Abdoulaye Wade : l’octogêneur.

mardi 28 février 2012
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Ecrit quelques jours avant le 1er tour, cet article anticipait sur la réaction de la rue qui risquait d’empêcher Wade d’être réélu haut la main.

Cet ami de la droite française qui, à la tête d’une large coalition avait battu il y a 12 ans le « socialiste » Abou Diouf qui avait tant déçu, vient d’être contraint à admettre qu’il y aura un deuxième tour où il affrontera Macky Sall, son ancien poulain, qui semble en capacité de rassembler au 2e tour une grande partie de l’opposition qui ne cesse de crier depuis des mois « Y en a marre ! »

Le patron du Sénégal, 85 ans, prépare son avenir présidentiel et, surtout, celui de son fils, Karim. Mais la rue dakaroise en décidera peut-être autrement. C’est comme si, en France, Giscard se présentait au scrutin du 22 avril.

Candidat pour la septième fois de sa vie à la présidentielle sénégalaise, Abdoulaye Wade, tenant du titre depuis douze ans, est, comme Valéry (et comme la reine d’Angleterre ou Fidel Castro...) né en 1926.

Mais Wade, lui, se voit bien parti pour un nouveau septennat.

Peut-être même se présentera-t-il encore en 2019, a-t-il annoncé, mi-chèvre, mi-chou.

A bientôt 86 ans, le Gorgui (le « Vieux » en wolof) est déjà le chef d’Etat le plus âgé de la planète, après Mugabe, au Zimbawe.

Mais pourqoui rester le deuxième ?.

La rue dakaroise (un quart du pays vit dans la capitale) ne goûte guère ces facéties et se mobilise depuis des mois.

Le 23 juin, nombreuse et virulente, elle a gagné la première manche en obligeant Wade à revenir sur un projet électoral bien tordu.

Il aurait permis d’abaisser à 25% le seuil minimum des voix nécessaires au premier toiur pour élire un ticket président, vice-président.

Un système sur mesure pour le sortant et, à terme, pour Karim Wade, 43 ans, très détesté fils de son père.

Mais peut-être le pouvoir est-il en passe de gagner la deuxième manche.

Le 30 janvier, un Conseil constitutionnel à la botte a rejeté les recours contre la candidature de Wade, à qui pourtant un troisième mandat était théoriquement interdit.

Les cinq « sages » ont aussi mis hors course le chanteur Youssou N’Dour.

Mais la foule n’a pas atteint l’ampleur du 23 juin.

Les « Na dem ! » (« Dégage ! ») des rappeurs, du mouvement Y’en a marre !, des ONG et des leaders de l’opposition, tous réunis dans la coalition M23, n’ont, pour l’instant, pas suffi.

Il est vrai que les divisions sont criantes.

Les libéraux, issus du parti de Wade, voient s’écharper deux candidats ex-Premiers ministres, et le PS deux éléphants, Niasse et Tanor Dieng.

Une situation impensable en France...

Sénégal à lui même.

Sans attendre la belle, le 26 février (jour du scrutin), les conseillers présidentiels triomphent et annoncent déjà une victoire du patron dès le premier tour.

Mais la colère n’est sans doute pas près de retomber.

Même réélu, Abdoulaye Wade ne sera que le fantôme du vainqueur de 2000.

Avant lui, explique un journaliste de Dakar, "Senghor, président de l’indépendance, était l’homme installé par les Français, et son successeur, Diouf, l’homme choisi par Senghor.
Wade, lui, était celui des Sénégalais. Et il portait d’énormes espoirs".
Pauvreté, corruption, déficits agricoles, émigration, tout allait passer au crible du sopi (« changement »). Jusqu’à l’incessante rebéllion de Casamance (région sécessionniste du Sud), qui serait réglée « en cent jours ».

C’est que ce brillant juriste, bardé de diplômes d’universités françaises ( Sorbonne, Besançon, Grenoble), opposant intraitable malgré deux brèves incursions au gouvernement, regorgeait d’idées et de projets.

