourni. Ce n’était pas la peur alors qui retenait les gens, sans doute le sentiment que cela ne servait à rien de s’agiter ici, de l’autre côté de la Méditerranée.

Il se rappelle un peu plus tard les rassemblements des années de plomb, un plomb qui était de plus en plus lourd. Ces rassemblements où les flics en civil étaient parfois plus nombreux que les manifestants, surtout quand ces rassemblements avaient lieu devant le consulat.

Il se rappelle cette fois où, à l’issue de l’un de ces mouvements, un homme resté à l’écart un peu plus bas dans la rue, lui avait glissé rapidement à l’oreille en arabe un « merci pour votre courage », message
qu’il avait dû se faire traduire lui qui ne l’était pas !

Il se rappelle les intimidations et menaces, ici sur le sol français et en toute impunité, de sbires du pouvoir envers les tunisiennes et tunisiens qui osaient relever la tête. L’agression de Jelloul, militant franco-tunisien marseillais alors connu et reconnu, un soir en rentrant chez lui. Agression qui avait fait l’objet d’une plainte une fois de plus classée sans suite.

Il se rappelle l’affaire Mammeri, du nom de ce jeune marseillais franco-tunisien emprisonné en Tunisie où il se rendait pour voir sa famille et accusé par le pouvoir tour à tour ou tout à la fois de trafic de drogue et d’activisme islamiste. Ah ! l’islamisme comme c’est pratique ! La presse de l’époque avait accueilli avec des pincettes et scepticisme les dénégations du comité de soutien.
Comme toujours en pareil cas.
La propagande des pouvoirs de ces dernières décennies, qui s’est saisie de l’argument religieux pour justifier les guerres impériales de notre temps a fini par convaincre que dans chaque musulman se tapit un dangereux terroriste fanatisé prêt à bondir à tout moment.

C’est d’ailleurs la persistance de cette propagande qui fait, encore aujourd’hui, que la presse qualifie le parti Ennahda de parti « islamiste » avec la connotation d’intégrisme que recouvre le terme et auquel il l’assimile de fait, au lieu de le qualifier simplement de ce qu’il est un parti religieux ou musulman.
Il y a autant de ressemblance entre Ennahda et les talibans, que ce qu’il y en a en Europe entre les démocrates chrétiens et les partis fascistes intégristes ! Méconnaître cette réalité relève soit de la mauvaise foi, soit de l’incompétence…soit des deux ! Qu’importe en Europe nous on a le droit d’être dans un pays qui est « fille aînée de l’Eglise », dont le président est d’office chanoine et tolérant bien sûr !
Et ne parlons pas d’Israël à la théocratie assumée et théorisée jusque dans le vol des terres sans que cela ne gêne les pouvoirs qui se sont succédés depuis 30 ans, bien au contraire…

Mammeri avait finalement été libéré mais le comité français qui devait accompagner à Tunis l’avocate aixoise chargée de le défendre avait été choisi avec soin tant on savait que là-bas étaient fichés (grâce aux bons soins de la police française ?) les français jugés indésirables par le régime et susceptibles donc de se retrouver eux aussi en prison.

Il pense enfin aux révoltes en 2008 de Gafsa et de Redeyef, dans cette région historiquement rebelle et redoutée tant par la France coloniale [1] que par Bourguiba [2] et Ben Ali, révoltes dont on a si peu parlé ici et du peu de réactions de désapprobations qu’ont suscitées les 3 morts et les 300 arrestations d’alors.

Et aujourd’hui il est là. Il y a d’abord eu un premier rassemblement timide devant le consulat avec guère plus de monde que les autres fois mais avec quand même des visages nouveaux.

Puis le 12 au soir cette vraie manifestation enfin ! Plus de 1000 participantes et participants manifestant à visage découvert, galvanisés par le courage de leurs frères et sœurs de l’autre côté de la Méditerranée qui affrontent les fusils à mains nues. La révolution en marche avait franchi l’autre rive.

Et enfin le départ du tyran et cette manifestation à laquelle il a pour une fois plus l’impression d’assister que de participer, comme s’il pouvait laisser le relais à d’autres, à celles et ceux qui ont eu trop peur toutes ces années, qui ne croyaient pas cela possible et qui aujourd’hui prennent leur avenir en main. Etrange manifestation où se mêlent exigence de justice et joie de ce qui a déjà été réalisé et qui est énorme !

Là encore la presse, qui décidément paye cher sa méconnaissance et son obéissance aux thèses du pouvoir français ami de la Tunisie du dictateur, fait un contresens historique monstrueux en parlant de « révolution du jasmin ».
Il faut donc rappeler que ce terme de révolution du jasmin c’est celui employé par Ben Ali lui-même quand, premier ministre il a déposé Bourguiba alors en butte à la protestation populaire qui refusait les injonctions du FMI que le gouvernement d’alors appliquait avec soin. Le jasmin symbolisant la douceur, Ben Ali avait choisi ce terme pour imager son coup d’état qui s’était fait sans que le sang ne soit versé.

Dans cette révolution en cours il y a eu plus de 100 morts et comme le dit le titre de l’édito, si jasmin il y a, il est tâché de rouge, rouge du sang des héros de notre temps qui ont donné leur vie pour un avenir de justice, pour que les voleurs rendent l’argent et que le travail devienne enfin un droit partagé.

Dans la manifestation il sait qu’il y a bien sûr, comme dans toute révolution, des résistants de la dernière heure, des arrivistes et des qui se voient déjà en futurs « confisqueurs », mais il fait confiance au peuple tunisien. La lutte ne s’arrête pas et la révolution continue, elle est l’affaire du peuple, de la nation tunisienne.
Derrière lui la manif, ornée de drapeaux rouge et blanc entonne l’hymne qu’elle s’est réapproprié aussi.

« Mourons s’il le faut pour que vive la patrie ! »...
Regarde tes enfants se lancer, tels des lions...
À l’assaut de l’ennemi le jour du combat...
Lorsqu’un peuple veut la vie, force est au destin de répondre

Hymne tunisien (extraits)


[1la région avait été au premier plan de la lutte pour l’indépendance

[2En 1984 elle avait été au premier plan des émeutes du pain



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