MARX, MANDEL, LÖWY ET L’ECOSOCIALISME

vendredi 3 septembre 2010
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Selon Wikipédia, Michael Löwy ( Sao Paulo, Brésil, 1938 ) est un sociologue et philosophe marxiste franco-brésilien. Toujours selon la même source, il est – précision nécessaire – directeur de recherche au CNRS et enseignant à l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales ( EHESS ). Auteur d’ouvrages sur Marx, Lukas, Walter Benjamin et Franz Kafka, il a reçu en 1994 la médaille d’argent du CNRS.

UNE RICHE PERSONNALITE

Il ne peut être question d’en résumer ici tous les riches aspects, de même que ses intérêts universitaires. Aussi, l’article de Wikipédia précise-t-il que « malgré la diversité des thèmes et des sujets, la plupart des travaux de Michel Löwy, depuis sa thèse de 3e cycle sur Marx jusqu’aux derniers livres sur Walter Benjamin et Kafka, relèvent donc de la sociologie de la culture et s’inspirent de l’approche « marxiste historiciste » de cette discipline, dont Lucien Goldmann était un des représentants parmi les plus importants mais qui s’inspire de Tönnies, Weber, Simmel et Mannheim.

Sachons encore, cela me semble indispensable, que Michael Löwy a participé depuis le début aux forums sociaux mondiaux où il a présenté plusieurs communications, dont une en collaboration avec le théologien de la libération brésilien Frei Betto, et qu’il est lié au courant marxiste révolutionnaire en France, et son dernier livre, sur Che Guevara, a été rédigé en collaboration avec Olivier Besancenot qu’il n’est pas nécessaire de présenter.

Michael Löwy est membre de l’association ATTAC, de la Fondation Copernic et d’Espaces Marx.

Plus récemment, indique encore l’article, Löwy s’est engagé dans le combat pour l’écosocialisme : co-auteur du Manifeste écosocialiste international ( avec Joel Kovel ), il a été aussi un des organisateurs de la première rencontre écosocialiste internationale à Paris ( 2007 ).

TOUS LES CLIGNOTANTS SONT AU ROUGE

Les motivations de Michael Löwy sont extrêmement fortes. Pour lui, « tous les clignotants sont au rouge ».

Il en énumère : croissance exponentielle de la pollution de l’air dans les grandes villes, de l’eau potable et de l’environnement en général ; réchauffement de la planète, début de fusion des glaces polaires, multiplication des catastrophes « naturelles » ; début de destruction de la cape d’ozone ; destruction à une vitesse grandissante des forêts tropicales et réduction rapide de la bio-diversité par l’extinction de milliers d’espèces ; épuisement des sols, désertification ; accumulation de déchets, notamment nucléaires, impossibles à gérer ; multiplication des accidents nucléaires et menace de nouveaux Tchernobyl ; pollution de la nourriture ; manipulations génétiques, « vache folle », boeuf aux hormones...

LES LOGIQUES MORTIFERES DU CAPITAL

Pour Michael Löwy, « il est évident que la course aux profits, la logique productiviste et mercantile de la civilisation capitaliste/industrielle nous conduit à un désastre écologique aux dimensions incalculables.

« Ce n’est pas céder au catastrophisme que de constater que la dynamique de croissance infinie induite par l’expansion capitaliste menace de destruction les fondements naturels de la vie humaine sur la planète... »

Si l’échec prévisible des négociations de Copenhague confirme l’incapacité des représentants du système capitaliste à répondre au défi écologique du réchauffement global, et si les différents courants dominants de l’écologie, d’Al Gore à Daniel Cohn-Bendit, ne dépassent pas les limites du social-libéralisme, il n’est pas non plus de fatalité.

L’EXIGENCE D’UN CHANGEMENT RADICAL ET STRUCTUREL

Cependant, l’argumentation de Michael Lövy écarte franchement les demi-mesures, la « barre » à franchir doit être mise au niveau nécessaire.

« Pour affronter les enjeux du changement climatique et la crise écologique générale, il faut un changement radical et structurel qui touche aux fondements du système capitaliste : une transformation non seulement des rapports de production ( la propriété privée des moyens de production ) mais aussi des forces productives ( les moyens techniques et les savoir-faire humains servant à produire ).

« Cela implique tout d’abord une véritable révolution du système énergétique, du système des transports et des modes de consommation actuels, fondés sur le gaspillage et la consommation ostentatoire, induits par la publicité.

NOUVELLE SOCIETE ET NOUVELLE CIVILISATION

« Bref, dit-il, il s’agit d’un changement de paradigme de civilisation, et de la transition vers une nouvelle société où la production sera démocratiquement planifiée par la population ; c’est-à-dire où les grandes décisions sur les priorités de la production et de la consommation ne seront plus décidées par une poignée d’exploiteurs, ou par les forces aveugles du marché, ni par une oligarchie de bureaucrates et d’experts, mais par les travailleurs et les consommateurs, bref, par la population, après un grand débat démocratique et contradictoire entre différentes propositions.

