Deux continents contre le néolibéralisme

lundi 27 février 2012
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Depuis l’Amérique Latine nous observons avec préoccupation les routes que la crise économique et politique européenne prend, nous mettons de l’espoir dans les réponses que donnent, et donneront sûrement, les divers peuples avec la conviction de ce que l’avenir de ceux d’en bas des deux continents aura beaucoup en commun.

Au cours des différentes périodes de l’histoire (pendant la décennie 90 en Amérique du Sud, après 2008 en Europe), le capital financier a lancé des offensives misérables et brutales pour arracher à ceux d’en bas des conquêtes historiques, en poussant les classes populaires à des situations de survie dans des conditions de domination. Il est nécessaire de considérer que ce n’est pas une déviation et une erreur du système, mais la manière de plus en plus habituelle du capital de se comporter dans cette période de déclin et dans laquelle il cherche à nous entraîner tous à la ruine pour prolonger son agonie.

Nous les peuples sudaméricains avons réussi à rester debout face au modèle néolibéral. Bien que nous ne réussissions pas à le battre complètement, il a été possible au moins de délégitimer ses privatisations les plus vives et de créer un nouveau rapport de forces qui nous permet de regarder l’avenir avec un plus grand espoir. Ce qui suit sont seulement quelques réflexions sur comment il a été possible d’avancer, sans la moindre prétention d’indiquer ou de suggérer ce que les autres doivent faire.

Le temps est la première dimension à prendre en compte. La résistance contre le modèle a demandé une longue période pour pouvoir comprendre ce qui arrivait et, surtout, pour adapter les forces sociales à la nouvelle réalité. Nombre d’anciennes formes de lutte se sont révélées inadéquates ou insuffisantes à l’heure d’affronter les nouveaux défis. Mais cette dimension temporelle requiert non seulement un regard vers l’avant, qui nous permette d’imaginer comment avancer, mais aussi de regarder en arrière pour récupérer les meilleures traditions qui naturellement, ne peuvent pas être reproduites telles quelles.

Le deuxième élément à prendre en compte est que le capital est insatiable et irrépressible. Il ne se considère jamais satisfait et veut toujours plus. Il ne se contentera pas de ce 30 % brutal enlevé aux salaires des fonctionnaires grecs. La rapine est son mode de vie et il ne comprend pas un autre langage. Il n’a pas de frein et comprend seulement le langage de la force : tant celle qu’il utilise pour imposer ses désirs que celle qui est capable de le faire reculer.

Dans l’expérience sudaméricaine, ce fut l’irruption des gens dans les espaces publics qui a forcé le changement, puisque cela a délégitimé les autorités qui défendaient le modèle. Mais il y a quelque chose de plus. Non seulement la chute successive de gouvernements a été obtenue, mais aussi la démolition du vieux système politique. En Équateur, en Bolivie, au Venezuela et au Pérou les forces politiques qui sont parvenues au gouvernement n’existaient pas il y a vingt ans. Dans d’autres pays de la région ce sont des forces qui n’avaient jamais gouverné qui ont occupé les palais présidentiels.

Pour ce qui est de la révolte et de ce qu’on en dit, il convient de faire quelques nuances. Il ne s’est pas agi seulement de faits ponctuels, aussi importants qu’ils fussent, mais de processus. Le Caracazo de 1989 [1], réponse à un paquet d’ajustement structurel, fut la première grande révolte anti néolibérale. Ensuite il y a eu des dizaines d’évènements similaires jusqu’à la deuxième guerre du gaz en Bolivie, en 2005. Mais ces grands faits se sont inscrits dans les cycles relativement prolongés de luttes qui ont réussi à introduire un bâton dans la roue de la gouvernance néolibérale, fondée sur l’autoritarisme et la répression.

Comme le faisait remarquer un journalier, il y a quelques jours à Écija (Séville), il n’y aura pas de changements sans que les gens ne se jettent dans la rue, puisque c’est seulement dans l’espace public qu’il est possible de faire dérailler le modèle. Il ne s’agit pas d’un caprice de turbulents, mais de quelque chose de beaucoup plus profond : la gouvernance néolibérale exige de l’ordre pour lubrifier l’accumulation qui a été bloquée empêchant la circulation de biens. Ce n’est pas un ordre pour l’État, comme celui des dictatures, mais un ordre pour le capital, c’est ce qui est caractérise les démocraties électorales.

C’est pourquoi chaque fois qu’ils se sentent avec de l’eau jusqu’au cou, comme les pathétiques gouvernants grecs, si semblables aux Menem [2] et autre Fujimori [3], ils réussissent seulement à convoquer des élections pour renouveler leur légitimité impossible. Dans le cas sud-américain deux faits sont survenus : lors de quelques consultations électorales on a enregistré une avalanche de votes blancs et nuls, surtout là où ceux qui pouvaient gagner représentaient la même ligne. Dans d’autres cas, quand la gouvernance demeurait en morceaux et les défenseurs du modèle battaient en retraite, de nouvelles configurations politiques sont apparues pour se substituer aux vieilles directions.

C’est l’un des aspects qui mérite le plus d’analyse. Il est évident qu’il ne suffit pas de porter au pouvoir des hommes politiques différents, même si ceux-ci sont issus des basses classes. De même nous ne devons pas considérer que tout est réglé quand les partis et les forces politiques historiques (socialistes et communistes, mais aussi anarchistes) sont au pouvoir et qu’ils résoudront tous seuls cette crise une fois la droite soit balayée du pouvoir. Le configuration politique post néolibérale en Amérique du Sud n’est pas celle-là.

Le point clé est ailleurs. Si ceux d’en bas, organisés dans des mouvements, ont été capables de construire des espaces et des imaginaires suffisamment puissants, le cycle des luttes ne se termine pas avec le changement gouvernemental, y compris quand occupent les fauteuils, des personnes qui proviennent de ces mouvements. Comme les changements ne dépendent pas des personnes, mais des rapports de force, le rôle des mouvements est décisif dans la diffusion du modèle et dans la recomposition de quelque chose de différent.

En tout cas, la vie continuera de nous surprendre. Cela a commencé récemment et le 15M [4] n’a pas encore fêté sa première année. Il ne serait pas surprenant, quand on observe la rapidité des faits, que les opprimés nous surprennent encore une fois, comme cela est arrivé en 1936 en Espagne, quand ils se sont jetés dans les rues pour empêcher le coup d’État de Franco, écrivant l’une des plus belles pages de l’histoire populaire. L’histoire ne se répète jamais, mais laisse des enseignements que nous ne devrions pas mésestimer.

Par Raúl Zibechi source La Jornada. Mexique, le 24 février 2012.

Traduction : Rouge Midi et Estelle et Carlos Debiasi

Transmis par Linsay



[1Le Caracazo ou sacudòn’ est l’ensemble de manifestations et d’émeutes survenues le 27 février 1989 à Caracas au Venezuela, et dans les villes alentours. Ces émeutes avaient pour origine le plan d’austérité que le gouvernement de l’époque voulait mettre en oeuvre pour obéir aux injonctions du FMI. On estime que la répression causa la mort de près de 3 000 personnes.NDR

[2Carlos menem président de l’Argentine jusqu’en 1999. Multipliant les privatisations il fut l’auteur de la « dollarisation » du peso qui a mené à la crise des années 2000 et qui a été abandonnée NDR

[3Alberto Fujimori président du Pérou de 1990 à 2000 et actuellement en prison où il purge une peine de 25 ans NDR

[4nom donné au mouvement des indignés commencé en Espagne le 15 mai 2011 NDR



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