Les conseils ouvriers ou l’autogouvernement

vendredi 22 juillet 2011
popularité : 4%

Anton Pannekoek est clair dès le départ.
Il titre son texte : « L’organisation des Conseils. » Et annonce : « Les conseils ouvriers sont la forme d’auto-gouvernement qui remplacera, dans les temps à venir, les formes de gouvernement de l’ancien monde. » Et il poursuit : « Bien entendu, pas pour toujours ; aucune de ces formes n’est éternelle. Quand la vie et le travail en communauté constituent une façon d’être normale, quand l’humanité contrôle entièrement sa propre vie, la nécessité fait place à la liberté et les règles strictes de justice établies auparavant se résolvent en un comportement spontané. » Et il ajoute pour concrétiser : « Les conseils ouvriers sont la forme d’organisation de la période de transition pendant laquelle la classe ouvrière lutte pour le pouvoir, détruit le capitalisme et organise la production sociale. »

COMMUNISME OU SOCIALISME D’ETAT ?

« Pour connaître leur véritable caractère, il sera utile de les comparer aux formes existantes d’organisation et de gouvernement que la coutume présente à l’esprit public comme allant de soi. »

Auparavant toutefois, Anton Pannekoek avait tenu à préciser « que le système social dont il est question ici pourrait être appelé du nom de communisme si ce nom n’était utilisé dans la propagande mondiale du »Parti communiste« (les guillemets sont de lui) pour désigner son système de socialisme d’Etat, sous une dictature du parti. »

Mais qu’est-ce qu’un nom ?, interroge-t-il.

« On abuse toujours des noms pour tromper les masses : les sons familiers les empêchent de penser d’une manière critique et d’apprécier clairement la réalité. »Donc, au lieu de chercher le nom qui convient, il sera plus utile d’examiner de plus près la caractéristique principale du système : l’organisation des conseils."

C’est, je le rappelle le titre donné à ce texte.

COMPARER PARLEMENTS ET CONSEILS OUVRIERS

Les communautés trop vastes pour se réunir en une seule assemblée règlent toujours leurs affaires au moyen de représentants, de délégués ;

« Lorsque nous parlons, indique-t-il de l’administration des affaires par des délégués élus, c’est toujours aux parlements que nous pensons ; c’est donc surtout aux parlements que nous devons comparer les conseils ouvriers si nous voulons discerner leurs traits essentiels. »

La différence, dit-il, saute aux yeux dès l’abord : les conseils ouvriers s’occupent du travail et doivent règler la production, alors que les parlements sont des corps politiques qui discutent et décident des lois et des affaires de l’Etat.

« La politique et l’économie, cependant, ne sont pas des domaines entièrement séparés. »En régime capitaliste, l’Etat et le parlement prennent les mesures et font les lois nécessaires à la bonne marche de la production : ils pourvoient à la sécurité du négoce et des affaires, à la protection du commerce, de l’industrie, des échanges et des déplacements à l’intérieur et à l’étranger ; à l’administration de la justice, à la monnaie et à l’uniformité des poids et mesures.

« Et leurs tâches politiques qui, à première vue, ne semblent pas liées à l’activité économique, sont en rapport avec les conditions générales de la société, avec les relations entre les différentes classes qui constituent le fondement du système de production. »Ainsi, la politique, l’activité des parlements, peut, au sens large, être considérée comme un auxiliaire de la production."

LA DISTINCTION ENTRE LA POLITIQUE ET L’ECONOMIE

Leurs rapports sont les mêmes que ceux qui existent entre la règlementation générale et la pratique concrète.

La tâche de la politique est d’établir les conditions sociales et légales dans lesquelles le travail productif peut s’effectuer régulièrement, ce travail lui-même étant la tâche des citoyens.

Ainsi, il y a division du travail.

La réglementation générale peut être laissée à une minorité de politiciens dirigeants.

Le travail productif lui-même, base et contenu de la vie sociale, est constitué des activités séparées de nombreux acteurs et absorbe entièrement leurs vies.

Ce n’est qu’aux époques de crises sociales, de décisions fondamentales et de controverses sévères, de guerre civile, de révolutions, que la masse des citoyens a dû consacrer tout son temps et toutes ses forces à ces réglementations générales.

« Tout autre est l’organisation de la production commune par les conseils ouvriers...La production sociale constitue une totalité cohérente, objet de l’attention de la totalité des travailleurs, occupant leurs esprits en tant que tâche commune à tous...La réglementation générale, c’est le problème principal, qui exige l’attention conjuguée de tous... »Il n’y a plus séparation entre la politique et l’économie...Pour la communauté indivise des producteurs, politique et économie ont fusionné ; il y a unité de la réglementation générale et du travail pratique de production.

