Le procès d’une dérive

mercredi 21 décembre 2011
par  Charles Hoareau
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Quand l’exigence de respect de la dignité s’affronte à la logique financière...

En 1945, lors de la création de la sécurité sociale, le système d’indemnisation des chômeurs devait constituer la 5e branche d’une institution qui en comprenait 4 (maladie, famille, accident du travail, vieillesse) [1].

Cela ne fut pas fait et remis à plus tard. En 1958 si la création de l’UNEDIC était en retrait par rapport aux objectifs initiaux, on pouvait estimer que l’indemnisation était néanmoins, excepté pour les jeunes, satisfaisante, d’autant qu’elle prévoyait une caisse d’aide, le fonds social, véritable bouée en cas d’accident ou de trop forte dégradation économique (rupture du paiement du loyer, erreur dans les versements ASSEDIC…)

A partir des années 80 le système commença à se dégrader et 3 réformes jouèrent un rôle déterminant dans cette dégradation :

- la suppression du fonds social en 1997,
-  la mise en place du PARE en 2002,
-  la fusion ANPE/ASSEDIC en 2008.

Cette dernière qui a créé l’usine à gaz qu’est Pôle emploi a en quelque sorte achevé le massacre : salarié-e-s contraints à une polyvalence pour laquelle ils ne sont pas formé-e-s, empilement des dossiers, volonté politique de faire du chiffre en matière de radiations, nombre de postes insuffisants, agents agressés par des chômeurs poussés à bout,…bref comme le dit la CGT de l’institution, on atteint des sommets.

71 conseillers pour 10 000 chômeurs


_ En juin 2011 le rapport du CESE (conseil économique, social et environnemental) était très critique sur le fonctionnement de Pôle emploi, pointant que sa création « ne s’est pas encore traduite par une amélioration significative du service rendu (…) il s’est rapidement avéré que les deux métiers [conseiller emploi ex ANPE et conseiller social ex ASSEDIC] ne pouvaient être regroupés de cette façon (…) ce changement d’orientation témoigne d’une réflexion insuffisamment aboutie (…) le suivi et l’accompagnement des demandeurs d’emploi reste insuffisant (…) les résultats observés sont insuffisants (…) moins de 40% des demandeurs d’emploi éligibles au suivi mensuel personnalisé disposeraient d’un conseiller personnel… ». Le rapport, comme la CGT, critique aussi les conditions de nomination et le statut du médiateur et le manque de garantie de son indépendance qui en découlent.

_ Un autre élément à prendre en compte c’est qu’alors qu’il y a pour 10 000 chômeurs 113 conseillers au Royaume Uni et 150 en Allemagne, ils ne sont que 71 en France où en plus il y a chaque année près du double d’inscriptions (6 millions) que d’offres d’emploi (3,3 millions).

_ Et tout ça pour indemniser moins de la moitié des chômeurs !!

Pas étonnant que dans ces conditions des dossiers se perdent, des erreurs soient faites et des chômeurs soient au final, privés du peu de droits qui leur restent.
Isolés, harcelés par les institutions, menacés de radiation et dans un état d’insécurité par rapport à leur avenir, peu de chômeurs résistent au fatalisme découlant de leur situation. Fatalisme aggravé encore par la peur que leur nom apparaisse dans une action collective rendue publique ce qui risquerait de les faire mal voir d’un futur employeur potentiel.

C’est en surmontant tous ces obstacles que 3 chômeuses se sont révoltées contre des décisions injustes, voire illégales les concernant. Elles ont, d’abord seules, puis collectivement avec le comité chômeurs tenté de se faire entendre par Pôle emploi.

Depuis octobre 2010 pour la 1re, février 2011 pour la seconde, mars pour la 3e, elles ont usé de toutes les voies de recours possibles : appels, visites multiples, rendez vous à la direction, courriers de réclamation…rien n’y a fait.

En juin dernier elles ont même soumis leur dossier au médiateur mais celui-ci, comme le souligne fort justement le syndicat CGT des employés de Pôle emploi est juge et partie puisque salarié de l’institution. Ce fut donc en vain.

Et, preuve du brouillard qui entoure la gestion des dossiers par Pôle emploi, les motifs de ses refus étaient parfois en contradiction avec les arguments avancés par Pôle emploi ! A croire que sa seule mission était de trouver une raison pour dire non à tous prix !

Il ne restait alors aux 3 chômeuses pas d’autre alternative que de saisir la justice ce vendredi 16 décembre au TGI de Marseille.

