Le Mali n’a pas de leçon de démocratie à recevoir

mardi 3 avril 2012
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Aminata Traore, l’ancienne ministre de la culture du Mali et figure internationalement connue pour ses combats pour les droits des peuples du sud et Abdoulaye Diarra constitutionnaliste malien, face aux menaces d’intervention étrangères, s’expriment sur les évènements actuels au Mali, évènements consécutifs, faut-il le rappeler, à l’intervention guerrière en Lybie qui devait permettre la paix et la démocratie...

« Le Mali n’a pas de leçon de démocratie à recevoir de la CEDEAO [1] ! »

Face à la presse, l’ancienne ministre de la culture n’a pas fait dans la dentelle contre le régime sortant d’Amadou Toumani Touré et le président français Nicolas Sarkozy.

Une semaine après le coup d’Etat perpétré par le capitaine Amadou Haya Sanogo, les commentaires vont bon train. Alors qu’aujourd’hui une forte délégation de la CEDEAO était attendue à Bamako pour une sortie de crise, les soutiens se multiplient en faveur du Comité national de redressement de la démocratie et de l’Etat (CNRDRE). C’est le cas de la présidente du Forum pour un autre Mali, Aminata Dramane Traoré. En conférence de presse ce jeudi matin avec le Forum national de la société civile, l’altermondialiste s’est désolidarisée de l’acte de condamnation adopté par les autres acteurs.

D’entrée de jeu, elle précise qu’elle se réjouit de ce coup de force, qui témoigne non seulement de l’échec de la classe politique malienne, de la société civile, mais également de la presse de façon générale. « Nous avions depuis le mois d’août alerté l’opinion sur le danger qui couvait. Nous n’avons pas été entendu, lorsque nous avons dénoncé les tares du processus électoral devant aboutir à l’élection du 29 avril, l’inexistence de l’école, la faillite du système de gouvernance à tous les niveaux, etc. » a déclaré Aminata Dramane Traoré qui rappelle que le processus de démocratisation dans notre pays tant venté, n’avait en fait rien de vertueux.

« Les paysans, les éleveurs, les élèves et étudiants, les parents d’élèves, etc. tous le savaient que le pays était bloqué. Et je déplore qu’une certaine communauté internationale, dont la CEDEAO ne l’ait pas su », argue-t-elle.

Pour la militante altermondialiste, le Mali est aujourd’hui victime des conséquences de la guerre en Libye. « Si Sarkozy n’avait pas joué les chefs de guerre dans ce pays, avec tout l’acharnement qu’on connait, le Mali n’en serait pas là », regrette-t-elle.

Au moment où elle était face à la presse, une délégation de chefs d’Etats de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) était attendue à Bamako. Interrogé sur ces attentes, la militante altermondialiste est formelle.

Pour elle, cette organisation n’est autre qu’un allié subalterne du capitalisme et de la communauté internationale, au service de l’impérialisme. « Chacun de ces chefs d’Etats a des comptes à rendre à son peuple. Car ils savent comment ils sont élus, et comment ils gouvernent leurs pays en suivant à la lettre les signes venues d’ailleurs », a lancé Aminata Dramane Traoré. Pour qui, le Mali a une occasion rêvée de prendre son destin main. « Il vaut vieux que les chèvres s’entredéchirent que l’hyène vienne les séparer », rappelle-t-elle l’adage.

Avec le style qu’on lui connait, l’ancienne ministre de la culture a eu des mots très durs contre le président français. Selon elle, ATT était déjà tombé bien avant le 22 mars, et humilié par Nicolas Sarkozy depuis son refus de signer les Accords sur l’immigration, et de faire le jeu de la France dans la lutte contre Al-Qaïda au Maghreb islamique. « Il y avait déjà un vide dans la gouvernance du pays. Et c’est ce vide que nous devons combler avec ces jeunes militaires qui ont répondu à l’appel du peuple. Nous devons éviter le scénario ivoirien. Car nous n’avons de leçon à recevoir de qui que ce soit », a déclaré Aminata Dramane Traoré.

Issa Kakaba
Le Nouveau Courrier-30/3/2012
Journaldumali.com

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« Je suis opposé à toute intervention militaire étrangère dans mon pays »

Le professeur Abdoulaye Diarra ancien membre de la Cour Constitutionnelle entre 1994 et 2008 sort de son silence pour dénoncer le coup d’Etat intervenu le 22 mars. Portant ainsi un coup d’arrêt au processus démocratique enclenché dans notre pays après les événements de mars 1991. Le Professeur Abdoulaye Diarra qui est par ailleurs vice-recteur de l’université des sciences juridiques et politiques de Bamako, médaillé du mérite national et officier de l’ordre national, déclare irrecevable une intervention militaire étrangère dans notre pays. Cela en raison de la situation qui prévaut dans le septentrion. Il nous fait la genèse de la situation qui a conduit au coup d’Etat.

