Marine Le Pen veut le vote juif

mardi 29 mars 2011
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La présidente du Front national et future candidate à la présidentielle de 2012 cherche depuis plusieurs années en Israël et en France à gagner le vote juif. Une stratégie de rupture avec son père soigneusement élaborée.

« Pression trop forte », « cela prenait des proportions trop importantes ». Sous la colère des associations juives, dont le Crif, Radio J a renoncé à recevoir Marine Le Pen dans son émission politique du dimanche 13 mars. L’invitation de Marine Le Pen sur cette radio juive avait surpris et choqué. Et pourtant l’offensive de Marine Le Pen auprès des électeurs juifs n’est pas récente. La nouvelle présidente du Front national n’a de cesse de faire oublier l’antisémitisme chevillé au corps de son père.

D’ailleurs, ce modernisme incarné par Marine Le Pen, ses discours plus policés et acceptables, commencent à avoir un impact sur le vote juif. Cela fait même des années que celle qui n’était pas encore la présidente du Front national ni la probable future candidate à l’élection présidentielle de 2012 en fait beaucoup pour s’attirer les faveurs des juifs français et aussi des quelques dizaines de milliers de juifs binationaux français et israéliens. Elle a deux atouts non négligeables : sa personnalité –Marine Le Pen séduit les juifs quand Jean-Marie les révulsait– et son hostilité délibérée et affirmée à l’égard de l’islam.

Marine Le Pen m’avait accordé en septembre 2008, en tant que journaliste israélien et dans les locaux de son parti, une interview d’une heure, entièrement enregistrée pour contrecarrer les éventuels démentis sur les propos tenus. Elle y exposait déjà en détail la stratégie qu’elle a suivie depuis. Marine Le Pen a puisé auprès de Philippe de Villiers sa technique d’approche de la communauté juive en caressant l’Etat d’Israël dans le sens du poil. Il avait pour habitude de se placer au premier rang de toutes les manifestations pro-israéliennes pour drainer à lui la frange nationaliste juive. La place étant libérée depuis son retrait de la vie politique, Marine Le Pen s’est bornée à se substituer à de Villiers.

Lors de l’interview qu’elle m’a accordé, elle expliquait vouloir chasser sur les terres sarkozystes du vote « communautaire ».

« Je crois que Villiers avait une démarche électoraliste qui ne trompe personne. Moi, je ne vais pas chercher des voix car je pense que nos compatriotes juifs sont assez intelligents pour se rendre compte, encore une fois, que Jean-Marie Le Pen porte un programme qui est un programme de sauvegarde de la France. Or personne n’a envie de voir disparaître notre pays qui n’a jamais été aussi menacé depuis très longtemps, que ce soit par la suppression de ses frontières, que ce soit par l’Europe de Bruxelles ou par le communautarisme. C’est vrai que la communautarisation de notre société, notamment par l’islamisme, est à mon avis un véritable cancer. Je crois que les juifs se rendent compte de cela et par conséquent, ils vont se tourner d’eux-mêmes vers nous. Moi je ne veux pas aller chercher les voix niche par niche, en faisant des promesses inconsidérées. Nous avons tous, et nous le savons, un destin commun dans une nation à laquelle nous tenons et rien que cela nous suffit pour marcher main dans la main. Je trouve que les démarches consistant à chercher brutalement des voix ne me paraissent pas être une manière honnête de faire de la politique. »

Plus étonnant encore, Marine Le Pen fait une percée en Israël où un courant de sympathie se développe à son égard dans la communauté francophone. Elle s’appuie sur les éléments les plus extrêmes qui lui servent de fer de lance pour répandre ensuite la propagande frontiste dans la communauté juive française. De nombreux emails provenant ainsi du site haineux Humanoide sont renvoyés à destination des juifs d’Israël et de France. La haine est leur fond de commerce. La haine de l’arabe, la haine du gouvernement israélien jugé timoré, la haine des travaillistes et des centristes de Kadima, la haine des gens de gauche décrits comme « vermines gauchistes juifs », la haine du grand Rabbin de France Gilles Bernheim et enfin la haine des membres du Crif. Marine Le Pen est la seule à avoir grâce à leurs yeux.

Leur argument unique est que le Front national est le seul parti qui s’en prend aux arabes. Ils occultent le fait que les adorateurs de Pétain, des collaborateurs de la SS et des néo-nazis européens sont à l’origine du FN. On trouve parmi eux pêle-mêle les nostalgiques de l’OAS et des paras d’Alger, des sympathisants de Bigeard et des extrémistes religieux juifs. « Reverra-t-on bientôt, les joyeuses ratonnades de notre jeunesse ? Ou bien faudra-t-il ressusciter l’OAS ? Les combattants sont prêts mais il nous manque Salan », écrivent-ils.

Ils ont été rejoints par les sympathisants du rabbin Meir Kahane, ancien chef du parti raciste interdit en Israël Kach. Le principe que les ennemis de mes ennemis sont mes amis reste une bien étrange justification avec pour corollaire l’appel permanent au meurtre des juifs qui n’approuvent pas leurs idées.

Leur profession de foi est explicite :

« Il faudra être pédagogue avec les hésitants et il faudra rassurer les craintifs irrationnels. Le principal argument c’est la nouvelle présidente du FN. En effet, même si elle porte le nom de son père et qu’elle y reste attachée, elle n’a gardé que la partie vraie et forte du discours paternel. A savoir, la France est en cours d’invasion musulmane. Elle a officiellement abandonné les saillies antijuives de son père. Même si probablement, des antijuifs nostalgiques continueront pendant quelques temps à se faire remarquer dans le parti. Mais quelle importance ? Alors, nous cracherons avec mépris sur les abrutis qui auraient l’impudence de parler de l’antisémitisme du FN, tout en frayant avec les antijuifs actifs des autres partis. »

Devant cette forme de complicité, Farid Smahi, membre pendant quinze ans du FN, accuse son parti d’être financé par Israël.

On peut se rassurer en expliquant qu’il s’agit d’une minorité d’agités et de déséquilibrés bons pour l’asile. Mais le très sérieux quotidien Haaretz se demande lui aussi à juste raison si « l’image modérée de Marine Le Pen ne constitue pas une menace plus insidieuse que celle de son père ». D’autant plus qu’elle n’hésite pas à mettre en avant des frontistes juifs. Et son offensive méthodique porte ses fruits dans la communauté juive française.

A l’occasion d’un récent voyage à Paris et au cours de plusieurs réunions, des juifs sépharades mais aussi, ce qui est nouveau, ashkénazes (originaires d’Europe), assumant leur appartenance à la communauté m’ont ouvertement annoncé, sans hésitation et sans trouble, qu’ils voteraient lors de l’élection présidentielle de 2012 en faveur de Marine Le Pen. La menace n’est pas une vue de l’esprit.

Article de Jacques Benillouche - Journaliste indépendant (Israël)



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