« La lutte du printemps 2010 a permis d’élever les consciences »

dimanche 1er janvier 2012
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Quoi de plus naturel pour Rouge Midi que de commencer l’année par une interview de quelques fralibiennes et fralibiens ?…

Ce 30 décembre, après avoir mangé dans la bonne humeur avec la trentaine de salarié-e-s présents, on se retrouve avec quelques uns d’entre eux dans le local du CE dans cette période un peu plus calme d’entre les fêtes. L’ambiance est détendue. Déterminée, offensive, mais sereine et détendue. Il y a là Omar, Gérard, Yves, Olivier, Bob, Henri, Nadège… entre deux plaisanteries on échange sur le conflit. Une occasion pour se remémorer les moments forts qu’on a vécu ensemble pour une grande part et de faire un petit retour en arrière sur les derniers six mois d’une lutte dont il est difficile de dater le début (septembre 2010 date d’annonce de la volonté de fermeture ? 8 mars de la même année date du début du conflit sur les salaires ?) tant elle ne semble pas avoir cessé depuis.
Lutte pour les salaires et l’emploi, mais aussi et surtout lutte pour une appropriation des richesses pour une gestion équitable de celles-ci par les travailleurs comme le disent si bien celles et ceux que l’on voit dans le film Pot de thé, Pot de fer.

On s’est vus il y a 6 mois (je veux dire pour une interview…officielle) quel regard portez-vous sur cette période ?

Quand on s’est vus on était dans un moment creux de la lutte. Les licenciements sont intervenus en août et malgré tout on a continué. On a mis l’usine sous surveillance pendant l’été, UNILEVER voulait nous laisser à la maison. On a décidé en AG où on était 100 d’occuper l’usine (98 votes pour) et dès le 2 on a occupé.

Ensuite ce sont enchaînés les problèmes juridiques et UNILEVER a accéléré pour vider l’usine et si on avait laissé faire on ne serait plus là. On a fait beaucoup d’initiatives, train touristique, stand de thé…On a fait une initiative par semaine (Aix, Le Vieux Port,…on s’est rendus visibles…

UNILEVER a accéléré ses pressions jusqu’à mi-novembre lettres, convocations au tribunal, gardes du corps, nervis, retenues sur salaire…Dans cette période il y a une initiative qui a marqué c’est l’initiative grandiose du 3 octobre où des militants de la fédé agroalimentaire de toute la France sont descendus chez nous pour manifester. Plus de 700 personnes avec une organisation impeccable (si on en croit Olivier le plus gros problème c’est de savoir si on faisait un aïoli ou une paëlla !!) et une banderole inoubliable accrochée à Notre Dame de la Garde visible de tout le centre ville de Marseille

En résumé ces 6 mois ont marqué une accélération du conflit et une montée en flèche de la médiatisation.

Et la solidarité a monté elle aussi…

Omar raconte : « un matin je me lève, c’était la semaine où on passait tous les jours à France 2 dans le journal de 13h, ma voisine m’interpelle et me dit : « je vous ai vus hier à la télé, je ne savais pas…. » et elle me remet un chèque de 1000€ !! »

On a eu des dons de toute la France, ce n’est pas forcément les plus grosses sommes qui sont les plus touchantes. Un chômeur des quartiers Nord nous a donné 20€, un pensionné de Port de Bouc qui a 600€ par mois nous a fait un chèque de 100€. Le 3 octobre Audrey Vernon qui est venue faire la lecture de Marx dans l’usine, ça nous a marqués, le TGV du Nord qui a débarqué en gare de Marseille en chantant l’Internationale, la poste de Marseille 02, ceux de la réparation navale, ceux de Carrefour, les camarades d’Air France, les cheminots…

Quand on y repense la lutte du printemps 2010 a permis d’élever les consciences et a fait que les salariés n’ont pas du tout été trompés par le discours de la direction qui disait que soi disant les salaires coûtaient cher.

