Tous comptes faits, la famine c’est bien pratique...

mercredi 17 août 2011
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Il n’y a qu’à lire les articles parus dans cette rubrique SOMALIE depuis 2006 ou le dernier paru sur ce même sujet pour être convaincu, si vous ne l’êtes pas encore du cynisme des pays riches, riches parce qu’impérialistes, dans cette catastrophe qui n’a rien de naturelle.

Nombre de journalistes ou d’écrivains africains disent leur colère et leur dégoût lucides. Les deux cités aujourd’hui montrent en plus tout le profit que d’aucuns, les mêmes qui appellent à notre générosité, peuvent tirer de cette situation... Et le rôle des gouvernements du nord et de leurs valets du sud...

La Corne de l’Afrique traverse l’une des pires sécheresses de ces soixante dernières années. (...) Cet événement n’est pas une surprise : dès les mois d’octobre et de novembre de l’année dernière, les Nations unies et des dizaines d’organisations humanitaires présentes dans la région avaient mis en garde contre l’imminence de cette catastrophe. Et la famine est arrivée, exactement comme prévu. Mais alors pourquoi nos gouvernements, dont le premier devoir est de protéger le peuple de ces calamités, ne se mobilisent-ils pas davantage pour éviter un tel désastre ?

La première raison saute aux yeux : les élites sociales et politiques ne meurent pas de faim en cas de famine. D’ailleurs, elles sont plus enclines à s’agiter devant une flambée des cours du pétrole qu’à la vue de centaines de leurs concitoyens décimés par la faim.

Mais l’horrible vérité, c’est probablement que nos gouvernements – ou, du moins, nos establishments – ont besoin des famines. Un peuple de paysans indépendants, vivant tranquillement de ses récoltes, pourrait devenir têtu et fier. Les paysans sont généralement les premières victimes de ces famines qui les éreintent et les obligent à ravaler leur fierté pour demander l’aumône. La famine est un instrument d’aliénation très efficace qui permet aux élites d’accumuler toujours plus de pouvoir.

Mais elle peut également les mener à leur perte : la flambée des prix a été l’un des facteurs déclenchants de la chute de Ben Ali en Tunisie et de Moubarak en Egypte. En début d’année, l’Ouganda aussi a été gravement agité. La plupart du temps, ces hausses brutales de prix ont des répercussions politiques, sauf en cas de famine. Lorsque vos voisins meurent de faim, il y a peu de chances pour que vous alliez manifester parce que votre budget alimentaire a augmenté de 100 %.

Les prix retrouvent rarement leur niveau d’avant la famine. S’ils diminuent, ce n’est que très légèrement. En matière de profit, les marges provenant de changements “normaux” liés à une augmentation des coûts de production sont tolérées.

Les grands acteurs du marché agroalimentaire mondial profitent de cette crise, qui oblige la communauté internationale à acheter des millions de tonnes d’aide alimentaire dans l’urgence, donc avec une marge de négociation très faible. Pour ceux qui peuvent encore aller se coucher le ventre plein, les conclusions sont dérangeantes. Si les entreprises qui produisent une nourriture que nous achetons de plus en plus cher sont en mesure d’investir, c’est probablement grâce aux profits qu’elles dégagent de l’augmentation des prix liée à une grave famine. Si nous pouvons encore manger, c’est peut-être grâce à tous ces gens que nous voyons mourir de faim tous les soirs au journal télévisé.

Charles Onyango-Obbo The East African le 28/07/2011

***

Et ça recommence. J’ai toujours redouté le retour du cycle de la faim dans ma région d’origine, la Corne de l’Afrique. Cette partie du monde est, à tort ou à raison, synonyme de guerres civiles, de famine et de chaos pour le reste du monde. Ça recommence de plus belle.

Nulle envie de revoir les mêmes images d’enfants squelettiques, d’adultes moribonds, de mères accablées, d’essaims de mouches, de cohortes d’humanitaires blancs.

J’ai vite éteint la télévision pour préserver un petit carré blanc, fait d’ombre et de silence, une sorte de petit jardin japonais dans l’arrière-pays de mon cerveau. Un coin où me retirer quand le grand soulèvement émotionnel, spongieux et bitumeux, va tout emporter sur son passage.

Depuis le 25 juillet 2011, je sursaute chaque fois que j’entends les mots « crise alimentaire », « famine », « Somalie » ou « Dadaab » [1]. Submergé par ces chiffres anesthésiant toute distance, tout effort rationnel, je reste bête.

