Débat Hamon / Sapir sur l’euro

jeudi 8 octobre 2009
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Suite à l’article de l’économiste Jacques Sapir mettant en cause son discours sur l’endettement français, Benoît Hamon lui répond sur le plan de relance, l’Europe, et la dette.... Jacques Sapir commente la réponse de Benoit Hamon

Jacques Sapir vient, dans une tribune publiée sur le site Marianne2.fr, me reprocher d’avoir adopté une posture de « Père la rigueur » digne de Raymond Barre lorsque j’ai déclaré dans une interview que la droite était en train de ruiner la France.

Il indique dans cette tribune que le taux d’endettement français se situe légèrement en dessous de la moyenne européenne et son taux d’accroissement très légèrement au-dessus.

Il soutient que la montée de l’endettement de l’Etat n’est non seulement pas alarmante, mais qu’elle est nécessaire pour financer les mesures de relance imposées par une situation quasi-déflationniste.
Il attire l’attention sur la nécessité de réviser les statuts de la BCE pour lui permettre de monétiser les déficits publics et souligne les dangers d’un euro surévalué.

Il conclut qu’en l’absence de l’adoption de telles politiques budgétaires et monétaires, l’alternative serait une sortie de l’euro et un retour au Franc.

Puisque je ne recherche pas spécialement la lumière en prononçant des anathèmes ou en dispensant des certificats de vertu à l’intérieur de ma famille politique, je me concentrerai sur l’essentiel : le fond du débat économique.

Je n’ignore pas que la dette publique est un thème brandi de façon récurrente par les néo-libéraux pour dénigrer la dépense de l’Etat, notamment celle qui finance les services publics, qualifiée péjorativement de « dépense de fonctionnement improductive ».
J’ai d’ailleurs combattu au Parlement européen le pacte de stabilité et les procédures de sanction pour déficits excessifs que la Commission européenne engage systématiquement contre les pays qui mettent en œuvre des mesures de relance en période de récession.
J’ai combattu le carcan juridique européen qui entrave toute politique industrielle ambitieuse en limitant les aides d’Etat au nom de la concurrence libre et non faussée.
J’ai milité dans le sillage de Martine Aubry en faveur d’un plan de relance de 50 milliards d’euros, plus ambitieux que celui du gouvernement (26 milliards sur deux ans) et plus cohérent, soutenant à la fois la consommation et l’investissement.

Le simple redéploiement du paquet fiscal (15 milliards) permettrait de financer près d’un tiers de ce plan, et les 35 milliards supplémentaires pourraient être empruntés sans difficulté sur les marchés financiers. L’épargne abondante (16% du PIB) est particulièrement gourmande d’obligations d’Etat et permet encore à ce jour de financer la dépense publique à taux très bas.

Mais cette disponibilité de l’emprunt bon marché pourrait ne pas durer. D’ores et déjà les taux sur les emprunts d’Etat commencent à se tendre dans de nombreux pays. Il est donc parfaitement légitime de demander un financement des politiques publiques par création monétaire ce que les statuts de la BCE lui interdisent à ce jour de faire.

La crise a donc confirmé le besoin de doter la zone euro d’une banque centrale arrimée au pouvoir politique et dédiée notamment au soutien de la croissance et de l’emploi. Je n’ai pas de désaccord avec Jacques Sapir sur ces points.

Une vraie politique de gauche est eurocompatible

J’en viens à la dette. Le véritable débat n’est pas d’être pour ou contre la dette. Je suis favorable à la dette pour sortir de la crise si celle-ci permet de mobiliser l’épargne oisive et excédentaire vers des investissements dans les énergies renouvelables, vers les services publics, vers la politique industrielle, vers la recherche, vers la protection sociale.
On parle dans ce cas de bonne dette, celle qui provoque un effet sur l’activité économique dont le dynamisme permet d’engendrer en fin de course les recettes fiscales permettant de revenir à l’équilibre.

