Ayons les femmes, et le reste suivra

lundi 30 mai 2011
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Dans le cadre de l’année Frantz Fanon un texte de ce dernier sur la stratégie des colons en Algérie envers les « musulmans », et notamment « leurs femmes ».
Ce qui est dit sur le voile résonne dans l’actualité.
Le titre aussi d’ailleurs...mais pas pour les mêmes raisons...

Le haïk [1] délimite de façon très nette la société colonisée algérienne. On peut évidemment demeurer et indécis et perplexe devant une petite fille, mais toute incertitude disparaît au moment de la puberté. Avec le voile, les choses se précisent et s’ordonnent. La femme algérienne est bien aux yeux de l’observateur : « celle qui se dissimule derrière son voile. ».

Nous allons voir que ce voile, élément parmi d’autres de l’ensemble vestimentaire traditionnel algérien, va devenir l’enjeu d’une bataille, à l’occasion de laquelle les forces d’occupation mobiliseront leurs ressources les plus puissantes et les plus diverses, et où le colonisé déploiera une force étonnante d’inertie. La société coloniale, prise dans son ensemble, avec ses valeurs, ses lignes de force et sa philosophie, réagit de façon assez homogène en face du voile.

Avant 1954, plus précisément depuis les années 1930-1935, le combat décisif est engagé. Les responsables de l’administration française en Algérie, préposés à la destruction de l’originalité du peuple, chargés par les pouvoirs de procéder coûte que coûte à la désagrégation des formes d’existence susceptibles d’évoquer de près ou de loin une réalité nationale, vont porter le maximum de leurs efforts sur le port de voile, conçu en l’occurrence, comme symbole du statut de la femme algérienne. Une telle position n’est pas la conséquence d’une intuition fortuite. C’est à partir des analyses des sociologues et des ethnologues que les spécialistes des affaires dites indigènes et les responsables des Bureaux arabes coordonnent leur travail. A un premier niveau, il y a reprise pure et simple de la fameuse formule : « Ayons les femmes et le reste suivra. » Cette explication se contente simplement de revêtir une allure scientifique avec les « découvertes » sociologiques. Sous le type patrilinéaire de la société algérienne, les spécialistes décrivent une structure d’essence matrimoniale.

La société arabe a souvent été présentée par les occidentaux comme une sociétés de l’extériorité, du formalisme et du personnage . La femme algérienne, intermédiaire entre les forces obscures et le groupe paraît alors revêtir une importance primordiale. Derrière le patriarcat visible, manifeste, on affirme l’existence, plus capitale, d’un matriarcat de base. Le rôle de la mère algérienne, ceux de la grand-mère, de la tante, de la « vieille » sont inventoriés et précisés.

L’administration coloniale peut alors définir une doctrine politique précise : « Si nous voulons frapper la société algérienne dans sa contexture, dans ses facultés de résistance, il nous faut d’abord conquérir les femmes, il faut que nous allions les chercher derrière le voile où elles se dissimulent et dans les maisons où les hommes les cachent. ». C’est la situation de la femme qui sera alors prise en compte comme thème d’action.

L’administration dominante veut défendre solennellement la femme humiliée, mise à l’écart cloîtrée… On décrit les possibilités immenses de la femme, malheureusement transformée par l’homme algérien en objet inerte démonétisé, voire déshumanisé. Le comportement de l’Algérien est dénoncé très fermement et assimilé à des survivances moyenâgeuses et barbare. Avec une science infinie, la mise en place d’un réquisitoire type contre l’Algérien sadique et vampire dans son attitude avec les femmes, est emprise et menée à bien. L’occupant amasse autour de la vie familiale de l’Algérien tout un ensemble de jugements, d’appréciations, de considérants, multiplie les anecdotes et les exemples édifiants, tentant ainsi d’enfermer l’Algérien dans un cercle de culpabilité.

Des sociétés d’entraide et de solidarité avec les femmes algériennes se multiplient. Les lamentations s’organisent. « On veut faire honte à l’algérien du sort qu’il réserve à la femme. ». c’est la période d’effervescence et de mise en application de toute une technique d’infiltration au cours de laquelle des meutes d’assistance sociales et d’animatrices se ruent sur les quartier arabes.

C’est d’abord le siège des femmes indigentes et affamées qui est entrepris. A chaque kilo de semoule distribué correspond une dose d’indignation contre le voile et la claustration. Après l’indignation, les conseils pratiques. Les femmes algérienne sont invitées à jouer « un rôle fondamental, capital » dans la transformation de leur sort. On les presse de dire non à une sujétion séculaire. On leur décrit le rôle immense qu’elles ont à jouer. L’administration coloniale investit des sommes importantes dans ce combat. Après avoir posé que la femme constitue le pivot de la société algérienne, tous les efforts sont faits pour en avoir le contrôle. L’Algérien, est il assuré, ne bougera pas, résistera à l’entreprise de destruction culturelle menée par l’occupant, s’opposera à l’assimilation, tant que sa femme n’aura pas renversé la vapeur. Dans le programme colonialiste, c’est à la femme que revient la mission historique de bousculer l’homme algérien. Convertir la femme, la gagner aux valeurs étrangères, l’arracher à son statut, c’est à la fois conquérir un pouvoir réel sur l’homme et posséder les moyens pratiques, efficaces, de déstructurer la culture algérienne.

Frantz FANON


[1vêtement féminin fait d’un voile et porté au Maghreb



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mardi 31 mai 2011 à 20h07 - par  Marie

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