La révolte dont Obama ne parle pas

mercredi 9 mars 2011
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Juffair (Bahrein)

Jennifer Stride affiche sa tranquillité. « Les désordres politiques qui ont lieu dans le centre de Manama n’ont pas troublé nos activités et la vie quotidienne du personnel, et n’ont pas concerné la base ni les deux môles où la Marine a ses plus grands bateaux », nous dit J. Stride porte-parole de la base étasunienne de Juffair, au Bahrein, port de la 5e Flotte des Etats-Unis.

« La préoccupation principale en ce moment est comment éviter les embouteillages [1] et que nos enfants ne rentrent pas trop tard de l’école à la maison », ajoute la porte-parole.

Nous sommes assis dans un petit café de la zone relax de la base. A 5-6 Kms, sur la Place de la Perle, des dizaines de milliers de manifestants contestent chaque jour, depuis le 14 février, la monarchie des Khalifa et le gouvernement. Et il y a deux semaines la police et l’armée, pleines de mercenaires pakistanais et saoudiens, ont tué sept manifestants et blessé des dizaines de personnes. Mais ici sur la base de Juffair on ne ressent aucun ferment populaire, et la zone relax rappelle beaucoup le centre commercial d’une petite ville étasunienne tranquille. Salle de bal avec podium pour l’orchestre, terrains de basket, bureau de poste et supermarché. Peu de militaires en uniforme, ils sont le plus souvent en jeans et t-shirt de coton ou en tenue de sport. On n’attend plus que les sosies de Richie Cunningham et Fonzie, sortant d’un fast-food genre Arnold’s. Tout en règle pour les 4.800 hommes (et sans doute quelques femmes soldats, cher camarade du manifesto, NdT du 8 mars…) de la base (et plus de 1.300 contractors) (ceux que la communauté internationale et ses media appellent en Libye des « mercenaires étrangers », NdT). Parmi eux, se trouvent des militaires d’autres nationalités, de l’Australie jusqu’à l’Italie (présente avec deux officiers et deux sous-officiers) (brava gente, Ndt), représentant les 25 pays inclus dans les Combined Maritime Forces aux ordres du vice-amiral étasunien Mark Fox.

Mais les préoccupations sont quand même là, à un niveau bien plus élevé, malgré les tentatives de les masquer de Stride et des autres porte-parole qui acceptent de répondre à nos questions. C’est le silence de l’administration Obama qui les représente, qui n’a pas soutenu les aspirations à la démocratie de 70% de la population du Bahrein qui demande l’égalité pour tous les citoyens. De fait ceux qui manifestent sont les chiites, gravement discriminés par les sunnites, et ceci a suffi à convaincre la Maison Blanche de garder le silence. Dans les rencontres réservées, le roi Hamad du Bahrein répète que la révolte est un complot chiite iranien. Ses interlocuteurs étasuniens savent que c’est faux mais lui donnent raison parce qu’ils préfèrent garder leur roi allié sunnite, patron de Manama, plutôt que risquer de perdre une position de grande importance militaire dans le Golfe. On ne s’étonnera pas que le chef des états-majors étasuniens réunis, l’amiral Mike Mullen, soit venu il y a dix jours à Manama pour vérifier en personne la stabilité de la monarchie Khalifa.

« D’un point de vue stratégique la révolte de Bahrein est plus dangereuse pour les intérêts étasuniens que celle de millions de personnes en Egypte dit Aaron Miller, un ex-analyste du département d’Etat, « un changement net de régime au Bahrein aurait des effets directs et immédiats sur le dispositif militaire étasunien dans la région ». Le Bahrein est en face de l’Iran « ennemi », en excellente position pour partir à l’attaque. D’ailleurs, ces dernières années, c’est de Juffair que sont parties de nombreuses missions dans la région, en particulier depuis les porte-avions, qui ont joué un rôle central dans l’invasion anglo-étasunienne de 2003 en Irak. Et il n’est pas à exclure que d’autres ne soient lancées dans un avenir pas très lointain si les USA essayent d’arrêter par la force armée le programme nucléaire [2] iranien.