L’Indépendant : Vous qui êtes un juriste, ancien membre de la Cour Constitutionnelle, quelle est votre lecture de la situation dans laquelle le pays se trouve aujourd’hui ?

Abdoulaye Diarra : La crise actuelle dans notre pays s’articule entre autres pour notre part autour de quatre facteurs indissociables.
Les conséquences de la crise libyenne sur les rapports géostratégiques dans la sous-région, en Afrique et sur le plan international ainsi que la situation sécuritaire au Mali notamment au nord du pays. Ces conséquences n’ont pas fait l’objet d’analyses de nature à prévoir ou à gérer une crise interne au Mali : gouverner, c’est prévoir. Ensuite la méconnaissance du principe d’égalité entre les Maliens pendant et après la guerre en Libye. Le principe d’égalité, principe à valeur constitutionnelle( les Maliens naissent et demeurent libres et égaux en droit) veut que placés dans les mêmes conditions, les Maliens soient traités de la même manière.

Des milliers de Maliens furent torturés, emprisonnés, humiliés et rapatriés de force au Mali par voie terrestre ou aérienne : l’accueil n’a pas été à la dimension de l’acte : l’aide à ces Maliens fut inappropriée… Le Mali n’a pas de frontière avec la Libye. Pourquoi recevoir officiellement des combattants aux nationalités douteuses et des apatrides sur le territoire sans l’avis du peuple et sans précaution pour la préservation de l’intégrité du territoire ? Pourquoi apporter une aide financière et de la nourriture à des individus armés et qui ont servi une armée étrangère ? Quel est le nombre exact de ces mercenaires ? Quel est le nombre des armes qu’ils ont amenées sur le territoire malien ? En fait qui sont-ils ?
Aucun de ces aspects n’a fait l’objet d’une analyse responsable partagée par l’ensemble du peuple malien.

Qu’en est-il de la reforme constitutionnelle ?

Les propositions de reforme de la Constitution de 1992 rédigée par une commission nommée par le chef de l’Etat divisent la classe politique et la société civile. Deux critiques fondamentales : le moment et le contenu.
Le moment, pourquoi proposer une réforme constitutionnelle à la fin d’un double mandat (10 ans environ). Quelle est la vraie motivation ? Aucun débat sur les propositions n’a permis de répondre à cette question.
Le contenu de la réforme conduit à une régression démocratique. Le collectif des partis et associations opposé à la Réforme soutient une tentative de monarchisation du régime. En effet nous pensons qu’il s’agit en fait d’une régression par rapport aux idéaux de la révolution du 26 mars 1991 et des principes de la démocratie pluraliste. Le collectif a adressé deux lettres au président de la République pour expliquer l’inutilité de la Réforme sur deux points fondamentaux : la réforme n’est pas opportune et elle est anticonstitutionnelle.

Pourquoi la réforme en cours était anticonstitutionnelle ?

Dans l’article 49 alinéas 3 et 4 de la Constitution du 22 septembre 1960
« Aucune procédure de révision ne peut être envisagée ou poursuivie lorsqu’il est porté atteinte à l’intégrité du territoire. La forme républicaine de l’Etat ne peut faire l’objet de révision ».
Et l’article 73 alinéas 1 et 2 de la Constitution du 2 juin 1974 stipule :
« Aucune procédure de révision ne peut être engagée ou poursuivie lorsqu’il est porté atteinte à l’intégrité du territoire. La forme républicaine de l’Etat ne peut faire l’objet d’une révision ».
L’article 118 alinéas 3 et 4 de la Constitution du 27 février 1992 dit ceci :
« Aucune procédure de révision ne peut être engagée ou poursuivie lorsqu’il est porté atteinte à l’intégrité du territoire. La forme républicaine et la laïcité de l’Etat ainsi que le multipartisme ne peuvent faire l’objet de révision ».

La répétition est permise en droit. Tous les constituants maliens ont prévu et gérer les périodes de tension, d’agression ou de tentative de remise en cause de l’intégrité de notre territoire. Deux principes à valeur constitutionnelle doivent être ici soulignés.

