Fichage : citoyens, vos empreintes digitales !

jeudi 8 mars 2012
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L’assemblée nationale a adopté définitivement mardi 6 mars une proposition de loi « relative à la protection de l’identité » qui instaure une carte nationale d’identité biométrique dotée d’une puce dans laquelle seront insérées de multiples données relatives à son porteur dont deux de ses empreintes digitales

Ces mêmes données seront également conservées dans un base centralisée (appelée « TES » : « Titres électroniques sécurisés » actuellement déjà utilisée pour les passeports biométriques) qui deviendra ainsi, pour reprendre l’expression employée par le rapporteur de cette proposition de loi -le sénateur UMP François Pillet- un véritable « fichier des gens honnêtes ».

De plus, il est prévu, sous certaines conditions, que les empreintes digitales ainsi collectées puissent servir aux forces de l’ordre à des fins d’identification des individus.

Ce dispositif apparaît historiquement comme une profonde rupture dans les pratiques étatiques de mise en carte des citoyens qui remet en cause la plupart des principes importants que s’attachent depuis de nombreuses années à faire difficilement respecter les autorités de protection des données.

Tout d’abord parce qu’il généralise l’usage des données biométriques qui ne sont pas des données comme les autres car, immuables, permanentes et universelles, celles-ci sont produites par le corps lui-même. Comme a notamment pu le rappeler en 2005 le Contrôleur européen à la protection des données : « Le recours à la biométrie dans les systèmes d’information n’est jamais un choix anodin, surtout si le nombre d’individus concernés est très important. La biométrie n’est pas seulement une nouvelle technologie de l’information ; en rendant possible la mesure des caractéristiques du corps humain par des machines et en permettant l’utilisation ultérieure de ces caractéristiques, la biométrie modifie définitivement la relation entre corps et identité. Même si les données biométriques ne sont pas accessibles à l’œil nu, des outils appropriés en permettent la lecture et l’utilisation pour toujours et où que puisse se rendre la personne concernée ».

Ensuite, parce que ce dispositif favorise l’exploitation de données à trace (les empreintes digitales) susceptibles d’être collectées à l’insu des individus et les enregistre dans un fichier centralisé dont le groupe de l’article 29 (regroupant les principaux responsables des autorités de protection en Europe) considère qu’il engendre une moindre maîtrise de l’individu sur ses propres données et accroît significativement les risques d’utilisation abusive et d’appropriation frauduleuse de ces mêmes données.

Enfin parce qu’il déroge au principe de proportionnalité que vise à faire respecter la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil). En effet, cette institution a récemment souligné (avis de décembre 2007 relatif au passeport biométrique) que la constitution de TES lui apparaissait disproportionnée au regard des finalités avancées par le ministère de l’Intérieur pour justifier la création d’une telle base centralisée de données biométriques : la simplification administrative et de lutte contre la fraude documentaire.

Il sera toujours possible de balayer d’un revers de la main ces considérations, comme ont pu le faire certains députés lors des débats parlementaires, en arguant de la nécessaire promotion des intérêts de certains industriels français en pointe dans le secteur de la biométrie. Toutefois, il convient de ne pas oublier qu’à travers le dispositif adopté se trouve posée la question sensible de l’atteinte à la vie privée et à des droits considérés comme fondamentaux (droit à l’oubli, à la présomption d’innocence, etc.) tout comme celle du glissement progressif d’une logique d’identification à une logique de traçabilité des personnes ou de suspicion généralisée.

Il sera aussi toujours possible d’évoquer l’impératif de la lutte contre les usurpations d’identité qui connaîtrait actuellement un développement phénoménal. Reste qu’aucun chiffre sérieux n’a pu être produit en la matière par le ministère de l’Intérieur ni les députés de l’UMP pour démontrer la supposée ampleur de ce phénomène.

De plus, la biométrie est loin de constituer une solution « miracle » puisqu’elle génère elle-même des erreurs, des risques de fausse acceptation et de faux rejet. Pourquoi dès lors la France s’oriente-t-elle dans cette voie sans avoir jamais envisagé d’évaluation rigoureuse, objective et indépendante du dispositif biométrique préconisé alors que d’autres pays (les Pays-Bas par exemple) ont pu faire machine arrière en raison de la fiabilité toute relative de certaines procédures d’encartement biométrique qu’ils avaient développées ?

Il sera encore toujours possible de répéter à l’envi que ce fichage généralisé est absolument indispensable car la sécurité est la première des libertés. Ce à quoi, suivant Benjamin Franklin, on rétorquera qu’« un peuple prêt à sacrifier un peu de liberté pour un peu de sécurité ne mérite ni l’une ni l’autre, et finit par perdre les deux ».

Par Pierre Piazza source Le Huffington Post le 07/03/2012

Transmis par Linsay


Pierre Piazza.

Maître de conférence à l’université de Cergy-Pontoise, spécialiste de l’identification biométrique



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