Amr Moussa : le muezzin de la colère.

dimanche 27 février 2011
popularité : 3%

A 74 ans, ce routier de la diplomatie sous Moubarak se voit déjà en haut de l’affiche de la révolution égyptienne, en héraut de la jeunesse et futur raïs.

« La révolution tunisienne n’est pas loin de nous. Les citoyens arabes sont dans un état de frustration et de colère sans précédent. L’âme arabe est brisée par la pauvreté, le chômage et le recul des indices de développement ».

En ouvrant le 19 janvier à Charm el-Cheikh le sommet économique et social de la Ligue arabe, son secrétaire général, l’Egytien Amr Moussa, 74 ans, a franchement tancé les dirigeants des 22 pays arabes présents.

Dont Moubarak lui-même, Bouteflika ou le prince héritier du Bahreïn.

Dans un silence indifférent...

C’était cinq jours après la fuite de Ben Ali et quatre jours avant le début du soulèvement égyptien.

Des paroles prophétiques ? ou l’art de souffler sur les braises de la révolte ?.

« Je les avais déjà mis en garde sur les aspirations de la jeunesse lors du premier sommet économique tenu en 2009 », explique-t-il au « Canard ».

Depuis, de Bahrein à la Lybie à feu et à sang, et du Maroc au Yémen en ébullition, l’Histoire n’est pas loin de lui donner raison...

Ex-ministre des Affaires étrangères de Moubarak de 1991 à 2001, Amr Moussa s’impose désormais comme le candidat le mieux placé pour la présidentielle égyptienne, quand il plaira de l’organiser au maréchal Tantawi.

Il connaît bien celui-ci pour avoir été son collègue dix ans au gouvernement, et pense avec confiance que le Conseil supérieur des forces armées « avance dans la bonne direction ».

Le tout premier « sondage » sorti du pays des pharaons, qu’un institut de Washington a bricolé à chaud par téléphone sur un échantillon de 350 personnes, place en effet Moussa largement en tête, avec 26% d’intentions de vote, devant l’ex-vice président Sumeiman (17%) et le Prix Nobel de la paix Mohamed El Baradei, crédité de 3% seulement.

« Depuis qu’ils ont travaillé dans le même bureau au ministère des Affaires étrangères, une rivalité de toujours oppose El Baradei, gros travailleur mais renfermé, et Moussa, brillant gestionnaire de ses relations publiques », explique Samar al-Gamal, journaliste au magazine francophone « Al- Ahram Hebdo ».

Dans le sérail diplomatique depuis 1958, Moussa a été ambassadeur en Inde de 1983 à 1986, et trois fois en poste à l’ONU à New York, où il a fini représentant permanent de l’Egypte entre 1989 et 1991, juste avant d’être promu ministre des Affaires étrangères, se targuant de travailler « parfois quotidiennement » avec « Alain » (Juppé) et « [son] cher ami Hubert Védrine ».

Mais c’est aussi un homme charismatique, aux coups de gueule appréciés, qui sait « choisir ses mots pour parler au peuple ».

Car Amr Moussa n’a pas attendu la révolution en cours pour se forger une stature de présidentiable : une pétition en ligne a d’ailleurs recueilli des milliers de signatures pour le pousser à se présenter dès 2005.

Sa popularité, il l’a bâtie en se faisant le défenseur inlassable de la cause palestinienne et des intérêts égyptiens face à Israël et aux Etats-Unis, d’abord comme ministre puis à la Ligue arabe.

Point d’orgue en 2000 : le chanteur égyptien Chaaban Abderrahim lui a dédié une chanson intitulée « Je hais Israël et j’aime Amr Moussa » : un tube énorme, qui s’est vendu à plusieurs millions d’exemplaires !

« Je l’ai découverte après coup avec amusement, ce type est devenu millionnaire », commente-t-il aujourd’hui pour « Le Canard ».