Et ça s’emballe. 10, non, 11, non, 12 millions de personnes sont en danger de mort en Somalie, en Ethiopie, à Djibouti, au Kenya, au Soudan et en Ouganda. Certains sont déjà morts en Somalie et en Ethiopie, Les dépêches tombent sur mon écran, les unes plus alarmantes que les autres. Les réseaux sociaux (Facebook, Twitter en tête) brassent et brassent encore la même mélasse informe, moitié information, moitié déballage voyeuriste.

Une famine prévisible… et instrumentalisée

Pourtant, la sécheresse et la pénurie de denrées étaient prévisibles.(...) Les élites locales ne sont, contrairement à ce penserait que le commun des mortels, ni éprouvées ni désarmées.

Comme le vautour, elles attendaient la sécheresse. Elles désiraient secrètement le spectre de la mort. Le contraire leur paraîtrait choquant, impensable. Imaginez un instant des paysans et des pasteurs indépendants, vivant tranquillement de leurs récoltes ou de leur bétail. Ces derniers deviendraient vite fiers, têtus et sourds aux diktats venant des capitales. Une hérésie.

La famine est l’un des plus puissants instruments d’aliénation qui permet aux élites sociales et politiques d’accumuler toujours plus de pouvoir. De plus, cette famine arrange également les gouvernements des grandes puissances qui, loin de tenir les promesses d’hier, vont se donner bientôt le rôle de sauveurs. Enfin, les industries agro-alimentaires ne sont pas mécontentes d’écouler leurs stocks cédés, dans l’urgence, à bon prix.

Le spectre de la disette

Enfant, j’ai grandi avec le spectre de la disette. La famine sévissait à quelques dizaines de kilomètres de Djibouti, de la ville qui m’a vu naître. Dans le quartier modeste où j’ai grandi, il n’était pas rare d’entendre les mères gronder nos plus jeunes frères et sœurs qui ne finissaient pas leur repas :

« Finis ton assiette sinon tu vas ressembler aux petits enfants karamoja ! »

Ce nom m’effrayait. Rien ne m’avait pas préparé à le rencontrer un jour autrement que comme une menace. Et ce n’est que deux décennies plus tard que j’ai compris ce que ce mot mystérieux, tout droit sorti d’un traité d’anthropologie, pouvait recouvrir.

Les Karamoja habitent dans la région éponyme située dans le nord et l’est de l’Ouganda. Cette région semi-aride où l’on pratique l’économie agro-pastorale se trouve en butte à une insécurité alimentaire chronique, provoquée tant par la nature (faible pluviométrie, déforestation) que la main de l’homme.

Dans tout l’orient africain, la grande famine de 1979-1980 qui décima le peuple karamoja est incrustée dans les mémoires. Un quart de la population et près de 60% des nourrissons disparurent en quelques semaines. Je compris un peu plus tard l’effroi qui parcourait l’échine de nos mères à l’automne de l’année 1979.

Dix ans plus tôt, les mêmes tentaient de tenir à distance la grande faucheuse, qui emportait les hommes dans la région orientale du Nigeria appelée alors le Biafra. Les famines se succédaient tous les cinq ou six ans, c’est tout. Après le Karamoja, les enfants mouraient en masse en Ogaden, dans le Wollo et ailleurs en Ethiopie.

Nous sommes en 1984. Les miséreux tombent en masse. Le mouvement caritatif mondial vient de naître. Et dans son sillage le charity business avec d’un côté ses French doctors riches de leur expérience biafraise, et, de l’autre, ses global rock stars (Bob Geldof hier, Bono, Madonna et tutti quanti aujourd’hui), souvent millionnaires et anglo-saxons. Entre ces deux blocs, la division du travail est respectée. Tiraillés entre les deux pôles, les victimes et le personnel local ne font pas le poids. (...)

Abdourahman Waberi Slate Afrique

Transmis par Linsay


Charles Onyango-Obbo est un journaliste et écrivain ougandais, rédacteur en chef Afrique du Nation Media Group, le plus grand groupe de presse du Kenya.

Abdourahman A. Waberi est un écrivain francophone, né le 20 juillet 1965 (comme Frantz Fanon dit il dans son blog) à Djibouti ville, dans ce qui était encore la Côte française des Somalis (ex-Territoire français des Afars et des Issas, actuelle République de Djibouti indépendante depuis 1977). Son dernier livre s’intitule « Passage des larmes ».


[1au Kenya, le plus grand camp de réfugiés au monde



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