Une première victoire

Le tract de la CGT chômeurs résume bien les trois situations : réclamation injustifiée d’indus pour deux d’entre elles, refus d’indemnisation pour la troisième et emberlificotement du dossier de celle qui a reçu plus de 20 courriers contradictoires de notification de droits en à peine plus d’un mois ! Sans d’ailleurs que quiconque ne comprenne encore sur quelle base le calcul de ses allocations a été fait…A ce sujet on aurait d’ailleurs bien aimé entendre les explications de calculs de l’avocat de Pôle emploi à l’audience, explications qu’il ne s’est pas hasardé à donner !

Des notifications de droits… lumineuses !!!

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Melle X dépose son dossier de demande d’allocation à Pôle Emploi le 12 octobre 2010.

Deux jours plus tard, le 14 octobre, elle reçoit deux courriers contradictoires : une notification de refus de l’allocation et une notification d’allocation fixée à 21,07 revalorisée (?) à 21,40€ par jour : premières interrogations...

Puis, entre le 25 octobre et le 9 décembre, (soit 44 jours), la machine s’emballe et notre chômeuse reçoit 23 courriers, un tous les deux jours : de quoi vous donner peur d’ouvrir la boite aux lettres !! A titre d’exemple

- 25/10/2010 : l’allocation est fixée à 25,40 € pour une durée de 228 jours,
-  05/11/2010 : l’allocation est fixée à 21,07 € à compter du 15 juin 2009 (date au choix mystérieux !) pour une durée de 515 jours,
-  24/11/2010 : l’allocation est fixée à 28,77 € pour une durée de 170 jours,
-  09/12/2010 : l’allocation est fixée à 28,77 € pour une durée de 193 jours.

Sans parler de sommes, nommées indus, dont elle ignore tout et qui sont directement prélevées sur le montant de ses allocations...

_ Les aspirines ne sont pas fournies avec les décomptes…

Sur la question des indus (ce sont les sommes que Pôle emploi vous réclame quand elle estime que vous avez trop perçu) Pôle emploi ne respecte pas la loi depuis des années et la CGT tant de Pôle Emploi que des chômeurs l’a maintes fois dénoncé. Disons que pour faire simple la loi impose en cas de récupération d’un trop perçu la prise en compte du fait que tout ne peut pas être saisi chez un chômeur et qu’il doit être prévenu avant, ce qui n’était pas le cas à Pôle emploi et donc pour les deux chômeuses concernées.

Par une note interne datant comme par hasard du 23 novembre, soit quelques jours avant l’audience, Pôle Emploi a annoncé son intention de mettre fin à cette pratique illégale et de se conforter désormais à la loi. La note indique même qu’avant la mise en place informatique de la mesure, les chômeurs qui en font la demande pourront être remboursés de façon manuelle. C’est d’ores et déjà un acquis de l’action de nos 3 chômeuses s’ajoutant aux années de lutte de la CGT sur cette question.

Reste le fond du procès. Le 16 décembre l’audience devait déterminer en urgence (sic !) quelle somme provisoire pouvait être accordée aux chômeuses en attendant qu’un procès au fond détermine s’il y a eu spoliation et qui en est alors responsable. Le rendu de cette décision est prévu le 3 février.

Les chômeuses et leur soutiens espèrent évidemment une prise en compte (enfin !) de cette urgence et qu’outre une provision, une date rapprochée de jugement sur le fond leur soit donnée [2].

Il sera alors intéressant de noter comment la justice apprécie le comportement de Pôle Emploi en matière de respect des allocataires, d’égalité de traitement, d’information claire sur les droits, de suivi et d’accompagnement social, de respect du PARE, le fameux contrat qu’elle a signé avec l’allocataire, toutes choses normalement dues de par la Loi et la Constitution à des personnes privées d’emploi.

En un mot on verra bien à combien la justice estime la réparation de la dignité bafouée et l’effacement des larmes et de l’angoisse, s’ajoutant au préjudice financier, que Pôle Emploi a fait naître.

« La dignité d’un homme cela ne se voit pas, la dignité de 1000 hommes ça prend l’allure d’un combat » disait René Char.

C’est peut être en pensant à cette phrase que le comité chômeurs CGT du 13 a décidé de lancer un appel à témoin auprès d’allocataires victimes des mêmes abus et injustices, appel qui promet de rapidement dépasser les frontières de la juridiction marseillaise… et "prendre l’allure d’un combat".


[1voir dans la rubrique REPERE http://www.rougemidi.org/spip.php?article5604 les articles et la série consacrés à Pôle emploi

[2en temps normal l’attente pour un jugement au fond au TGI de Marseille est de plusieurs mois, voire de plusieurs années



Documents joints

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Tract du comité chômeurs

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mardi 27 décembre 2011 à 10h37