Mieux vaut toucher le smic en France que d’être travailleur précaire en Allemagne

samedi 31 mars 2012
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Et ce n’est pas un journal d’extrême gauche qui le dit...

Elle aurait dû participer à l’un des meetings de l’UMP. Mais vraisemblablement, elle ne viendra pas. Elle aurait dû servir de modèle à la France, mais voilà qu’elle ne le fait pas. D’une part, il est question d’Angela Merkel, de l’autre de l’Allemagne et de son exemplarité économique. Mais, à y regarder de plus près, ni l’une ni l’autre ne sont présentes dans la campagne électorale française. La première, soutien pour la réélection de Nicolas Sarkozy, s’inquiète de quelques-unes de ses prises de position. La seconde ne peut plus faire abstraction des conséquences sociales induites par les choix politiques de ses dirigeants. Qu’on le veuille ou non, la chancelière et l’Allemagne ne sont décidément pas une référence à toute épreuve pour la France.

Principale puissance économique de l’Union européenne, la RFA est confrontée à de graves inégalités sociales que les Français ne connaissent guère. Même les plus avisés d’entre eux sont surpris par la dégradation de certains services publics allemands. Dans plusieurs régions sinistrées, les collectivités locales ne savent plus où donner de la tête : faut-il alors qu’elles ferment les installations sportives, réduisent les subventions pour la culture ou augmentent les tarifs et les frais d’inscription ? Ni les villes, ni les Länder, à l’exception peut-être de la Bavière et du Bade-Wurtemberg, ne semblent pour l’instant à avoir trouvé la réponse à ces questions.

Et contrairement à une idée reçue, cela ne concerne plus seulement l’Allemagne de l’Est. Certains de ses territoires sont aujourd’hui mieux dotés que ne le sont quelques centres urbains ou périurbains de l’Allemagne de l’Ouest. Observateur aguerri de la politique des transports en commun allemands, l’utilisateur des trains et autres bus ne peut que constater les dégâts. Les chemins de fer allemands n’arrivent toujours pas à l’heure et les tramways de l’une des plus grandes villes de l’Allemagne du Nord n’ont pas été remplacés depuis plus de vingt ans.

Plus de précarité en Allemagne

De la modernité allemande ne restent parfois que peu de traces visibles. En revanche, la paupérisation de quelques quartiers périphériques saute aux yeux. L’Allemagne a par conséquent quelque peu changé de visage. Pendant plusieurs décennies, les salariés allemands avaient pourtant bénéficié des avantages matériels de l’économie sociale de marché. Nombre d’ouvriers connaissaient alors une amélioration de leur pouvoir d’achat. Acteurs ou enfants du « miracle économique allemand », ils s’étaient forgé une existence confortable, étaient devenus propriétaires de leurs biens et avait parfois franchi le seuil des grandes écoles et des universités.

Cette Allemagne est révolue. Elle est devenue moins solidaire et plus égoïste. Pour le citoyen allemand ne compte aujourd’hui plus qu’un seul objectif : éviter de faire partie des 23 % des employés qui appartiennent à la catégorie des bas salaires. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : environ huit millions de personnes gagnent moins de 9,15 € par heure. Pire encore : 1,4 million d’entre eux perçoivent moins de cinq euros pour le même laps de temps, alors que 800 000 travaillent pour moins de 1 000 € par mois. Dans un pays qui refuse obstinément d’instaurer un salaire minimum, la situation des plus démunis et des plus précaires devient de plus en plus inquiétante. Comparaison au comble du cynisme, le smicard français s’en tire donc mieux que son collègue allemand !

L’Allemagne, un modèle ?

A l’heure où l’Allemagne est obligée de faire appel à une main d’œuvre étrangère pour pallier son déficit démographique, elle n’est plus en mesure de garantir un niveau de vie décent à sa population la plus défavorisée. Confrontée à un problème plus structurel que conjoncturel, elle sera, tôt ou tard, contrainte de revoir sa politique sociale qui, depuis l’instauration desdites lois Harz IV, s’est soldée par une augmentation sensible des inégalités. Ainsi, alors que certains revendiquent à corps et à cris des réformes pour la France, il serait peut-être temps de faire preuve de plus de retenue en la matière.

Que la France se satisfasse donc de laisser l’Allemagne hors de sa campagne électorale. Celle-ci peut certes lui offrir quelques modèles industriels, lui présenter ses réalisations technologiques et techniques de même que l’inciter à réfléchir sur son avenir énergétique. Mais qu’elle n’essaye surtout pas de lui imposer sa politique sociale. Curieux retournement de l’histoire d’ailleurs : alors que la République fédérale des années soixante-dix était devenue la référence sociale européenne pour de nombreux Français, voilà que quarante plus tard elle leur sert désormais de repoussoir.

Par Gilbert Casasus - Chroniqueur associé Marianne 2 le 30/03/2012

Transmis par Linsay


Gilbert Casasus, citoyen binational suisse et français, 1985 doctorat en sciences politiques au Geschwister-Scholl-Institut de la Ludwig-Maximilians-Universität Munich sur le thème de la politique communale en Allemagne et en France.

Entre 1985 et 1993, collaborateur à l’Office franco-allemand pour la Jeunesse à Paris, à l’Institut français de Hanovre, au Haut conseil culturel franco-allemand à Sarrebruck. Entre 1993 et 2008, collaborateur scientifique et lecteur auprès de nombreuses institutions françaises, allemandes et suisses.

De 2001 à 2008, enseignant au premier cycle franco-allemand de Sciences Po Paris à Nancy. Depuis le 1er septembre 2008, professeur ordinaire en Etudes européennes à l’Université de Fribourg et vice-directeur du Centre d’études européennes ; depuis le 1er janvier 2010, président du Département des sciences historiques.



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