La révolte des ouvriers du textile au Bangladesh

mardi 15 février 2011
popularité : 4%

Il ne nous semble pas que le Figaro qui parlait avec sollicitude ce 14 février d’une manifestation de 600 investisseurs au Bangladesh ait eu la même attention envers les ouvriers du textile de ce pays. Mais peut être ne sommes-nous pas des lecteurs assez fidèles…

Dans cet article d’Asia Times il est question de la répression ordinaire face aux révoltes ouvrières dans le textile et des questions qui se posent sur la place et le rôle des syndicats…

Le 14 décembre 2010, un incendie a ravagé un atelier de confection de vêtements à Dacca, la capitale du pays, tuant au moins 29 personnes et en blessant jusqu’à 200 autres. Le feu s’est propagé dans une usine du groupe Hameen qui exporte du prêt-à-porter pour des marques occidentales. Le drame a ébranlé une fragile trêve conclue quelques heures plus tôt, sous les auspices du gouvernement, entre les ouvriers du textile et leurs employeurs, après la mort d’au moins quatre personnes au cours de violentes manifestations suscitées par l’instauration d’une nouvelle grille des salaires. Abdul Kader, l’un des rescapés de l’incendie, nous assure avoir vu entre cinquante et soixante collègues se jeter du dixième étage pour échapper aux flammes, “les issues de secours étant fermées”. La direction a pourtant affirmé le contraire : “Les ouvriers n’ont pas trouvé les issues de secours, sans doute à cause de l’épaisseur de la fumée”, assure Humayun Kabir, le directeur de la production.

Pour l’heure, la cause du sinistre ne semble pas liée au mouvement social… Il aurait été causé par un court-circuit électrique. Mais la catastrophe vient alourdir un bilan déjà sévère dans l’industrie du vêtement. En effet, d’après le Département de la sécurité civile et des sapeurs-pompiers, 414 ouvriers du textile ont perdu la vie dans au moins 213 incendies d’usine entre 2006 et 2009. Le prêt-à-porter est le secteur qui rapporte le plus de devises au Bangladesh, avec 12,7 milliards de dollars [9,6 milliards d’euros] de chiffre d’affaires, soit environ 14 % du produit intérieur brut du pays, pour l’exercice comptable 2008-2009, d’après les chiffres du Bureau pour la promotion des exportations du Bangladesh.

A Dacca, Chittagong et dans d’autres villes du Bangladesh, les manifestations des 11 et 12 décembre ont fait cent cinquante blessés. Du côté des entreprises, le manque à gagner est important, en particulier pour la société sud-coréenne YoungOne, qui possède dix-sept usines au Bangladesh. Face aux mobilisations, la société a choisi d’interrompre sa production, provoquant le désarroi des ouvriers. YoungOne a déclaré qu’elle avait perdu 14,2 millions de dollars [10,7 millions d’euros] à cause de l’agitation sociale. Les violences ont éclaté à la fin d’un rassemblement organisé par le personnel de YoungOne le 11 décembre dans la soirée, dans la zone franche de traitement des exportations de Chittagong (Chittagong Export Processing Zone, CEPZ). Ils protestaient contre le nouveau mode de fixation du salaire minimum et contre la suppression de l’allocation déjeuner, d’un montant de 2,6 centimes d’euros par jour. L’un des directeurs de la firme, M. F. Rabbi, a accusé les manifestants d’avoir organisé une “attaque coordonnée”, saccageant le matériel et s’en prenant aux cadres. Lorsque les ouvriers ont voulu reprendre le travail le lendemain, YoungOne avait décidé la fermeture de onze usines. Les ouvriers sont descendus dans la rue et 160 usines au total ont fermé dans la zone, où travaillent normalement environ 150 000 personnes. Selon Prothom Alo, principal quotidien du Bangladesh, les forces de l’ordre ont tiré 550 balles de caoutchouc et lancé 95 grenades lacrymogènes pour reprendre le contrôle de la situation. Le journal a également dénombré vingt ateliers de confection, deux banques et plusieurs magasins vandalisés dans les rues autour de la CEPZ, ainsi que vingt-cinq véhicules détruits.

“On a décidé d’une refonte du salaire minimum. Mais les salariés connaissent beaucoup d’autres problèmes dont ils ne peuvent pas parler”, commente Syed Sultan Uddin Ahmed, directeur exécutif adjoint de l’Institut des études du travail du Bangladesh (Bangladesh Institut of Labour Studies, BILS). Cet été, les ouvriers, dont le salaire minimum était de 1 662 takas [18 euros] par mois, se sont mobilisés pour obtenir une hausse de salaire minimum mensuel. Ils ont demandé 5 000 takas [53 euros] par mois. Mais l’accord conclu le 29 juillet a finalement fixé le salaire minimum à 3 000 takas [33 euros] par mois. L’agitation sociale “a au final causé un tort immense au pays”, déplore Syed Sultan Uddin Ahmed.
A l’en croire, l’instauration d’une représentation syndicale officielle dans toutes les usines constituerait un progrès.

“Les organisations existantes [1] sont essentiellement au service des employeurs, et ceux qui s’efforcent de faire vraiment avancer la cause des travailleurs sont en butte aux persécutions.” Asia Times est en mesure d’en citer un exemple. Lorsque nous avons essayé de joindre sur son téléphone portable Moshrefa Mishu, présidente du Forum pour l’unité des travailleurs du textile (Garments Workers Unity Forum), nous sommes tombés sur sa jeune sœur, qui nous a informés d’une descente de police à son domicile à Dacca le 14 décembre vers minuit. “Ils étaient entre dix et douze hommes et ils ont emmené Mishu sans produire de mandat d’arrêt ni fournir d’explications”, s’indigne la jeune fille.

Razekuzzaman Ratan, secrétaire général du Samajtantrik Sramik Front (Front socialiste du travail), estime que les récents troubles ont eu un “effet cumulatif”. “Les nouvelles modalités de fixation du salaire minimum ont suscité la polémique.” En effet, les chefs d’entreprise ont mis en place un système gradué d’échelons. Cela leur permet d’imposer des pourcentages d’augmentation différents selon les ouvriers, pour resserrer les écarts de salaires.

De violentes émeutes avaient déjà éclaté fin juillet pour dénoncer ce nouveau barème. Aujourd’hui, l’application de ce système provoque de nouveau la colère. Selon un article publié par le quotidien britannique The Guardian, le prêt-à-porter représentait environ 40 % de la main-d’œuvre industrielle totale au Bangladesh. Le quotidien britannique ajoutait à l’époque que “les grandes enseignes comme Wal-Mart, Tesco, H & M, Zara, Carrefour, Gap, Metro, JCPenney, Mars & Spencer, Khol’s et Levi Strauss importent toutes des vêtements en vrac du Bangladesh, où les coûts du travail figurent parmi les plus bas du monde”.

Par Syed Tashfin Chowdhury dans Asia Times Online le 22/12/2010

Transmis par Linsay


[1BJSD, JSL, BFTUC, BSSF, BMSF, BLS toutes affiliées à la CSI NDR



Commentaires

Sites favoris


20 sites référencés dans ce secteur