Il faut compter aussi avec la solidarité des salariés des autres départements, non seulement ceux d’UNILEVER, mais aussi ceux des autres conflits Mollex, Continental nutrition, les Still…on ne voudrait pas donner de noms de peur d’en oublier…

Vous avez pu compter aussi avec le soutien des politiques

On a sollicité les institutions et les partis aussi ont répondu. Ça nous a aidés sur l’éclairage médiatique et sur l’interpellation des ministères. Globalement tous ceux qui sont venus ici ont apporté leur soutien. Au plan local il y a eu deux meetings unitaires rassemblant toutes les organisations se réclamant de la gauche où chacune a pu donner ses solutions politiques. Le projet alternatif a été aussi un catalyseur. Le niveau de notre lutte a fait que personne ne peut nous ignorer, de plus notre lutte porte des questions politiques fortes : délocalisations, emploi, salaires, barrières douanières,…Même la droite a dû bouger après le 17 novembre, le jour de l’arrêt qui a cassé le plan dit social de la direction.

Venons-en au 17 novembre : quelle est la portée de cette décision et comment l’expliquez-vous ?

La portée est énorme et on ne la mesure pas encore complètement. C’est la 1re fois que la cour d’appel d’Aix casse un PSE. C’est aussi la 1re fois qu’un juge dit qu’un PSE est sans valeur. Concrètement pour les salarié-e-s cela veut dire que tous les licenciés sont réintégrés. Cela met par terre aussi la volonté de la direction de ne pas payer les délégués [1] ce qu’a d’ailleurs confirmé le conseil de prud’hommes qui a obligé UNILEVER à payer les salaires qu’elle avait retenus. On avait préparé collectivement nos arguments. On a la chance d’avoir une fédération qui tous les lundis prend une journée entière en bureau pour réfléchir sur les luttes, qui travaille avec l’avocat et qui nous a aidés avant et après le jugement. Elle a d’ailleurs décidé de faire un colloque en janvier à l’assemblée nationale sur la portée de cet arrêt.

Le 17 novembre a été un jour de fête dans l’usine. Le pot de thé venait de marquer un point important contre le pot de fer.

(On se remémore le repas le soir à l’usine après cette journée d’effervescence où on a vu tant de soutiens arriver spontanément pour partager un moment de joie. Ce n’était que rires et chansons).

A partir du 17, puisque le PSE est cassé et qu’UNILEVER n’a rien à proposer, cela donne encore plus de force à notre projet alternatif. Nous, contrairement aux liquidateurs, on a un projet porteur d’emplois et d’avenir.

Justement le projet : où en est-on ?

Le rapport est finalisé. Les experts sont venus le présenter au conseil régional et il sera présenté prochainement en préfecture [2] devant les collectivités territoriales, les institutions concernées et les services de l’état.

Les experts et ceux qui ont vu le projet sont convaincus qu’il est viable. Des partenaires (industriels et entrepreneurs) que l’on ne connaissait pas avant le conflit s’intéressent au projet. Ce ne sont pas des philanthropes, s’ils s’y intéressent c’est bien la preuve qu’il est porteur d’avenir.

UNILEVER et le gouvernement ont essayé d’étouffer le projet, aujourd’hui ils ne peuvent plus l’ignorer.

Ce projet ne pose-t-il pas la question d’autres rapports dans l’entreprise et au plan international. ?

Ce projet pose au pouvoir des problèmes politiques. Ceux qui prônent le produire français et interviennent dans ce débat, posent la question du « Made in China ». Pour eux il faut taper sur ce qui vient d’en dehors de l’Europe mais pas sur ce qui vient de Budapest ou de Katowice. Pourtant la question pour nous est interne à l’UE. Ça pose aussi la question d’instauration de barrières aux frontières de la France, non pas par nationalisme (à l’usine on n’a jamais fait de différences entre nous sur la base des nationalités) mais parce qu’il y a une logique économique, sociale et écologique de produire en France des produits destinés à y être consommés.