« Il ne faut pas prendre à la lettre ce mot de »haine« , qui, dans ce contexte exprime juste un fort désaccord avec certaines politiques israéliennes ».
Un remarquable sens de l’euphémisme.

C’est d’ailleurs cette ritournelle, outre la vindicte de Clinton et de Madeleine Albright à son endroit, qui aurait convaincu Moubarak, agacé par la popularité de son ministre, de le nommer à la Ligue arabe ... dont le siège se trouve au Caire, précisément sur la place de Tahrir : Moussa a, du coup, pu suivre les récentes manifs du balcon de son bureau, à pied d’oeuvre pour descendre parler à la foule !.

Concernant l’allié américain, Moussa enfonce le clou ce 13 février sur la chaîne indienne X News :

« Quiconque veut forcer l’Egypte à dire »Yes sir ! Yes sir  se trompe, et le résultat est ce que vous voyez. ».

Et, à propos des Frères musulmans, qu’il ne faut pas surestimer selon lui, il rejette vigoureusement le « scénario de la peur » agité par l’Occident :
« Certains des intellectuels et responsables politiques [occidentaux] sont prêts à sacrifier la démocratie au nom de la peur de la religion ». [1]

Son limogeage du gouvernement il y a dix ans a permis à Moussa de se refaire une virginité politique, d’autant qu’il n’a jamais été membre du parti de Moubarak.

Et sa nomination à la Ligue en a fait instantanément l’homme politique arabe le plus médiatisé derrière Arafat...

Dernier coup d’éclat en date à la Ligue arabe, qu’il va quitter en mars : après le raid israélien sur la flottille turque, il effectue en juin 2010 une visite éclair par « solidarité » dans la bande de Gaza, six mois après l’offensive de Tsahal.

Du jamais vu.

« C’est un patriote qui s’est rendu populaire en Egypte en tenant bon obstinément face à Israël et aux Etats-Unis », résume l’écrivain égyptien Sonallah Ibrahim, 73 ans, emprisonné sous Nasser pour communisme, et qui s’est tenu systématiquement à l’écart du régime Moubarak

« Il a été l’un des hommes du régime, mais il a une bonne réputation ».

La fille de Moussa a même épousé le petit-fils de Nasser, icône du nationalisme égyptien...

Là n’est pas le moindre des paradoxes de la révolution actuelle : des militaires qui suspendent la Constitution pour mieux rendre le pouvoir aux civils.

Et un potentiel candidat favori qui a gardé jusqu’au bout une « relation constructive » avec Moubarak.

"A mon avis, Moussa n’est pas vraiment un révolutionnaire.
Il a tout de même travaillé dans cette dictature pendant quarante ans« ,
complète le romancier Alaa El Aswany, auteur du best-seller  »L’immeuble Yacoubian«  [2] et du recueil prophétique  »Pourquoi les Egyptiens ne se révoltent-ils pas ?" [3].

Mais c’est un troisième écrivain, Khaled Al-Khamissi, qui, pour l’avoir rencontré plusieurs fois, se fait le plus accusateur :

« Il sait parler au peuple, mais pour le manipuler. C’est un homme habile mais qui ne vaut rien. Le plus probable est qu’il finisse en clown de l’armée ».

Ultime paradoxe : ce civil de 74 ans prétend présider un pays dont la révolution a été accomplie par les jeunes, qui représentent plus de la moitié de la population.

« Dans le monde arabe, avant 70 ans, on est encore un gamin ! » rigole un ancien ambassadeur, qui pointe l’autorité des anciens dans cette zone du monde.

Tout en soulignant :

« Ce n’est pas un vociférateur borné, c’est un type de haut vol, pointilleux sur ce qui touche à la nation, un peu comme un de Gaulle, toutes proportions gardées ! ».

Clown ou grand homme : il va devoir choisir son camp, en précisant « une certaine idée de l’Égypte »...

Par David Fontaine dans Le Canard enchaîné du 23/02/2011

Transmis par Linsay


[1Le Monde", 4/2.

[2Actes Sud, 2006

[3(2010)



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