Les mouvements sociaux en Amérique latine (Partie 2)

samedi 17 décembre 2011
popularité : 4%

Le chroniqueur du blog Mémoire des luttes, Christophe Ventura, nous explique le rôle qu’ont eu les mouvements sociaux en Amérique latine depuis 20 ans dans le virage politique de la région (Deuxième partie : de 2005 à nos jours).

Les mouvements sociaux des années 2000 ont conservé une capacité de mobilisation sociale et politique significative avec l’arrivée au pouvoir de gouvernements « amis ». Pour leur part, les réseaux restent actifs aux niveaux national, régional (mise en place progressive d’un Conseil des mouvements sociaux de l’ALBA12) et international (Forums sociaux, etc.).

Toutefois, des contradictions et des tensions apparaissent ces dernières années entre acteurs sociaux et politiques. Le cas des mouvements indigènes est à ce titre éclairant. Ces derniers sont aujourd’hui au coeur de vifs conflits avec les gouvernements en place, en Bolivie ou en Equateur notamment.

En Bolivie, le président Evo Morales vient de mettre fin, le 24 octobre, à une nouvelle confrontation avec des communautés indigènes amazoniennes. Ces dernières refusaient le développement d’un projet de route traversant le Parc national Isiboro Secure (Tipnis) dans le nord-est du pays.
Ce conflit, marqué dans un premier temps par une forte répression de la part des autorités, a donné lieu à d’imposantes marches et actions indigènes contre le gouvernement. Ce dernier a finalement renoncé au projet initial.

En Equateur, plusieurs secteurs et dirigeants indigènes se sont appuyés sur la tentative de coup d’Etat organisée contre Rafael Correa en septembre 2010 pour le contester. Au coeur de la controverse qui oppose mouvements indigènes et gouvernements se trouve la question du modèle de développement.

Pour les défenseurs de la « Pachamama » ou du « Buen Vivir », la primauté des droits de la Terre-Mère, de la nature et des communautés indigènes n’est pas négociable. De leur point de vue, les autorités publiques trahissent leurs engagements en mettant en place des politiques qualifiées de « productivistes » et d’« extractivisites ». Les politiques de développement des infrastructures et d’exploitation des ressources minières et énergétiques pour le financement des politiques publiques des Etats, etc. sont ici directement visées.

Il faut noter que ces critiques ne sont plus seulement émises par les secteurs indigènes, mais également par de plus en plus d’organisations paysannes et de mouvements qui luttent contre les destructions écologiques. Comment construire un intérêt général sur la base des revendications de secteurs divers qui constituent la base électorale des pouvoirs nouvellement en place ? Tel est l’un des défis imposés aux gouvernements latino-américains dans la nouvelle période. D’autres difficultés se font jour après dix ans de processus.

Elles concernent la question de la construction des relations entre mouvements sociaux et forces politiques qui soutiennent les gouvernements, et plus précisément les chefs d’Etat, au sein des processus en cours, notamment en Bolivie, en Equateur et au Venezuela.
Et ce, alors que la droite se réorganise et est à l’offensive dans nombre de pays : coup d’Etat au Honduras en 2009, élection de Sebastián Piñera au Chili et de Juan Manuel Santos en Colombie en 2010, progression significative de la droite aux élections législatives vénézuéliennes en 2010, agitation en Equateur et en Bolivie en 2010-2011.

Dans chacun de ces pays, les configurations sont différentes. En Bolivie, Evo Morales a directement été porté au pouvoir par le MAS, une coalition de mouvements sociaux et de syndicats.

En Equateur, Rafael Correa a également pu compter sur un appui des mouvements sociaux, notamment de certains secteurs indigènes, dans sa phase de conquête du pouvoir d’Etat. Mais il a dû aussi subir une concurrence et une opposition régulière d’autres secteurs indigènes (au sein de la Confédération des nationalités indigènes d’Equateur – CONAIE – et du mouvement Pachakutik) dont plusieurs dirigeants sont historiquement liés à l’ancien président Lucio Gutierrez.

Au Venezuela, c’est l’élection de Hugo Chávez qui a précédé l’impulsion d’un processus d’organisation des mouvements sociaux et la construction toujours en cours d’un parti de la Révolution bolivarienne, le Parti socialiste uni du Venezuela (PSUV).

Ces différences influent sur les dynamiques politiques et la gestion des contradictions internes. Elles imposent également une limite aux comparaisons que l’on peut faire entre ces différents processus.
Ainsi, la question de la relation entre les mouvements sociaux, les partis, les institutions et l’Etat se pose en des termes différents dans chaque expérience.

Mais elle s’impose à tous : comment relayer les mouvements sociaux et leurs revendications politiques, économiques et sociales dans la société et les institutions ? Comment, dans le même temps, leur assurer l’existence d’espaces avancés dans la prise de décision collective tout en garantissant leur autonomie ?

Cette nouvelle problématique agite aujourd’hui l’ensemble des processus de transformation politique et sociale en Amérique latine.

Par Christophe Ventura blog Mémoire des luttes le 11/12/ 2011

Transmis par Linsay


(12) Lire Douglas Estevam, « Vers la mise en place du Conseil des mouvements sociaux de l’ALBA » (http://www.medelu.org/Vers-la-mise-en-place-du-Conseil ).



Commentaires

Sites favoris


20 sites référencés dans ce secteur