Mais le point clé soulevé par le budget 2010 - et négligé par Jacques Sapir - est que ce gouvernement est en train d’accumuler une masse considérable de mauvaise dette, celle qui finance des dépenses économiquement inutiles et socialement injustes. Le paquet fiscal, la suppression de la part investissement de la taxe professionnelle ou les baisses de TVA dans la restauration en sont quelques exemples.
Non seulement cette énorme niche fiscale a été financée par la dette, mais surtout elle ne provoque aucun effet macroéconomique positif. Les déficits se creusent aujourd’hui parce que la politique conduite n’a pas provoqué le choc escompté sur la croissance.

N’oublions pas que le budget 2009 devait produire selon le gouvernement une croissance située dans une fourchette de 0,2 à 0,5%. Or l’économie sera cette année en récession de –3%. Les recettes fiscales prévues ne seront donc pas au rendez-vous. Les déficits s’aggraveront d’autant plus que les catégories aisées, fortement contributrices, ont bénéficié des baisses d’impôt. Les rentiers jouiront de surcroît des intérêts d’emprunt croissants, qu’ils perçoivent dès lors qu’ils détiennent une grande part de la dette publique, elle-même croissante.
Cette dette-là est injustifiable.

La droite est littéralement en train de gâcher les marges de manœuvre libérées par l’assouplissement du pacte de stabilité. Elle dilapide l’argent du contribuable au bénéfice des plus aisés. A cela, aucun responsable politique, ni économiste conséquent ne peut, sauf à s’abstraire de la réalité, rester indifférent. Et c’est pour cette raison que je réaffirme que la droite est en train de vider les caisses à mauvais escient.

Enfin, faut-il, comme le propose Jacques Sapir, brandir la menace d’une sortie de l’euro si l’Europe persévérait dans l’orthodoxie monétaire et budgétaire ?

Je pense pour commencer qu’il faut distinguer ce qui relève du diagnostic économique, du pronostic et du vœu. Quelle est la thèse de Jacques Sapir ? Que certains pays dont la balance commerciale est très déficitaire devront sortir de l’euro pour retrouver des marges de manœuvre grâce à une monnaie plus faible qui permette de relancer les exportations, comme la Pologne ou la Grande Bretagne l’ont fait avec leur monnaie nationale.

Ce scénario dans la zone euro se confirmera-t-il ? Il n’y a rien de mécanique à ce que cette hypothèse se réalise. La France dans le passé s’est longtemps accommodée d’un franc fort, d’une croissance faible et d’un haut niveau de chômage.

Certes, la surévaluation de l’euro vis-à-vis du dollar pénalise nos exportations et favorise la pénétration du marché intérieur par les marchandises produites à bas coûts en zone dollar. Après l’abandon indispensable du pacte de stabilité actuel, il est donc primordial que le Conseil européen - pourtant théoriquement en charge selon les Traités de la politique de change - impose à la BCE un alignement de ses taux d’intérêt sur ceux de la banque fédérale américaine pour enrayer la montée de l’euro. Il faut aussi réguler le libre-échange à l’échelle communautaire en réactivant le tarif extérieur commun.

Mais sortir de l’euro est bien plus périlleux qu’avantageux, compte tenu du déficit commercial français, le plus important de son histoire. Une sortie de l’euro provoquerait une crise de change importante qui menacerait de rendre inopérante toute politique de relance dans un seul pays. Comme le reconnaît Jacques Sapir, la dévaluation démultiplierait le poids d’une dette encore libellée en euros.

En revanche, malgré l’absence de coordination européenne des politiques de relance et malgré un euro trop fort, une stimulation de la demande (consommation et investissement) opérée dans un seul pays « à la 1981 », tout en restant dans la zone Euro, ne pose aucun problème. Un pays qui adopterait une politique de gauche et dont le commerce extérieur se dégraderait temporairement ne serait pas obligé de dévaluer ou, comme ce fut le cas en 1983, d’ouvrir la parenthèse de la rigueur.