« C’est, dit-il, ce que nous désignons par le terme écosocialisme. »

ECOLOGIE ET SOCIALISME : DES OBJECTIFS COMMUNS

L’on conçoit aisément que socialisme, au sens indiqué par Michael Löwy, et écologie véritable, puissent avoir des objectifs communs qui impliquent la mise en question de l’autonomisation de l’économie, du règne de la quantification, de la production comme but en soi, de la dictature de l’argent, de la réduction de l’univers social au calcul des marges de rentabilité et aux besoins de l’accumulation du capital.

Michael Löwy insiste : socialisme et écologie se réclament tous les deux de valeurs qualitatives : la valeur d’usage, la satisfaction des besoins, l’égalité sociale pour les uns, la sauvegarde de la nature, l’équilibre écologique pour les autres. Tous les deux conçoivent l’économie comme « encastrée » dans l’environnement : social pour les uns, naturel pour les autres.

LA CONFRONTATION DE DEUX COURANTS

Dans le réel toutefois, la confrontation a toujours existé entre les deux courants.

Michael Löwy nous fait constater que les écologistes accusent Marx et Engels de « productivisme » et, à la question : « cette accusation est-elle justifiée ? », il répond : oui et non.

Cependant, dans un article consacré à « Ernest Mandel et l’écosocialisme », il met plutôt en avant les idées écologiques de ce dernier.

Il indique que, déjà, dans son « Traité d’Economie Marxiste » ( 1962 ), Mandel évoque l’idée d’un « arrêt de la croissance » dans le socialisme : « Lorsque la société disposera d’un parc de machines automatiques suffisamment ample pour couvrir tous les besoins courants...il est probable que la « croissance économique » sera ralentie ou même momentanément arrêtée. L’homme complètement libre de tout souci matériel, économique, sera né. »

Mais poursuit Löwy, il semblerait que ce fut le rapport du Club de Rome ( rapport Meadows, soutenu par Sicco Mansholt ) qui a stimulé chez Mandel le début d’une réflexion plus soutenue sur le thème de l’environnement : ce sera l’objet de l’article « Dialectique de la croissance » de novembre 1972, plus tard publié en allemand sous le titre : « Marx et l’écologie »...

MARX ET MANDEL CONTRE MANSHOLT

Löwy constate que, après avoir rappelé que, « pour Marx, la croissance économique, le développement des forces productives, n’étaient pas un but en soi mais simplement un moyen pour l’émancipation humaine, Mandel cite un passage important de « L’Idéologie allemande » ( 1846 ) sur la transformation, dans le capitalisme, des forces productives en forces destructives.

Ce potentiel destructeur du développement capitaliste des forces productives résulte de la logique même de l’économie de marché fondée sur la recherche du profit : « Si on a choisi certaines techniques plutôt que d’autres, sans tenir compte des effets en matière d’équilibre écologique, c’est en fonction de calculs de rentabilité privée de certaines firmes... »

« Dans certains passages, Mandel semble croire à une neutralité de la technologie moderne : « Il n’est simplement pas vrai que la technique industrielle moderne tend inévitablement à détruire l’équilibre écologique. »

« Mais par la suite, il reconnaît que la technologie actuelle, la technologie industrielle moderne réellement existante – par exemple celle imposée par les trusts chimiques comme Monsanto – est dangereuse et nuisible. Il insiste simplement sur l’idée que cette orientation technique n’est pas la seule possible : dans une perspective socialiste on donnerait « la priorité au développement d’une autre technologie, tendue toute entière vers l’épanouissement harmonieux de l’individu et la conservation des ressources naturelles, et non vers la maximisation des profits privés. »

PLANIFIER LA CROISSANCE

Pour Michael Löwy, la solution n’est pas d’imposer la pénurie, l’ascèse, la réduction drastique du niveau de vie – comme le proposent les experts du MIT dans leur rapport du Club de Rome – mais plutôt de planifier la croissance en la soumettent à une série de priorités clairement établies, qui échappent entièrement aux impératifs du profit privé.

« L’option de croissance zéro, notamment dans les pays sous-développés, est inacceptable.

Et il réitère : « L’alternative socialiste que propose Mandel, c’est de transformer radicalement les structures économiques et sociales, créant ainsi les conditions pour un rétablissement de l’équilibre écologique. Dans une société socialiste la priorité sera accordée à la satisfaction des besoins de base pour les êtres humains et à la recherche de technologies nouvelles qui reconstituent les réserves de ressources naturelles rares. La qualité de vie, le temps libre, la richesse des rapports sociaux, deviendront bien plus importants que « l’accroissement du revenu national brut. »

Toutefois, Michael Löwy n’entend pas s’en tenir là : « Si, dit-il, l’option socialiste de Mandel me paraît toujours d’actualité, il me semble nécessaire d’aller quelques pas plus loin, aussi bien dans la critique de l’héritage marxien que dans la radicalité de la rupture avec le paradigme techno-productif existant. Il faut intégrer les acquis de l’écologie au coeur même de la démarche socialiste : en d’autres termes, viser une alternative écosocialiste. »

L’APPAREIL PRODUCTIF N’EST PAS NEUTRE

Il précise : « Un certain marxisme classique, utilisant quelques passages de Marx et Engels, part de la contradiction entre forces et rapports de production et définit la révolution sociale comme la suppression des rapports de production capitalistes, devenus un obstacle au libre développement des forces productives. Cette conception semble considérer l’appareil productif comme « neutre », et son développement comme illimité.

