Paul Biya : le dictateur à temps partiel.

vendredi 28 octobre 2011
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Sa « réélection » le 9 octobre avec 78% des voix a mis fin aux « angoisses » du Canard. Le roi va pouvoir continuer à s’occuper de « Sa Suffisance » en Suisse ou ailleurs...

Pour le président sortant du Cameroun, il est plus intéressant de diriger le pays que d’y vivre.

Le suspense est à peine humain : Paul Biya, président sortant du Cameroun, 78 ans, sera-t-il réélu pour la 5e fois, le 9 octobre ?.

Chef de l’Etat depuis 1982, officiellement sacré en 1984 avec 99% des voix, Biya n’a fait semblant qu’en 1992.

Dans le sillage du mouvement de démocratisation africaine, il l’a joué pluraliste et, avec 40% des voix (le scrutin est à un tour), n’a devancé que de 4% son éternel opposant, John Fru Ndi.

Aux trois autres présidentielles, il a obtenu des scores sans réplique (88% en moyenne).

Sa victoire est si routinière que, en 2004, Chirac l’a félicité avant même que les résultats ne soient publiés !.

Et, en 2008, Biya a cassé la Constitution, qui l’empêchait de se représenter.

Avec l’approbation de Paris : vingt-neuf ans, c’est si court pour agir...

Autant Biya s’accroche au fauteuil - il possède aujourd’hui la plus belle longévité d’Afrique francophone -, autant il a le tact de ne pas imposer sa présence aux Camerounais.

C’est un président saisonnier.

Il peut résider à l’étranger (de préférence à l’hôtel Intercontinental de Genève) jusqu’à quarante-quatre jours d’affilée.

Soit la durée au-delà de laquelle la Constitution reconnaît la vacance du pouvoir.

Ce qui, au retour, permet aux railleurs d’évoquer un président « en court séjour privé » dans son pays.

Du coup, Biya réunit rarement son Conseil des ministres et doit, parfois après un délai d’un an, se faire expliquer qui est cet inconnu paré du titre de ministre des sports.

Il a récemment nommé préfet un fonctionnaire décédé depuis six mois.

A boycotté la plupart des réunions de l’Union africaine, dont il est un des doyens.

Et vient de passer vingt ans sans mettre les pieds à Douala, la capitale économique !.

Qui donc est cet intermittent capable de se maintenir trente ans au sommet d’un Etat délabré, classé 131e mondial à l’indice de développement de l’ONU, où l’espérance de vie n’est que de 52 ans ?.

Dans ce « château d’eau de l’Afrique », où moins de 30% des habitants ont l’eau potable, ce pays comblé de richesse et de pétrole et pourtant ravagé par la misère ?.

Lui, la misère, il déteste.

Amateur de golf et de suites de luxe, il a, par exemple, en 2009, dépensé 900 000 euros en trois semaines de séjour pour lui et les (nombreux) siens à La Baule.

Cet éloignement d’avec son peuple ne l’empêche pas de savoir le tenir.

Le haut du pouvoir, il le fréquente depuis... 1962, chargé de mission à la présidence.

Auparavant, ce catholique avait passé sept ans au séminaire, avant des études en France, dont Sciences-Po.

Arrêtons le char à Biya.

Au contact du président Ahmadou Ahidjo, installé au palais d’Etoudi par les Français lors de l’indépendance de 1960, il voit s’achever une effroyable guerre civile.

Elle a abouti à l’élimination, avec l’aide active de Paris, de l’UPC, puissant parti anticolonialiste.

Le bilan dépasse sans doute 100 000 morts.

Biya a retenu quelques recettes : s’appuyer sur une armée forte, savoir utiliser le tribalisme (centré sur son ethnie, les Bétis), éviter de s’opposer aux Français, qui tiennent toujours l’économie.

En 1982, à la surprise générale, Ahidjo démissionne, et Biya lui succède.

Mais il essuie, deux ans plus tard, une tentavive de putsch par le démis, qui s’est ravisé.

« La date est fondatrice, explique l’africaniste Albert Bourgi. Elle lui permet de renforcer, après épuration, ses partisans dans l’armée, l’un des trois grands pilliers du régime ».

Le deuxième, c’est une pléthorique administration (200 000 foctionnaires), dans laquelle il laisse se développer une corruption à tous les échelons, de l’école au tribunal en passant par le permis de conduire.

Cette culture de prédation va jusqu’à l’ubuesque.

En 2004, raconte le récent ouvrage de Fanny Pigeaud, « Au Cameroun de Paul Biya », des conseillers sont chargés d’acheter un nouvel avion présidentiel.

Ils gardent l’argent pour eux et en retapent un vieux.

Des pannes répétées, lors de l’« inauguration », dévoilent l’arnaque...

Ces facéties n’empêchent pas l’efficacité du régime policier.

La répression des opposants est implacable.

La lutte contre la corruption est souvent invoquée pour coffrer les prétendants trop ambitieux.

Troisième pilier du système, un réseau d’entreprises étrangères, aussi puissantes que discrètes.

Au premier rang, les françaises, qui tiennent une partie des jeux et du PMU, des banques, des télécoms (Orange), des transports, des plantations (Bolloré, Compagnie fruitière) et, surtout du pétrole, où Total fait la loi.

En 2003, l’affaire Elf avait montré que le marchand d’or noir reversait au Président un pourcentage sur chaque baril écoulé.

Comment s’étonner de la bienveillance de l’Elysée (de toute époque) pour le délicieux régime de Biya ?.

En 2008, les militaires tricolores ont donné un coup de main secret pour l’aider à reprendre la presqu’île de Bakassi aux Nigérians.

Soucieux de parfaire sa « bonne gouvernance », plusieurs conseillers du Président - dont l’ancien ambassadeur Yvon Ommes, les communicants Stéphane Fouks ou Patricia Balme - sont français.

Silencieux sur les atteintes aux droits de l’homme au Cameroun, Paris se tait même lorsqu’elle touchent os compatriotes.

Comme l’homme d’affaires Thierry Atangana Abega, qui croupit depuis ...1997 en prison, accusé d’un détournement qu’il conteste.

Ou Lydienne Yen-Eyoum, ex-avocate de l’Etat camerounais, incarcérée en janvier 2010 pour corruption.

Peu convaincue, une juge française conduit une instruction sur ses conditions d’arrestation, qu’elle pense ordonnée en haut lieu et de détention (torture à l’appui).

Mais le parquet vient de s’y opposer.

"Le pouvoir ne tolère pas qu’on enquête et qu’on poursuive un chef d’Etat étranger, tonne Christian Charrière-Bournazel, avocat de l’avocate.
Les ordres viennent de l’Elysée !"
.

Encore un peu et il évoquera la « Françafrique ».

Et pourquoi pas, tant qu’il il y est, les mallettes de billets ?.

Par Jean-François Julliard dans Le Canard enchaîné du 05/10/2011

Transmis par Linsay


En médaillon, un 14 juillet entre amis...



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