Sur les 5 dernières années on fait 2900 tonnes par an, le rapport d’expert montre que les coûts de cette production sont amortis à partir de 1000 tonnes. L’usine est donc rentable à partir du tiers de la production et au lieu d’envoyer l’argent aux actionnaires on pourrait le consacrer aux salaires ici, là-bas sur les lieux de production, à la qualité en revenant à des arômes naturels par exemple et même à la baisse des prix aux consommateurs. Pour nous le collectif de salariés qu’on veut créer c’est pour avoir un droit de regard et d’intervention sur les choix de gestion économique et sociale.

Enrichir des actionnaires ou produire et commercer autrement pour vivre tous mieux…


_ Actuellement dans le monde le thé est vendu aux enchères et les prix sont déterminés par des spéculateurs qui font leur profit en tirant des deux côtés de la chaine au nom de la soi-disant loi de l’offre et de la demande. Evidemment à ce jeu là UNILEVER n’est pas en reste pour le thé comme pour les autres produits vendus sous les 400 marques qu’elle possède. Des villages entiers en Afrique ou en Asie, et des milliers de salariés dans le monde, sont sous la coupe de la multinationale qui entend dicter ses conditions, fixer ses marges et imposer ses prix. Pour les consommateurs de France, si UNILEVER réussissait à fermer Fralib cela reviendrait à imposer un thé qui aurait fait un minimum de 1500km entre Katowice et Paris (bonjour l’écologie !), tout ça pour faire faire aux actionnaires encore plus de profit. Et après on nous parle à nous des économies d’énergie et de notre action sur le réchauffement climatique…

En plus pour un thé insipide et bourré d’arômes chimiques.

_ On peut, et c’est la volonté des Fralib, sortir de cette logique et réfléchir à d’autres échanges où ce n’est pas le consommateur qui paie (cher !) les mentions BIO et COMMERCE EQUITABLE. Ainsi par exemple actuellement au Laos le thé est vendu en vrac sur le marché à 5€ le kilo. Ramené aux quantités présentes dans les sachets (1,6gr) cela représente 20 cts par boite. [3] Si à ce coût on rajoute celui des salaires ici, soit 16 cts par boite, [4] on arrive à 36 cts, 7 à 16% du prix de vente en France ! [5] Même en ajoutant le prix du transport (qui est d’ailleurs bien moins élevé dans le cadre d’une usine qui reste sur place pour une consommation locale) et de la commercialisation il y a largement de quoi faire pour le bien être des producteurs d’ici et de là-bas et pour le porte feuille du consommateur.

C’est un souci pour vous d’autres rapports internationaux ? « Prolétaires de tous les pays unissez-vous » est toujours d’actualité ?

Oui plus que jamais ! On ne veut pas s’enrichir sur le dos d’autres travailleurs. On veut privilégier les partenariats et en finir avec le pillage du type de ce que fait UNILEVER en Afrique ou en Asie.

Certains de vos soutiens, à l’instar du mot d’ordre qu’avaient lancé les salariés de Danone, prônent le boycott de l’ensemble des produits UNILEVER, qu’en pensez-vous ?

Oui bien sûr il faudrait mais cela ne nous appartient pas à nous tous seuls. De toute façon comme le dit Chantal [6], on ne peut pas perdre !!


[1en tant que salariés protégés les délégués n’avaient pas été licenciés mais comptés d’office comme grévistes depuis le 2 septembre

[2Le 23 décembre la préfecture s’est engagée à ce que cette réunion ait lieu avant le 10

[325 cts si on revenait aux quantités initiales des 2gr par sachet qu’UNILEVER a fait disparaître en douce sur le dos des consommateurs, voir article déjà cité. Et on parle là de prix fort au détail, pas d’un accord commercial entre des producteurs et une entreprise qui produit 2900 tonnes par an.

[4chiffre que la direction n’a jamais contesté

[5entre 2,19€ pour le plus bas et 4,92€ la boite, prix relevés en ligne : Monoprix, Carrefour, Rueducommerce,…

[6clin d’œil à une militante aubagnaise de Rouge Vif qui est très souvent sur le site



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