« Dans cette optique, la transformation socialiste consisterait avant tout dans l’appropriation sociale des forces productives crées par la civilisation capitaliste et leur mise au service des travailleurs.

« Pour citer un passage de l’Anti-Duhring d’Engels – cet ouvrage canonique pour des générations de socialistes : dans le socialisme, « la société prend possession ouvertement et sans détour des forces productives qui sont devenues trop grandes pour toute autre direction que la sienne. »

BRISER L’ETAT...

« Il faut, poursuit Michael Löwy, critiquer cette perspective, d’un point de vue écosocialiste, en s’inspirant des remarques de Marx sur la Commune de Paris : les travailleurs ne peuvent pas s’emparer de l’appareil d’Etat et le mettre à fonctionner à leur service. Ils doivent le « briser » et le remplacer par un autre de nature totalement distincte, une forme non étatique et démocratique de pouvoir politique.

« Ce même vaut, mutatis mutandis, pour l’appareil productif réellement existant, c’est-à-dire capitaliste, par sa nature et sa structure, il n’est pas neutre, mis au service de l’accumulation du capital et de l’expansion illimitée du marché.

...ET REVOLUTIONNER L’APPAREIL PRODUCTIF

« Il est en contradiction avec les exigences de sauvegarde de l’environnement et de santé de la force de travail. Par son fonctionnement et sa logique, il ne peut qu’aggraver la pollution, la destruction des forêts, le bouleversement catastrophique du climat.

« Il faut donc le « révolutionner », en transformant radicalement sa structure. Cela signifie, pour certaines branches de production – les centrales nucléaires par exemple – de le « briser ».

« En tout cas, les forces productives elles-mêmes doivent être profondément modifiées, en fonction de critères sociaux et écologiques.

« Cela signifie d’abord une révolution énergétique, le remplacement des énergies non renouvelables, responsables de la pollution et qui empoisonnent l’environnement – charbon, pétrole et nucléaire – par des énergies douces et renouvelables : eau, vent, soleil.

Mais c’est l’ensemble du mode de production et de consommation – fondé par exemple sur la voiture individuelle et d’autres produits de ce type – qui doit être transformé, ensemble avec la suppression de rapports de production capitaliste et le commencement d’une transition au socialisme.

Michael Löwy récuse alors deux écoles qui s’affrontent au sein de la « gauche écologique », l’école optimiste selon laquelle, avec le progrès technologique et les énergies douces, le développement des forces productives peut connaître une expansion illimitée, et l’école pessimiste qui considère qu’il convient de limiter de façon draconienne la croissance démographique et le niveau de vie des populations.

UN CHANGEMENT QUALITATIF DE DEVELOPPEMENT

Il est partisan d’une troisième position vers laquelle Mandel semblait tendre, celle dont l’hypothèse principale est le changement qualitatif de développement : mettre fin au monstrueux gaspillage de ressources par le capitalisme fondé sur la production en grande échelle de produits inutiles ou nuisibles : l’industrie d’armement en est un exemple évident.

Et orienter la production vers la satisfaction des besoins authentiques, à commencer par ceux que Mandel considérait comme « bibliques » : l’eau, la nourriture, le vêtement, le logement...

L’écosocialisme est fondé sur un pari, qui était déjà celui de Marx, et sur lequel Mandel insistait souvent : la prédominance, dans une société sans classe, de « l’être » sur « l’avenir », c’est-à-dire la réalisation personnelle, par des activités culturelles, ludiques, érotiques, sportives, artistiques, politiques, plutôt que le désir d’accumulation à l’infini de biens et de produits.

Ce dernier est induit par l’idéologie bourgeoise et la publicité et rien n’indique qu’il constitue une « nature humaine éternelle. »

DE NOUVELLES CONTRADICTIONS

Bien évidemment, aucune société ne se développe sans contradictions, et donc sans confrontations d’idées et de débats. Ce sera à la démocratie socialiste de créer les conditions pour qu’elles puissent prendre la plus grande ampleur.

Dans cet esprit, je veux dire à nouveau que je me prononce pour une société communiste qui intégrera pleinement les préoccupations exprimées ici, de même que les pistes ou les voies qui permettront d’en sortir.

Et si je partage pleinement l’essentiel de ce qui est écrit, il est des questionnements à propos desquels ma religion n’est pas encore faite. Il en est ainsi par exemple de ce que l’on continue à appeler le nucléaire, alors que se mettent en place les outils qui « dépasseront » l’utilisation de l’atome. Mais ceci mérite un débat en soi, un débat indispensable, et je pense que nous l’aurons.



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