Je sais qu’on peut s’inventer tous les désaccords pour justifier l’existence d’une frontière programmatique étanche entre deux gauches. Cette thèse nourrit une stratégie politique qui immanquablement fera le lit de la droite. J’espère avoir contribué par cette réponse à faire le tri entre ce qui relève du débat entre nous et de ce qui me semble relever d’une polémique inutile.

Un commentaire de Jacques Sapir

Je prends acte, avec plaisir, de cet article de Benoît Hamon.

Il dit des choses justes dans sa première partie.
Je ne conteste pas, non plus, le fait qu’une partie du plan de relance soit mal utilisée. J’ai d’ailleurs critiqué la « prime à la casse » comme une mesure qui ne fait que retarder les échéances.

Les problèmes se situent plutôt dans la seconde partie.

Benoît Hamon ne peut ignorer qu’il ne saurait y avoir d’Euro sans pacte de stabilité. Ce dernier est nécessaire dès lors que l’on harmonise par une monnaie unique des économies dont les dynamiques d’inflation, de chômage et de croissance sont très divergentes. Il est encore plus nécessaire quand on réalise cette harmonisation dans le cadre d’une Banque Centrale dont on proclame que l’objectif UNIQUE est de lutter contre l’inflation. Vouloir l’Euro sans le Pacte de stabilité c’est mettre en péril toute la construction. C’est pourquoi nous le verrons ressurgir dès 2010, avec les conséquences déflationnistes qu’il implique.

Une autre question est de savoir laquelle de ces hypothèses est la plus probable : une réforme profonde des statuts de la BCE, autorisant cette banque à financer au taux 0% une partie des déficits ou l’éclatement de la zone. Il faut se souvenir de ce qui est arrivé à l’Union Monétaire scandinave dans les années 1930....Elle a éclaté, parce que les politiques des 3 pays ont trop divergé.

Sur la question d’une sortie de l’Euro, il me semble que Benoît Hamon mélange les arguments.

- (1) Si nous sortons, c’est pour dévaluer et ceci rétablira immédiatement notre balance commerciale. Les précédentes dévaluations ont failli parce qu’elles ont été à doses homéopathiques. Il faut dévaluer de 20% à 25%.

- (2) Toute sortie de l’Euro doit s’accompagner d’un système de contrôle des changes et des flux de capitaux. Elle devrait même être anticipée par un tel système...
Dans ces conditions, nous avons les instruments pour stabiliser à notre guise le cours du Franc.

- (3) La véritable question est celle de la dette, et je signale que soit la Banque de France peut racheter une bonne partie de cette dernière, soit nous pouvons organiser un défaut partiel sur la dette. Je préfère la première solution mais, la France étant exportatrice nette de capitaux, nous pouvons nous accomoder de la seconde.

- (4) Dans les conditions actuelles, je ne vois pas en quoi une réforme de l’Europe et de la zone Euro incluant une révision drastique du statut de la BCE, une abandon du pacte de Stabilité, et l’autorisation de financer une partie des déficits par la Banque Centrale apparaît moins illusoire qu’une sortie de l’Euro. J’aurais tendance à penser que l’option de sortie serait en fait plus réaliste car elle ne dépend que de nous seuls et ne nécessite pas d’accord à l’unanimité. Mais je pense aussi que la simple menace d’une telle solution ferait avancer les choses.

Enfin, la question d’une politique de gauche pose nécessairement la question de l’Europe. Ceci n’est pas un faux débat et tant que Benoît Hamon le niera il mettra un obstacle aux discussions sur ce point. S’il veut, comme il le prétend dans AGORAVOX, unifier les courants de gauche il doit affronter cette question.

L’UE dans sa forme actuelle c’est la déréglementation qui entraîne à termes la privatisation des services publics, c’est la concurrence fiscale et salariale au sein même de l’Europe. La position de « l’Europe Sociale » est en réalité une posture pour des temps d’élections.

Jacques Sapir



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