Marrakech : les enfants de la misère envahissent les rues.

vendredi 23 juin 2006
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Journée de lutte contre le travail des enfants au Maroc, ou la démonstration par l’exemple de l’inanité des mesures pompeuses qui ne s’attaquent pas à la racine du mal.

Marrakech.

Elle a trois mois et boit son biberon toute seule, couchée dans son lit à barreaux. On a coincé le flacon entre les pattes d’un ours en peluche posé sur sa poitrine.

Comment faire autrement ?

Il n’y a dans cet orphelinat , cet après-midi-là que trois assistantes maternelles pour 72 nourissons. Les jeunes femmes travaillent dix-huit heures par jour et, malgré leur fatigue, se montrent efficaces et patientes.

Mouna est l’une des rares filles recueillies par cette crèche de la Ligue marocaine pour la protection de l’enfance, à Marrakech.

On compte en moyenne dans l’établissement une fille pour neuf garçons.

On n’abandonne pas une petite fille , au Maroc. C’est une denrée précieuse.

Une fille, c’est utile et c’est docile. On pourra toujours la faire travailler comme « petite bonne ».

Les garçons ,eux, sont légion. Amine, quatre mois, a été retrouvé en pleine rue, enfermé dans un sac plastique, au bord de l’asphyxie. Fouad, six ans, a été « oublié » par sa mère, il y a six mois, sur la place Jemma El Fna, au milieu des touristes et des charmeurs de serpents.

Quand à Soukaïna, deux ans, elle a été vendue à deux reprises par sa mère, pour 500 dirhams (50 euros).

Au Maroc, les enfants de la misère ne se comptent plus

Le pouvoir est conscient du problème. Il a décrété le 12 juin ,« journée nationale de lutte contre le travail des enfants ».

Mais par quel bout aborder un dossier aussi vaste ?

Enfants non scolarisés.

Enfants « sniffeurs » de colle.

Enfants exploités sexuellement...

Combien sont-ils à travailler, entre sept et quinze ans ? Il est difficile de le savoir, 90% des petits marocains entrent dans le cycle primaire, mais plus de la moitié abandonnent l’école avant le secondaire.

Environ 600 000 jeunes de moins de 18 ans sont hors du système scolaire (sur une population de 30 millions).

Les uns atterrissent dans la rue ou dans des ateliers d’artisanat, les autres dans des familles bourgeoises comme petites domestiques.

A Marrakech,-première destination touristique du Maroc- on parle davantage du problème des enfants dans la rue que des enfants des rues.

Ici, à l’inverse de Casablanca, les jeunes en situation précaires disposent , la plupart du temps, d’un semblant de famille- une mère célibataire et analphabète le plus souvent- et d’un toit.

Mais à l’exode rural, au chômage, à l’éclatement familial en augmentation vertigineuse, s’ajoutent les problèmes liés au tourisme.

La mendicité est le premier d’entre eux, bien plus que la pédérastie, dénoncée par les médias.

En ce début de matinée, les touristes sont rares sur la place Jemme El Fna. Les enfants-mendiants aussi. Ils n’arriveront que vers 14 heures, après avoir dormi.

Tandis que leurs mères dessineront des arabesques au henné sur la paume des passantes, ils vendront des Kleenex, des sacs plastiques, ou se contenteront de tendre la main.

Quand ils iront se coucher, vers minuit ils auront récolté queque 200 dirhams, soit 6 000 dirhams mensuels, alors que le smic est à 2 000 dirhams.

« C’est dur, dans ces conditions, de convaincre les mères d’envoyer leurs enfants à l’école. Elles me disent toutes : » mais avec quoi vais-je les nourrir s’ils cessent de me rapporter de l’argent ? L’urgence, ce n’est pas de mettre mon fils à l’école, c’est de me trouver un travail", raconte Karima M’kika, jeune fondatrice et directrice d’AL karam, association qui se consacre aux enfants en détresse.

Pour comprendre le problème des enfants au travail, il faut « dépasser les clichés que l’on a en Occident », souligne Fouad Chafiqi, universitaire spécialiste de l’éducation et consultant de l’Unicef.

Beaucoup de ruraux voient « comme une bénédiction », explique -t-il, le fait que leurs fils et filles soient engagés comme apprentis ou « petites bonnes » peu après leur arrivée à Marrakech.

De leur côté, les employeurs ne sont pas loin de penser qu’ils « font le bien » en sauvant ces enfants du vagabondage.

Au fin fond de la Medina du côté du souk des tanneurs, Khalid, jeune éducateur de rue employé par Al Karam, semble découragé. « La sensibilisation et l’éducation ne suffisent pas. La vraie solution est économique. Il faudrait des programmes de réinsertion sociale », soupire-t-il.

Khalid s’inquiète d’un phénomène en plein essor : « les parents fugueurs ». De plus en plus de mères viennent lui dire : « Je n’en peux plus. Débrouillez-vous avec mes enfants, moi je renonce ! ». Et elles partent pour une autre ville.

Soumis aux pressions internationales pour réduire les dépenses publiques, le pouvoir marocain semble hésiter sur la conduite à tenir.

On lui reproche souvent de privilégier les apparences. Les initiatives, il est vrai, ne manquent pas : coup d’envoi en juin 2005 d’un ambitieux programme, « Le Maroc digne de ses enfants » préparation d’une loi réglementant le travail domestique, signature le 6 mai, d’un accord de partenariat entre l’Unicef et la wilaya de Marrakech, ect.

Sur le terrain, les associations se plaignent de ne pas obtenir de budget dès qu’elles s’écartent du « spectaculaire ».

« Un généreux donateur » est venu proposer un centre exclusivement consacré aux enfants abusés sexuellement !, raconte, d’un air las, la responsable d’une association d’aide à l’enfance.

Nous manquons d’éducateurs et de travailleurs sociaux.

Personne ne veut prendre en charge leurs salaires. Or nos urgences sont là, dans l’invisible.

Article de « Florence Beaugé », trouvé dans « Le Monde », par Linsay



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