« Cette totalité est l’objectif essentiel de tous. »

DES ORGANES DE DISCUSSIONS ET DE COMMUNICATIONS SOCIALES

Les conseils, dit Anton Pannekoek, ne gouvernent pas, ils transmettent les opinions, les intentions, la volonté des groupes de travail...Ils ont pris part aux dicussions, ils se sont distingués comme porte-parole ardents des opinions qui ont prévalu...Ils ne sont pas seulement capables de les défendre à la réunion du conseil, mais encore ils sont suffisamment impartiaux pour être ouverts à d’autres arguments, et pour présenter à leur groupe des opinions ayant une large audience.

Les conseils sont donc les organes de discussions et de communications sociales.

La pratique parlementaire est exactement à l’opposé.

Là, les délégués doivent prendre des décisions sans consulter leurs électeurs, sans être liés par un mandat. Il peut daigner leur parler...Mais il vote selon sa conscience...Il est expert en matière politique, spécialistes des questions législatives, il ne peut se laisser guider par les directivzes de gens ignorants...Il doit être guidé par de grands principes politiques et ne pas se laisser influencer par l’égoïsme étroit des intérêts privés de ses mandats ;

C’est ainsi dans le capitalisme démocratique : il est possible à des politiciens élus par une majorité de travailleurs de servir les intérêts de la classe capitaliste.

Pis, les principes du parlementarisme ont aussi pris pied dans le mouvement ouvrier.

Dans les organisations syndicales de masse, ou dans des organisations politiques géantes comme le parti social-démocrate allemand, les dirigeants agissaient comme une sorte de gouvernement, avec pouvoir sur les membres, et leurs congrès annuels prenaient l’allure de parlements...

UNE REVOLUTION TOTALE DANS LA VIE SPIRITUELLE DE L’HOMME

« Dans l’organisation des conseils, dit Pannekoek, la division des tâches a disparu...Il ne s’agit plus de la préoccupation de chacun pour sa propre entreprise, son propre emploi, en concurrence avec les autres...Le travail collectif domine la pensée de chacun. La conscience de la communauté forme le fond et la base de tout sentiment et de toute pensée. »Il s’agit là d’une révolution totale dans la vie spirituelle de l’homme. Il apprend à voir la société...Elle apparaît en pleine lumière, transparente et connaissable...Son regard embrasse la production dans sa totalité...Elle est devenue l’objet d’une organisation consciente...

« La société est dans la main de l’homme : il agit sur elle, il en comprend la nature essentielle...Le monde des conseils transforme l’esprit. »

LA PERIODE DE TRANSITION

« Il y a soixante-dix ans, Marx signalait qu’entre le règne du capitalisme et l’organisation finale d’une humanité libre, il y aurait une période de transition où la classe ouvrière serait maîtresse de la société, mais où la bourgeoisie n’aurait pas encore disparu. »Il appelait cet état de choses la dictature du prolétariat.

« A son époque, ce mot n’avait pas encore la résonance sinistre que lui ont donné les systèmes modernes du despotisme, et on ne pouvait pas l’employer abusivement pour la dictature d’un parti au pouvoir, comme plus tard en Russie. »Il signifiait seulement domination de la société passant de la classe capitaliste à la classe ouvrière...

« Nous voyons aujourd’hui que l’organisation des conseils met en pratique ce que Marx avait anticipé en théorie, mais dont on ne pouvait à l’époque concevoir la forme pratique. »Quand la production est organisée par les producteurs eux-mêmes, la classe exploiteuse d’autrefois est automatiquement exclue de la participation aux décisions, sans autre forme de procès.

« La conception de Marx de la dictature du prolétariat apparaît comme identique à la démocratie ouvrière de l’organisation des conseils. »

LA DEMOCRATIE N’EST PLUS UN SIMULACRE

Anton Pannekoek insiste : cette démocratie ouvrière n’a rien de commun avec la démocratie politique su système social précédent.*

« Ce que l’on a appelé démocratie politique du capitalisme était un simulacre de démocratie, un système habile conçu pour masquer la domination réelle du peuple par une minorité dirigeante. »L’organisation des conseils est une démocratie réelle, la démocratie des travailleurs, où les ouvriers sont maîtres de leur travail ;

« Dans l’organisation des conseils, la démocratie politique disparaît parce que la politique elle-même disparaît, cédant la place à l’économie socialisée. La vie et le travail des conseils, formés et animés par les ouvriers, organes de leur coopération, consistent dans la gestion pratique de la société, guidée par la connaissance, l’étude permanente et une attention soutenue... »Ce que l’on arrive à faire dans de telles conditions ne pourra jamais être commandé d’en haut, ou ordonné par la volonté d’un gouvernement.

