« Je ne peux pas supporter cette explosion des inégalités »

Entretien avec Audrey Vernon
lundi 4 juillet 2011
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La lutte prend des formes multiples en particulier quand c’est une lutte pour la vie contre la mort programmée de l’entreprise comme dans le cas des Fralib.

Au départ il y a une démarche peu banale d’une artiste, Audrey Vernon auteure et interprète du « 1er one man show économique » qui appelle au local syndical de l’entreprise pour mieux connaître et faire connaître la lutte des fralib. Ensuite elle profite d’un passage à la télé pour argumenter sur les raisons du conflit.

Et puis il y a ce vendredi 2 juillet cette soirée en soutien au combat pour l’avenir de l’entreprise avec donc son spectacle : COMMENT EPOUSER UN MILLIARDAIRE

Elle est toute seule sur une l’immense scène du théâtre silvain, théâtre en plein air qui surplombe la Corniche. A côté d’elle l’éléphant des manifs symbole de l’usine marseillaise et en dessous, en guise de décoration de l’estrade qui la sépare du public la banderole des Fralib : avant même que le spectacle ne commence le décor est planté.

Dès que se terminent les premiers applaudissements qui saluent son entrée, d’un air faussement ingénu elle débite avec humour son histoire de celle qui veut épouser un milliardaire et a dans ce but épluché leur vie, leur nombre et leur fortune. Une avalanche de chiffres et de marques distillées entre deux éclats de rires ou applaudissements du public. Car ce n’est pas la moindre de ses performances, nous faire rire de l’absurdité d’un monde où quelques uns encaissent en quelques mois ce que d’autres mettraient des millions d’années à gagner.

Nous l’interrogeons dès le spectacle fini.

1) Audrey, après avoir vu ton spectacle la première question est : combien ça t’a pris de temps pour l’écrire ?

3 ans. (elle dit ça comme si c’était naturel, comme si cela en soi n’était pas déjà une performance) Il m’a fallu 3 ans à consulter la presse économique quotidienne, les pages saumon du Figaro, la presse spécialisée pour connaître et décortiquer la fortune de celles et ceux qui sont parmi les 1210 milliardaires de notre planète. Le plus incroyable c’est qu’ils ne se cachent même pas et que l’on trouve tout sur ces journaux…

2) Mais qu’est ce que c’est qui t’a poussé à faire un spectacle de ce genre ?

C’est parce que je ne supporte pas l’explosion des inégalités. La philosophe Simone Weil [1] parlait de la violence extrême de notre société. Elle disait aussi « Il faut connaître le mal qu’on veut combattre ». Je trouve moi aussi que notre société est d’une violence extrême et cela me semble important que les gens connaissent les auteurs de cette violence.

3) Dans ton spectacle tu as une pique sur les artistes qui s’engagent sur des causes parce qu’ils ont du temps…Tu regrettes qu’il n’y ait pas dans le monde du spectacle plus d’engagement pour le politique et le social ?

Je pense que les artistes que j’admire s’engagent à travers leur art plutôt qu’à côté ; mieux vaut être politique dans l’oeuvre, que de faire de mauvais films au sens débile et à côté s’engager pour une cause, je pense que l’utilité des artistes est de faire entendre une voix différente, qui est celle de la vérité, de la poésie, cela doit donner une force au public et non pas le divertir... Mieux vaut faire un spectacle qui redonne du courage et de la foi que d’essayer de faire oublier leurs soucis aux gens tout en chantant à côté pour les restos du coeur...

4) La culture n’est pas la forme d’expression spontanée des travailleurs, mais la lutte y conduit souvent. Penses-tu à poursuivre dans cette voie à la manière de ce que font par exemple les Jolie Môme ?

J’étais très heureuse après le spectacle au théâtre silvain d’apprendre que certaines personnes venaient au théâtre pour la première fois, c’est émouvant de savoir que pour certains cette soirée en plein air, dans la nuit, au milieu des arbres aura été une première, après je ne sais pas si l’art peut vraiment sauver et aider. On ne peut avoir envie de sortir et d’aller au théâtre que quand le problème de la survie ne se pose pas, une personne qui travaille 12 heures par jour dans des conditions précaires, avec un souci permanent, ne peux pas après son travail avoir envie de théâtre, et c’est un des crimes du capitalisme à mon avis, enlever le goût de vivre et la curiosité en créant une inquiétude et un stress bien utiles pour garder les gens sous domination.

Après aller jouer dans des endroits où les spectateurs sont vraiment concernés comme pour les travailleurs de Fralib et du thé éléphant est un vrai bonheur parce que le texte du spectacle ne résonne pas de la même manière quand les gens dans la salle vivent au quotidien ce dont je parle de manière théâtrale, je sentais que c’était un soulagement et un plaisir de jouer avec la situation dont ils sont victimes et qu’ils essaient de retourner à leur avantage.

Et souvent, les gens qui travaillent dans des usines ou de grandes entreprises sont bien plus calés en économie parce qu’ils se tiennent informés de l’actualité, ils lisent les journaux, ils essaient de comprendre la situation dont ils souffrent, du coup ils voient beaucoup mieux que d’autres publics ce dont je parle, ils savent que ce n’est pas une caricature... par exemple dans le spectacle quand mon mari milliardaire me dit : "regarde ce que j’ai là le plan de restructuration d’une entreprise, faut que je marge à 40% je dois supprimer 250 emplois ; si tu veux, c’est toi qui les choisis" ou alors : "les êtres humains, les gens, mais si tu vois... Les trucs dont la DRH s’occupe..."

5) Comment a été l’accueil des salarié-e-s ?

L’accueil des salariés a été incroyable. J’ai trouvé que la visite dans l’usine cela a été très beau. Il y a un vrai amour des ouvriers pour leur outil de travail. Ils nous ont reçus d’abord avec un déjeuner, puis nous avons eu la chance de voir les machines tourner, de passer du temps dans l’usine avant d’organiser la soirée ensemble et les réactions au spectacle ont été magnifiques, j’ai été très émue de voir d’abord la complicité entre le public et moi et aussi que cela leur donnait de la force. J’ai eu beaucoup de contacts personnels avec les salariés, ce qui a rendu le spectacle encore plus riche... C’était une très très belle soirée pour moi.

Déjà d’autres personnes l’appellent et la happent. Audrey repart trop vite.
Mais elle reviendra ici, on en est sûrs…


Voir sa participation, tonique, à l’émission Ce soir ou jamais :http://audreyvernon.com/


[1Née à Paris le 03 février 1909
Décédée à Ashford, Angleterre le 24 août 1943. A ne pas confondre avec la femme politique du même nom.



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