Par le Golfe passent 20-25% de tout le pétrole qui va en Occident et pendant que nous parlons avec les porte-parole militaires, une quarantaine de navires de guerre qui dépendent de Juffair, parmi lesquels deux porte-avions (Enterprise et Carl Vinson), naviguent entre Umm Qasr (Irak) et le Détroit d’Ormuz (entre Iran et Oman), dans l’océan Indien et en Mer Rouge pour affirmer la présence étasunienne et occidentale dans une zone d’intérêt stratégique et militaire exceptionnel qui va des côtes de la Somalie jusqu’en Afghanistan. Ces jours derniers sont partis du Golfe certains des navires étasuniens qui mouillent à présent en face des côtes libyennes.

Et rien n’est fait pour cacher l’importance de la base étasunienne au Bahrein, par Fred Martin, délégué à la presse de la 5e Flotte, et par le lieutenant Susie Thomson porte-parole des Combined Maritime Forces. « Des milliers de nos hommes sont en ce moment embraqués pour garantir la régularité du flux de la navigation commerciale » dit Martin dans une référence évidente au transit des pétroliers par le Détroit d’Ormuz qui, s’il devait se trouver bloqué finirait par mettre à genoux pas mal de pays occidentaux. Le lieutenant Thomson par contre nous parle de Ctf-150, Ctf-151 et Ctf-152. « Le premier sigle fait référence à la mission de sécurité et anti-terrorisme actuellement conduite par l’Australie, la seconde à l’anti-piraterie confiée au Pakistan, et la troisième à la sécurité et coopération dans le Golfe, sous le contrôle du Bahrein depuis quelques semaines. Les trois commandements se trouvent à Manama », explique Thomson. "C’est un engagement vaste qui requiert un fort emploi d’hommes et de moyens dans la lutte contre le terrorisme et au nom de la sécurité, de la stabilité et de la prospérité dans une zone de 2,5 millions de miles carrés où transitent d’importantes lignes commerciales ».

Personne ne parle de l’Iran, le nouveau-vieil ennemi de Washington (et d’Israël), les porte-parole nous disent maintenant qu’ils n’ont pas le temps de répondre à d’autres questions. Mais une attaque militaire contre les centrales nucléaires [3] iraniennes était et reste une option sur la table de Barack Obama. La base navale de Juffair est toujours le tasseau central dans le système militaire complexe que Washington développe dans le Golfe, à l’intérieur aussi de son projet de « bouclier anti-missile ». En installant rapidement les missiles défensifs Patriot Pac-3 sur les territoires de Qatar, Dubaï, Koweït et Bahrein, l’administration Obama a donné un signal puissant de sa volonté de renforcer sa propre position dans la région.

Le projet prévoit un programme conjoint avec l’Arabie Saoudite pour le développement de systèmes de défense des implantations pétrolières, dans une optique d’opposition à l’Iran. Le US CentCom, le commandement central des Forces Usa, a d’ailleurs aussi dans la région d’autres bases : au Koweït, Camp Doha et Camp Arifjan, qui, avec la base aérienne de Ali al-Salem sont les sites principaux à travers lesquels est en train de passer le processus de retrait étasunien de l’Irak.

Au Qatar, se trouvent la base aérienne de al-Udeid et le commandement central CentCom, qui joue depuis des années un rôle central pour les opérations en Irak et Afghanistan. Washington se prépare à dépenser 213 millions de dollars pour étendre ultérieurement ses bases au Bahrein et dans les Emirats Arabes Unis. Investissements qui sont largement rendus par les monarchies et les émirats du Golfe qui sont en train de dépenser en armes étasuniennes de nombreuses dizaines de milliards de dollars (dont 60 pour la seule Arabie Saoudite), en refusant des investissements pour aider les jeunes qui, dans leurs pays et dans le monde arabe, luttent depuis des semaines pour avoir du travail et la liberté.

Et des milliers de ces jeunes réclament ces droits à quelques kilomètres seulement de Juffair.

Michele Giorgio 8 mars 2011 il manifesto

Traduit de l’italien par Marie-Ange Patrizio

Transmis par Linsay



[1causés par les manifestations chiites de ces dernières semaines contre la monarchie, NDR

[2attesté civil par l’AIEA, NdT

[3civiles, NdT



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