La détresse des paysans indiens portée à l’écran

vendredi 3 juin 2011
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Nous en avons déjà parlé (voir rubrique INDE) Satish Manwar en a fait un film qui sort en France cette semaine...L’article est tiré du journal indien Outlook.

"Ma mort sera comme une pluie inopportune
Ma mort vous semblera probablement insensée
Ici, j’ai laissé mon corps pendre, comme ultime preuve d’existence..."

Maudite Pluie ! [1] débute avec ces vers poignants du poète et fermier Shrikrishna Kalamb. Il les écrivit en mars 2008, deux jours seulement avant de mettre un terme à sa vie, confronté aux mauvaises récoltes et à un endettement grandissant. Le poème donne le ton de ce film marathe remarquable. Maudite Pluie ! a été acclamé et primé dans tous les festivals, de Cuba à Los Angeles, de Durban à Rotterdam.

Ce film à la fois saisissant et simple a pour sujet le suicide dans le monde paysan, et se focalise plus précisément sur la détresse et les difficultés personnelles que sur les problèmes sociaux au sens large. Les dettes, les emprunts, les récoltes insuffisantes et les revenus trop faibles – tout cela dessine la toile de fond sur laquelle deux points de vue divergents vont se heurter. Pour commencer, il y a Patil, cet homme paresseux, pragmatique et passant son temps à écouter la radio, qui a abandonné son travail d’agriculteur, conscient que le produit de la terre ne lui rapportera pas grand-chose. Et puis il y a Kisna, qui s’acharnera au travail jusqu’à ce que la mort l’arrache à sa ferme.

Le réalisateur Satish Manwar, dont c’est le premier film, est originaire de la ville de Yavatmal, dans le Vidarbha (malheureusement connu comme la région la plus touchée par les suicides dans la partie orientale du Maharashtra). A l’en croire, ce n’est pas lui qui a choisi le sujet, mais le sujet qui s’est imposé à lui. « Je me suis senti impuissant face à ce problème et j’ai voulu exprimer mon désarroi à travers ce film », confie-t-il. Il lui a fallu cinq ans pour réunir les fonds. Finalement, il a été tourné en vingt-quatre jours, durant le mois de juin 2008.

Le récit est construit autour de deux thèmes entremêlés : la pluie et la mort. La pluie, plus capricieuse que jamais, se fait éternellement attendre par les fermiers, puis fait des ravages lorsqu’elle daigne finalement tomber. Au village, la mort est la seule chose dont on est sûr. Les cortèges funéraires serpentent impassiblement les ruelles, avec une régularité alarmante. Satish Manwar a tenté de « montrer la réalité de la mort ».

Ce film traite donc de la façon tragique dont les suicides affectent le psychisme de ceux qui luttent pour leur survie. Alka, la femme de Kisna, est profondément bouleversée lorsqu’elle apprend que son voisin Bhaskar s’est pendu. Elle craint alors le pire pour son propre mari, se demandant s’il a, lui aussi, des tendances suicidaires. Un manque d’appétit, une irascibilité inhabituelle, des silences de plus en plus lourds – autant de symptômes d’un mal peut-être plus profond. Le film met en scène le désespoir et l’angoisse des femmes, ainsi que la façon dont elles échangent leurs confidences et expriment leurs pires tourments. On les voit veiller sur leurs maris, soucieuses à l’idée de devoir les laisser seuls et tentant de leur montrer le chemin à suivre.

Cela ajoute une touche douce-amère au film. Certains moments sont drôles et parviendraient même à arracher un sourire au spectateur. Par exemple, la scène où Alka s’inquiète sans raison lorsque Krisna cherche sa bouteille de pesticide, ou bien la magnifique séquence où la mère de Kisna cherche son fils frénétiquement dans tout le village alors qu’il est parti à la recherche de bœufs ou d’un tracteur pour labourer ses terres. On partage les petits moments de bonheur de la famille, même dans une telle misère – comme au moment du festin de puran poli [2].

Le film s’abstient heureusement d’employer un ton moralisateur, à l’exception d’une chanson dépeignant la misérable vie de village confrontée aux « rues bien lisses et au ciel si vulgairement illuminé » des grandes villes. « Je ne pensais pas que mon mélodrame pourrait toucher autant », commente Satish Manwar.

Par Namrata Joshi  Outlook le 01/06/2011

Transmis par Linsay


[1Gabhricha Paus est le titre original en marathi, la langue régionale de l’Etat indien du Maharashtra

[2galettes sucrées farcies aux lentilles



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