Dieu existe je l’ai rencontré...

...au Marché !
mardi 22 novembre 2011
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Faire le portrait de Dieu est vraiment une œuvre délicate. Dans ces temps où l’exercice du droit à blasphémer devient pour certains un sport national, Rouge Midi ne pouvait pas être en reste...

Si vous ne l’avez pas rencontré, au moins avez vous entendu parler de lui.
Lui, c’est le nouveau Dieu des temps modernes, le Marché [1]. Et pas étonnant que ce soient les grecs aux dieux multiples qui nous l’ont fait découvrir.

Avant Dieu, il y avait des hommes qui décidaient de la gestion de leur économie...et des nôtres par la même occasion. Les hommes élisaient des chefs de gouvernement et des assemblées élues conduisaient les affaires. Mais maintenant que le Dieu Marché est apparu il décide de tout.

Papandréou annonce qu’il va consulter par référendum les Grecs sur le violent serrage de ceinture qui les attend ? Le Marché réclame sa tête et l’obtient.

Les italiens ont des problèmes de dette ? « Les marchés poussent Berlusconi vers la sortie ». [2]

A chaque « crise », Le Marché obtient la peau de ceux dont il affirme qu’ils le mettaient en danger : déjà cinq Premiers ministres européens à son tableau de chasse, l’Irlandais Gowen, le Portugais Socrates, la Slovaque Radicova, le Grec Papandréou, l’Italien Berlusconi. Sans compter l’espagnol Zapatero que les hommes ont sorti eux mêmes pensant ainsi faire plaisir à Dieu.

Et pourquoi Dieu est si grand ?
Parce qu’il est composé de grands banquiers, de patrons de compagnies d’assurances et de hedge funds (les fameux fonds rapaces), bref de disciples auxquels les hommes qui nous gouvernent font allégeance puisque les Etats sont obligés de s’adresser à lui pour couvrir leur déficit.

Cela n’a pas toujours été le cas.

Jusqu’en 1973, le Trésor public empruntait directement à la Banque de France.

Mais cette année-là Pompidou (un banquier) interdit cette pratique, obligeant ainsi l’Etat à faire appel aux banques privées : celles-ci lui prêtent, en fixant le taux d’intérêt qui leur plaît.

Depuis, tous les autres pays européens, et l’Europe elle-même, ont fait pareil.

D’où cette situation grotesque : il est interdit aux Etats de se financer auprès de la Banque centrale européenne.

Mais celle-ci peut refinancer à très faibles taux les banques privées, lesquelles prêtent ensuite aux Etats à des taux nettement supérieurs !.

Pourquoi les Etats se sont-ils livrés ainsi, pieds et poings liés au Dieu Marché et à ses disciples ?.

Parce que ces vingt dernières années, et surtout depuis la chute du Mur, que d’aucuns ont appelé « la fin de l’histoire » les grands noms de la politique internationales se sont pieusement convertis à la religion du capitalisme triomphant.

Le libre-échange sans entraves !.

La dérégulation financière tous azimuts !.

Le privé ça marche, le public ça foire !.

Qu’ils soient de droite ou de gauche, démocrates ou républicains, travaillistes ou conservateurs, qu’ils s’appellent Tony Blair, DSK, Pascal Lamy, Balladur, Jospin ou Sarkozy, tous les responsables politiques ont entonné joyeusement ce cantique :« gloire à toi Marché tout puissant ! »

Comme le montre l’essayiste Geoffrey Geuens [3], la plupart d’entre eux ont multiplié les allers-retours du public au privé, siégeant dans les conseils d’administration des trusts et des hedge funds, puis retournant dans le public prôner une meilleure gouvernance de la finance - le dernier en date étant Mario Monti, le remplaçant de Berlu, qui vient de chez Goldman Sachs.

Aujourd’hui, on entend ces hommes politiques à casquette interchangeable annoncer qu’ils vont s’attaquer aux paradis fiscaux (qui ne se sont jamais si bien portés) et « moraliser » le Dieu Marché...comme si Dieu était moralisable !

Lui dont le travail consiste justement à décerner à sa guise des notes aux entreprises et aux Etats, pour faire ce qu’il sait faire le mieux : spéculer.

Plus un pays est endetté, plus les marchés peuvent se remplir les poches en augmentant ses taux d’intérêt.

Du coup, ils font monter la pression.

Pour eux, mieux vaut prêter à 7% à la Grèce à genoux qu’à 3% à un pays AAA !.

Certes, spéculer est un peu risqué , le client peut faire défaut ; ainsi, la Grèce a fini par effacer la moitié de son ardoise.

Mais, à cette occasion, avez-vous entendu les marchés hurler au scandale et à la spoliation ?.

Même pas.

C’est que le jeu en vaut la chandelle : quand un pays est étranglé, on peut continuer à le dépecer.

Pour alléger le fardeau de la dette, en effet, rares sont les Etats qui, comme l’Islande, laissent leurs banques faire banqueroute.

Tous veulent « rassurer les investisseurs internationaux ».

En privatisant leurs services publics.

Et en offrant ainsi de nouveaux cadeaux aux marchés.

« En Grèce, il y a beaucoup de biens publics à privatiser, disait en juillet Angela Merkel (une autre pieuse fidèle des marchés), et beaucoup de secteurs fortement réglementés et verrouillés à développer ».

Ces veinards de Grecs dérouillent ?.

Qu’ils déverrouillent !.

Après la Grèce (dette : 350 milliards d’euros), puis l’Italie (dette : 1 900 milliards), les marchés s’attaquent aujourd’hui à la France (dette : 1 700 milliards).

Déjà ici les autoroutes, l’électricité d’EDF, le gaz carbonique sont côtés en Bourse.

Mais il reste des pans entiers de biens et de services publics à « déverrouiller » :

La santé, l’éducation, les retraites, la culture, les routes nationales !.

Nous ne devons reculer devant aucun sacrifice pour complaire au Dieu tout puissant.

Les plans de rigueur n’ont pas fini de se succéder, les taux de grimper, Sarkozy, Merkel et compagnie de se féliciter de nous avoir sauvés.

Tout en laissant les marchés faire leur numéro de justice divine.

Et nous nous ne pouvons que constater les dégâts :

- Après avoir connu la monarchie de droit divin contre laquelle le peuple n’avait rien le droit de dire puisque c’était Dieu qui avait désigné le roi

- Après avoir connu la République capable d’écraser par le sang et les guerres, des canuts à la commune, les désirs de justice sociale et de démocratie

- Après avoir connu le CNR qui était un premier pas vers le pouvoir au peuple auquel a vite succédé une 5e « république » qui consacrait l’apparition d’une monarchie élective.

- Nous connaissons aujourd’hui le retour d’une monarchie (élective toujours, soit mais monarchie quand même) de droit divin, du droit du nouveau Dieu, Le Marché.

Et si nous coupions la tête à Dieu ?


Rouge Midi avec des éléments pris dans un article de Jean Luc Porquet du Canard Enchaîné et transmis par Linsay.


[1pour des raisons de commodité nous emploierons le singulier car Dieu est tout mais il est aussi souvent désigné par le pluriel, les Marchés : cela ne change évidemment rien

[2Les Echos

[3Tous pouvoirs confondus : Etat, capital et médias à l’ère de la mondialisation. Editions EPO 29€



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mardi 22 novembre 2011 à 19h32 - par  anthony cadran

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