Aucune proposition ou projet de referendum ne peut avoir pour objet la division de notre pays. Aucune procédure (proposition ou projet de reforme constitutionnelle) ne peut être poursuivie si l’intégrité territoriale est remise en cause.

La Cour Constitutionnelle du Mali de jurisprudence constante, a précisé que les opérations électorales commencent dès la publication du décret de convocation des électeurs jusqu’à la proclamation définitive des résultats. Conformément à l’article 86 de la Constitution du 27 février 1992, la Cour Constitutionnelle « statue obligatoirement sur la régularité des opérations électorales du référendum dont elle proclame les résultats ». Le décret de convocation a été publié en pleine crise au nord de la République. La Cour Constitutionnelle pouvait-elle valider le scrutin référendaire ? Elle ne peut contribuer en aucun cas à la division de notre pays. Au surplus, elle est le garant de la suprématie constitutionnelle. Elle ne validera certainement pas un scrutin référendaire parce que notre pays est occupé.

Et s’agissant de la préparation des élections présidentielles et législatives, la question fondamentale à ce niveau est la suivante : est-ce que toutes les conditions techniques, matérielles et financières sont réunies pour un scrutin transparent, crédible, démocratique ? En ce qui concerne les élections présidentielles, la circonscription est nationale. Juridiquement, il n’y a pas et il ne saurait y avoir d’élections partielles pour les présidentielles. En matière d’élections législatives, la circonscription est le cercle donc avec possibilité de procéder à des partielles.

Notre pays est occupé depuis janvier 2012. Occupé parce que constitutionnellement l’intégrité territoriale est remise en cause. La couverture administrative, militaire et politique du territoire national est interrompue : nos villes sont occupées. Le terme « cessez-le feu » est impropre et inapproprié juridiquement. Aucun pays n’est en guerre contre nous. Il s’agit d’une rébellion. Il s’agit d’une occupation comme ce fut le cas dans certains pays européens aux XVIII et XIX siècles et récemment en 1940. Nous, aujourd’hui au Mali sommes en train de résister. Objectif fondamental : libérer notre pays. Toute négociation est subordonnée à la libération du pays.

L’impossibilité d’appliquer les dispositions constitutionnelles relatives à l’empêchement du président de la république.

Etait-il possible d’organiser réellement les élections ?

Les fonctions constitutionnellement définies du Président de la République font qu’il est pratiquement difficile d’organiser les procédures relatives à l’empêchement du Président de la République en dehors du texte fondamental. L’article 29 de la constitution dit : « le Président de la République est le chef de l’Etat. Il est le gardien de la constitution. Il incarne l’unité nationale. Il est le garant de l’indépendance nationale, de l’intégrité du territoire, du respect des traités et accords internationaux. Il veille au fonctionnement régulier des pouvoirs publics et assure la continuité de l’Etat ».

Comment la constitution organise la continuité de l’Etat et l’observation stricte des dispositions de l’article 29 en cas d’empêchement du Président de la République ?

L’article 36 de la constitution : « lorsque le Président de la République est empêché de façon temporaire de remplir ses fonctions, ses pouvoirs sont provisoirement exercés par le Premier Ministre.
En cas de vacance de la Présidence de la République pour quelque cause que ce soit ou d’empêchement absolu ou définitif constaté par la cour constitutionnelle saisie par le Président de l’Assemblée Nationale et le premier ministre, les fonctions du président de la République sont exercées par le Président de l’assemblée nationale. Il est procédé à l’élection d’un nouveau Président pour une nouvelle période de cinq ans.
L’élection du nouveau président a lieu vingt et un jour au moins et quarante jours au plus après constation officielle de la vacance ou du caractère définitif de l’empêchement. Pour tous les cas d’empêchement ou de vacance, il ne peut être fait application des articles 38, 41, 42 et 50 de la présente constitution ».

Aussi dans une situation normale l’empêchement provisoire et l’empêchement définitif interviennent dans deux procédures différentes.
Dans le premier cas, c’est le premier ministre.
Dans le second cas, c’est le président de l’AN, puis la Cour Constitutionnelle est saisie par le président de l’assemblée et le PM.

En dehors de la Constitution de 1992 et des institutions notamment le gouvernement et la Cour Constitutionnelle, Il est impossible aujourd’hui de mettre en œuvre ces dispositions.

Quelle est la situation actuelle ? Pour ce faire, il convient de rappeler la disposition suivante.

