« Les premières victimes des désastres écologiques sont les plus pauvres »

mercredi 4 avril 2012
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Le Brésil accueillera en juin le sommet mondial sur l’environnement Rio + 20. Le sociologue brésilien Michael Löwy n’en attend rien. En revanche, il défend – dans cette interview donnée au mensuel Caros Amigos – l’idée d’écosocialisme.

CARROS AMIGOS Qu’attendez-vous de Rio + 20 ?

MICHAELWY Rien ! Tout est déjà dans le fameux Draft Zero [1], qui, comme l’indique (involontairement) son nom, est une nullité. Ce qui en sortira n’aura aucune efficacité étant donné qu’il n’y aura aucune obligation internationale. A l’image des conférences internationales sur le changement climatique de Copenhague, Cancún et Durban, la montagne devrait accoucher d’une souris : de vagues promesses et surtout de bonnes affaires « vertes ». Comme le disait en septembre 2009, Ban-Ki-moon, le secrétaire général de l’ONU – qui n’a rien d’un révolutionnaire –, « notre pied est bloqué sur l’accélérateur et nous nous dirigeons vers un abîme ». Les initiatives intéressantes auront lieu dans les forums alternatifs.

Depuis vingt ans, il y a eu des changements dans la façon dont les Etats appréhendent les thèmes écologiques.

Des changements très superficiels ! Pendant que la crise écologique s’aggrave, les gouvernements – en premier lieu ceux des Etats-Unis et des autres pays industrialisés du Nord, les principaux responsables du désastre – se sont intéressés au problème à leur façon : en développant à petite échelle des sources d’énergie alternative et en introduisant des « mécanismes de marché » totalement inefficaces pour contrôler les émissions de CO2. « Buziness as usual »...

Mais la société semble plus consciente de la nécessité de protéger l’environnement. Cela peut-il influencer de façon positive les discussions de Rio + 20 ?

En effet, il y a eu un vrai changement. L’opinion publique, de larges secteurs de la population, au Nord comme au Sud, sont de plus en plus conscients de cette nécessité, non pour « sauver la Terre » – notre planète n’est pas en danger –, mais pour sauver la vie humaine (et celle de nombreuses autres espèces). Malheureusement, les gouvernements (à l’exception notable de la Bolivie par exemple), les entreprises et les institutions financières internationales représentés à Rio + 20 sont peu sensibles à l’inquiétude des populations. Ils cherchent plutôt à les tranquilliser avec des discours sur les prétendus bienfaits de l’« économie verte ».

Quel est le lien entre destruction de l’environnement et inégalité sociale ?

Les premières victimes des désastres écologiques sont les couches sociales exploitées et opprimées, les peuples du Sud et en particulier les communautés autochtones et paysannes qui voient leurs terres, leurs forêts et leurs rivières polluées, empoisonnées et dévastées par les multinationales du pétrole et du secteur minier, ou par l’agrobusiness du soja, de l’huile de palme et du bétail. Il y a quelques années, Lawrence Summers, un économiste étasunien [2], expliquait dans un rapport interne pour la Banque mondiale qu’il serait logique, du point de vue d’une économie rationnelle, d’envoyer les productions toxiques et polluantes vers les pays pauvres, où la vie humaine possède un prix bien inférieur : une simple question de calcul de pertes et de profits en somme. En parallèle, ce même système socio-économique – appelons-le par son nom : le capitalisme – qui détruit l’environnement, est responsable des inégalités sociales brutales entre l’oligarchie financière dominante et la masse du « pobretariat » [3]. Ce sont les deux faces d’une même monnaie, l’expression d’un système qui ne peut exister sans une croissance infinie – et donc sans dévaster la nature – et sans produire et reproduire les inégalités entre exploités et exploiteurs.

Nous sommes au cœur d’une crise du capital. Quelles en sont les conséquences environnementales ?

La crise financière a servi de prétexte aux gouvernements au service du système pour repousser « à plus tard » les mesures urgentes nécessaires à la limitation des émissions de gaz à effet de serre. L’urgence du moment – un moment qui dure depuis quelques années – est de sauver les banques, de payer la dette (à ces mêmes banques), et de « réduire les dépenses publiques ». Il n’y a pas d’argent pour investir dans les énergies alternatives ou pour développer les transports collectifs. L’écosocialisme constitue en ce sens une réponse radicale aussi bien à la crise financière qu’à la crise écologique. Les deux sont l’expression d’un processus plus profond : la crise du paradigme de la civilisation capitaliste industrielle moderne. L’alternative écosocialiste signifie que les principaux moyens de production et de crédit sont expropriés et mis à disposition de la population. Les décisions sur la production et la consommation ne seront pas prises par des banquiers, des dirigeants de multinationales ou des maîtres de puits de pétrole mais par la population elle-même, après un débat démocratique, en fonction de deux critères fondamentaux : la production de valeurs d’usage afin de satisfaire les besoins sociaux et la préservation de l’environnement.

Le projet zéro de Rio + 20 cite à plusieurs reprises l’expression « économie verte », mais sans en définir le concept. Peut-elle stopper la destruction de la planète et les changements climatiques ?

Ce n’est pas un hasard si les rédacteurs de ce projet entretiennent le flou. En vérité, il n’existe pas d’« économie » en général : il s’agit d’une économie capitaliste, ou alors non capitaliste. L’« économie verte » n’est pas autre chose qu’une économie capitaliste qui cherche à traduire en termes de profit et de rentabilité certaines propositions techniques « vertes » des plus limitées. Bien sûr, une entreprise qui tente de développer l’énergie éolienne ou photovoltaïque, c’est très bien, mais cela n’entraînera pas de modifications substantielles s’il n’y a pas un investissement massif des Etats, détournant des fonds qui à l’heure actuelle financent plutôt l’industrie nucléaire et faisant le choix de réduire de manière draconienne la consommation d’énergies fossiles. Mais rien de cela n’est possible sans rompre avec la logique de compétition marchande et de rentabilité du capital. Ajoutons qu’il y a des propositions « techniques » qui sont bien pires : les célèbres « agrocarburants » par exemple, qui cherchent à utiliser les sols fertiles pour produire une pseudo « essence verte », au lieu de produire de la nourriture pour remplir les estomacs des affamés de la planète.

Vous pensez qu’actuellement, au nom de la préservation de l’environnement, on pointe uniquement sur le citoyen la responsabilité de la destruction de la planète en oubliant les entreprises ? A São Paulo, par exemple, nous devons acheter des sacs plastiques biodégradables, pendant que les entreprises usent de cette image verte comme outil de marketing.

Les responsables du désastre environnemental s’efforcent de culpabiliser les citoyens et créent l’illusion qu’il suffirait que les individus aient des comportements plus écologiques pour résoudre le problème. L’objectif de l’écosocialisme est la transition vers un nouveau modèle de civilisation, fondé sur des valeurs de solidarité, sur la démocratie participative, sur la préservation de l’environnement. Mais la lutte pour l’écosocialisme commence ici et maintenant, dans toutes les luttes socio-écologiques concrètes qui se heurtent, d’une façon ou d’une autre, au système.

Par Bárbara Mengardo source Caros Amigos le 02/04/2012

Transmis par Linsay


[1avant-projet publié en janvier

[2ancien secrétaire au Trésor

[3pobre signifie pauvre en portugais



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