« La source en est la volonté commune de tous ceux qui sont en cause, car l’action est fondée sur l’expérience et la connaissance du travail de tous, et elle influence profondément la vie de chacun... »Les conseils ne sont pas un gouvernement ; même les conseils les plus centralisés n’ont pas un caractère gouvernemental, car ils n’ont aucun moyen d’imposer leur volonté aux masses ; ils n’ont pas d’organes de pouvoir.

« Tout le pouvoir réel appartient aux travailleurs eux-mêmes. Partout où l’exercice du pouvoir est nécessaire – contre des troubles ou des attaques de l’ordre excistant – il émane des collectivités ouvrières dans les ateliers et reste sous leur contrôle. »

CE QUI RESTE C’EST DE L’ADMINISTRATION

Pour Anton Pannekoek, pendant toute l’ère civilisée et jusqu’à nos jours, les gouvernements ont été nécessaires comme instruments permettant à la classe dirigeante de garder sous sa coupe les masses exploitées.

Ils assumaient aussi des fonctions administratives de plus en plus importantes ; mais leur caractère principal de force organique du pouvoir était déterminé par la nécessité de maintenir une domination de classe.

Quand cette nécessité disparaît, son instrument disparaît aussi.

Ce qui reste, c’est l’administration, qui est une sorte de travail parmi beaucoup d’autres, la tâche d’une espèce particulière de travailleurs.

Ce qui prend la place du gouvernement, c’est l’esprit de vie de l’organisation, la discussion constante des ouvriers, qui pensent en commun à leur cause commune. C’est leur autorité morale. Et dans une telle société, l’autorité morale a un pouvoir bien plus rigoureux que les ordres ou la contrainte d’un gouvernement.

DECISION ET EXECUTION INTIMEMENT LIEES

« A l’époque des gouvernements au-dessus du peuple, poursuit Pannekoek, lorsque le pouvoir politique devait être concédé aux peuples et à leurs parlements, il y avait séparation du pouvoir législatif et du pouvoir exécutif du gouvernement ; parfois même, le pouvoir judiciaire devenait un troisième pouvoir indépendant. »La tâche des parlements était de légiférer, mais l’application, l’exécution des lois, l’administration quotidienne étaient réservés à un petit groupe privilégié de dirigeants.

« Dans la communauté de travail de la nouvelle société cette distinction disparaît. Décision et exécution sont intimement liées ; ceux qui font le travail décident, et ce qu’ils décident en commun, ils l’exécutent en commun... »Dans le domaine de la production elle-même, chaque entreprise doit non seulement organiser avec soin son propre champ d’activité, mais elle doit aussi créer des liaisons horizontales avec des entreprises similaires, verticales avec celles qui lui fournissent les matières premières ou qui utilisent ses produits.

« Dans cette dépendance mutuelle...les conseils couvriront des domaines toujours plus étendus, jusqu’à l’organisation centrale de la totalité de la production. »D’autre part, l’organisation et la consommation, la distribution de tous les biens nécessaires, exigera ses propres conseils de délégués de tous les intéressés et aura un caractère plutôt local ou régional."

L’AUTO-ORGANISATION DE TOUS LES DOMAINES DE LA VIE

Par-delà l’organisation de la vie matérielle, il y a, dit Pannekoek, le vaste champ des activités culturelles et de celles, non directement productives, qui ont pour la société une nécessité primordiale, telles l’éducation des enfants ou le soin de la santé de tous.

« Ici, dit-il, c’est encore le même principe qui règne : celui de l’auto-organisation de ces domaines de travail par ceux qui font le travail. »Il semble tout à fait naturel que tous ceux qui participent activement soit au soin de la santé universelle, soit à l’organisation de l’éducation, c’est-à-dire les soignants et les enseignants, règlent et organisent l’ensemble de ces services, par les moyens de leur association...

« Dans la nouvelle société, à cause du lien bien plus intime de la santé et de l’éducation, avec le travail, ils règleront leurs tâches de manière que leurs conseils restent en contact étroit et collaborent constamment entre eux et avec les autres conseils ouvriers... »D’une manière générale, il y a, en ce qui concerne les activités culturelles aussi bien que toute activité non productive, une disparité fondamentale entre une organisation imposée d’en haut par un corps dirigeant, et une organisation faite de la libre collaboration de collègues et de camarades...

« Ainsi, l’organisation des conseils tisse à travers la société un réseau de corps diversifiés, travaillant en collaboration, et règlant sa vie et son progrès selon leur libre initiative. »Et tout ce qui est discuté et décidé dans les conseils tire son véritable pouvoir de la compréhension, la volonté, l’action de l’humanité laborieuse.« Note : le texte de Anton Pannekoek constitue le chapitre 7 du livre 1 »La Tâche« de »Conseils ouvriers« (1942). Il est publié par »Editions Turbulentes" : http://nem.brassicanigra.org/



Commentaires

Sites favoris


20 sites référencés dans ce secteur