Article 121 « le fondement de tout pouvoir en République du Mali réside dans la Constitution. La forme républicaine de l’Etat ne peut être remise en cause. Le peuple a le droit à la désobéissance civile pour la persuasion de la forme républicaine de l’Etat. Tout coup d’Etat ou putsch est un crime imprescriptible contre le peuple malien ».
Par conséquent aucun juriste ne peut admettre un coup d’Etat comme solution à une crise politique dans une démocratie comme la nôtre.
Il faut rappeler avant de tenter de comprendre la situation que vit notre peuple aujourd’hui, les exceptions maliennes au sein des pays francophones au sud du Sahara.

Exception : création de l’armée malienne en 1961, création de la monnaie malienne en 1962, coup d’Etat en 1991. Le Mali était le seul pays où la Constitution était restée pendant plus de 20 ans sans subir de modification majeure (1992 – 2012)

Que vous inspire la situation actuelle ?

L’analyse de la situation actuelle se caractérise par l’occupation du pays, l’humiliation du peuple malien dans la sous-région et sur le plan international, la tuerie assimilable à un génocide des Maliens sur le territoire malien. Sans oublier la progression inacceptable des rebelles sur notre territoire, la campagne d’intoxication menée et réussie par les bandits armés, l’indignation de toutes les familles maliennes, le déplacement massif des populations vers les pays voisins et la désintégration progressive de l’Etat caractérisée par l’absence totale de la couverture administrative publique et militaire d’une partie de notre pays.

Comment peut-on accepter que des bandits armés aux nationalités douteuses car on nous a jamais dit que ces gens ont exhibé des cartes d’identité malienne, puissent librement traverser des pays entiers pour intégrer notre pays avec des armes redoutables. Le drame, c’est qu’en permettant aux mercenaires de jouir de toute leur liberté dans notre pays, on devait savoir qu’ils pouvaient remettre en cause l’intégrité territoriale du Mali. Blocage à tous les niveaux avec des communiqués souvent incompréhensibles pour le citoyen malien : repli stratégique ou tactique.

En ce moment, le territoire se vide.
Entretemps survient le coup d’Etat perpétré par le comité national pour le redressement de la démocratie et la restauration de l’Etat (CNRDRE) La défense de l’intégrité territoriale et l’unité nationale, le redressement de la démocratie et la restauration de l’Etat sont entre autres les missions que s’assigne le CNRDRE.

La défense de l’intégrité territoriale et l’unité nationale : le pays est occupé, le peuple malien en deuil (Aguel Hoc) et l’unité nationale est rompue.

Le redressement de la démocratie : l’Etat défectueux du fonctionnement des principes élémentaires de la démocratie (corruption, népotisme, incompétence).

La restauration de l’Etat : L’Etat est totalement absent dans nos villes occupées. La principale fonction d’un Etat souverain, c’est la conservation et la défense de l’intégrité territoriale. Il n’est pas là constitutionnellement.
Résultat : le pays est divisé en deux. Nous avons ceux qui soutiennent le CNRDRE et ceux qui sont contre le coup d’Etat. Quelle est la réalité ? Les deux camps constituent le peuple malien. L’intervention de la CEDEAO est conforme au traité constitutif de l’organe sous-régional que le Mali a ratifié. Lorsqu’un pays est occupé, il faut faire très attention. Nous sommes dans une situation où il faut impérativement se poser la question suivante : quelle sera la conséquence pour le peuple malien d’une intervention armée de la Cedeao dans notre pays occupé ? Faut-il nier l’existence de l’armée dans un pays en partie occupé ?

Je suis opposé à toute intervention étrangère militaire dans mon pays.
Le CNRDRE vient de prendre un acte fondamental tenant lieu de Constitution :

Le CNRDRE vient de procéder à la nomination de certains responsables. Est-il possible de faire fi de son existence ? Est-il possible d’obtenir aujourd’hui la levée de la Constitution de 1992 ? Est-il possible d’envisager un gouvernement d’union nationale avec la participation du CNRDRE ?
Compte tenu de l’occupation de notre pays par des mercenaires, aucune de ces questions ne mérite d’être systématiquement écartée en vue d’une solution globale et durable de la crise.

ABDOULAYE DIARRA

L’Indépendant 30 3 2012


[1La Communauté Economique Des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) est une organisation intergouvernementale ouest-africaine créée le 28 mai 1975 et comptant 15 états. En 1990, avec la création de l’ECOMOG, la CEDEAO se dote d’une force militaire d’intervention.



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