Douze après, la déception est chronique.

Des progrès ont bien été constatés dans l’éducation et la santé (les dépenses publiques ont doublé).

De grands travaux ont chamboulé Dakar et amélioré l’accès à la ville.

Ils relèvent, depuis trois ans, du ministre des Infrastructures, un certain Karim Wade.

Mais la pauveté s’est encore aggravée.

Le pays, grand consommateur de riz, en achète les trois quarts, malgré ses capacités intérieures, aux Indiens et aux Thaïlandais.

Des émeutes de la faim ont éclaté en 2008.

Et la Casamance, elle, gronde toujours.

Quand à chasser la corruption, Wade s’en charge sans excès de zèle.

Ainsi, en 2009, a-t-il reconnu avoir ajouté une valise de billets (100 000 euros et 50 000 dollars) aux bagages du représentant du FMI en visite au Sénégal.

Commentaire de son Premier ministre :

« 100 000 euros, ce n’est rien. Avec ça, qu’est-ce que vous pouvez acheter en France ? ».

Karim et châtiment.

Un journaliste français s’est vu proposer, après une interview, une enveloppe garnie de « l’argent du taxi ».

Et l’avocat Robert Bourgi, éminence grise de la Françafrique, a avoué au « JDD », que Wade faisait partie des bienfaiteurs (avec Bongo et quelques autres) de la politique française.

Celui-ci aurait ainsi remis, assure-t-il, 760 000 euros à Villepin durant la présidence de Chirac.

Quelques jours plus tard, Bourgi s’est rétracté au sujet du seul Wade.
Né à Dakar, il a encore des parents au pays...

Wade n’est pourtant pas encore passé dans le camp des autocrates, comme le montrent l’exemple du 23 juin ou la sévère défaite aux municipales de Dakar, en 2009, de son fils chéri, Karim.

Mais il développe des tendances inquiétantes :
- arrestations, brèves et répétées, de ses opposants ;
- culte du moi, à la télé d’Etat ;
- expulsion d’une correspondante de RFI jugée insolente ;
- éviction obtenue de deux ambassadeurs de France, dont l’académicien mal-pensant Jean-Christophe Ruffin ;
- folie des grandeurs illustrée par la statue de 52 mètres de hauteur à la gloire de la famille sénégalaise, construite par des Nord-Coréens - et dont 35% des recettes liées au site iront dans sa poche ;
- marque d’estime, enfin, envers de grands humanistes comme Kadhafi (mais il sera le premier à reconnaître ses vainqueurs), Mugabe ou l’Iranien Ahmadinejad, qu’il a rencontré une bonne dizaine de fois !.

Cette amitié l’aidera d’ailleurs à servir d’intermédiaire dans la libération de la Française Clotilde Reiss, détenue à Téhéran.

Avec Paris, ses rapports sont ambivalents.

Parfois amicaux avec l’ex-colonisateur (plus de 20 000 compatriotes vivent au Sénégal), qui ne mégote pas sur l’« aide au développement ».
Et pour qui des milliers de tirailleurs ont jadis payé de leur vie.

Parfois tendus, lorsque Sarko ferme la base militaire de Dakar (1 200 hommes) et que Wade évince Bolloré de l’industrie portuaire et les Français des grands chantiers.

Lorsque Juppé évoque à son sujet un nécessaire « changement de génération ». Ou que persiste la rancune provoquée, en juillet 2007, par le discours de Dakar de Sarkozy.

« Il a été trahi par son nègre », ironisera le Vieux.

Le président français regrettait que « l’homme africain n’entre pas assez dans l’Histoire ».

Il semble aujourd’hui déplorer que Wade refuse obstinément d’en sortir....

Par Jean-François Julliard dans le Canard enchaîné du 08/02/2012

Transmis...et tapé à toute vitesse par Linsay



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mercredi 29 février 2012 à 15h00 - par  Charles Hoareau
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mercredi 29 février 2012 à 10h36 - par  OURS BLANC

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