La Bataille socialiste*

jeudi 12 avril 2012
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Extrait de Blanqui, par Maurice Dommanget (Librairie de l’Humanité, 1924 ; réédition EDI 1970).

Aussitôt après l’écrasement de l’insurrection parisienne [1], ceux des blanquistes qui n’avaient pas été fusillés, comme Duval, Raoul Rigault, Ferré, Genton, etc., ou tués sur les barricades ou déportés, cherchèrent un asile à l’étranger. Tridon mourut en Belgique peu après son arrivée. Le plus fort noyau blanquiste se trouvait à Londres. Il se groupa autour d’Eudes, surnommé “le général”.

Le "général" Eudes

Marx, à Londres, accueillit à bras ouverts les proscrits de la Commune. Quelques blanquistes entrèrent dans le Conseil général de l’Internationale : Vaillant, Ranvier, Constant Martin, Cournet, Arnaud. Dès lors, leur pensée se teinta de marxisme.

Au congrès de La Haye (1872), les blanquistes se liguèrent aux marxistes contre les fédéralistes (Bakounine et James Guillaume). Vaillant déclara qu’il fallait “courber les classes possédantes sous la dictature du prolétariat”, et tout en reconnaissant que “la grève est un moyen d’action révolutionnaire”, il proclama que “la barricade en est un autre, et le plus puissant de tous”.

La timidité, la division, le parlementarisme de l’Internationale et le transfert de son siège à New York décidèrent les blanquistes à rompre avec elle. Dans leur manifeste, ils annoncent leur intention de “reconstituer le parti révolutionnaire, d’organiser la revanche et préparer la lutte nouvelle et définitive”.

A la fin de l’année suivante, ils avaient effectivement renoué des relations avec presque tous leurs amis échappés à la répression et avaient constitué un groupe qu’ils appelèrent la Commune révolutionnaire, sans doute du nom de l’ancien groupement fondé à Londres par les proscrits blanquistes et communistes de 1848. La société était secrète et la discipline absolue, comme il était de règle chez les blanquistes.

En juin 1874, le groupe publia un manifeste : Aux Communeux, qui a été reproduit in extenso à plusieurs reprises et notamment dans le Bulletin communiste du 1° juin 1922. La triple affirmation athéiste, communiste, révolutionnaire, qui fait le fond du blanquisme y est exprimée avec précision et couleur. ” Mais le manifeste a un autre mérite, note Amédée Dunois, et plus grand encore. Il est le plus ancien document du socialisme français où les idées marxistes aient imprimé leur sceau. Il marque véritablement une date historique, et quelle date !… celle de l’introduction en France des théories de Marx, des théories incluses dans la Misère de la Philosophie, le Manifeste communiste et le Capital. “

En effet, si l’on met de côté la partie anti-religieuse du document et le passage sur les compromis relevé par Engels dans le Volkstaadt (1874) et par Lénine dans la Maladie infantile du communisme, le reste décèle une connaissance déjà grande des théories marxistes. Nous assistons pour ainsi dire à la fusion du marxisme et du blanquisme. Après la mort de Blanqui, c’est sur cette base doctrinale que se rassembleront les blanquistes, dirigés par Ed. Vaillant, dans le Comité Révolutionnaire Central (juillet 1881), puis dans le Parti Socialiste Révolutionnaire (1898).

Le marxisme avait le mérite de pourvoir le prolétariat d’une philosophie, d’une économie politique, d’une technique de lutte débarrassées des éléments utopiques et arbitraires. Il lui apportait le résumé de l’expérience du socialisme depuis Babeuf et, sur bien des points, cette expérience concordait avec l’enseignement de Blanqui. Quoi d’étonnant dès lors, que les disciples de Blanqui – privés par ailleurs de toute production de leur maître – aient cherché dans Marx un supplément d’information sociale et révolutionnaire ? La conquête violente du pouvoir par la classe ouvrière ; la lutte des classes et son rôle dans l’histoire ; le rejet de tous palliatifs pour le présent et de toutes “recettes pour la marmite de l’avenir” ; la nécessité d’une dictature du prolétariat pendant la période de passage du capitalisme au socialisme ; le communisme surgissant de l’évolution économique et politique ; la critique du suffrage universel, du “crétinisme parlementaire”, de l’hypocrisie démocratique : toutes ces données de Marx est-ce que Blanqui ne les avait pas formulées ?

Mais cette fois, elles se trouvaient coordonnées, systématisées avec une logique supérieure. Les disciples de Blanqui trouvaient en outre chez Marx un exposé remarquable du mécanisme de la production capitaliste et de la création de la plus-value. Au contact du grand socialiste allemand, ils apprenaient surtout à ne pas substituer leur volonté audacieuse à la faiblesse des conditions objectives et ils se débarrassaient peu à peu des “grues métaphysiques”, que “le Vieux” [2] avait évoquées si souvent. Ainsi fondu dans le creuset du marxisme, le blanquisme s’affirma en France comme l’une des tendances du mouvement socialiste jusqu’à la fondation du Parti Socialiste unifié. [3]

Il faut dire, pour rester dans la vérité, que le nouvel aspect théorique du blanquisme – principalement dû à l’influence de Vaillant et de quelques chefs – échappa en général aux militants des groupements élémentaires, hommes de coups de main avant tout. Ces hommes montrèrent en plusieurs circonstances, et notamment en décembre 1887, lors de l’élection à la présidence de la République, qu’ils étaient toujours capables d’agir. Mais la faiblesse de leur idéologie socialiste devait perdre quelques-uns d’entre eux, qui se joignirent en vain au mouvement boulangiste dans l’espoir de le dériver vers des fins sociales. Une scission s’ensuivit. Des luttes violentes mirent aux prises les deux fractions rivales jusqu’au moment où Granger et Ernest Roche, perdant tout crédit dans le prolétariat socialiste, la fraction Vaillant continua seule à agir.

Blanquisme et marxisme (Dommanget, 1924)

Notes de la BS :

[1] la Commune.

[2] Blanqui.

[3] On s’étonnera de cette phrase de Dommanget, les blanquistes du PSR ayant fusionné avec les guesdistes du POF quelques années avant la création de la SFIO.


* La Bataille socialiste est un ancien courant à la gauche de la SFIO, dirigé par Jean Zyromski et Marceau Pivert (qui s’en détache en 1935 pour fonder la Gauche révolutionnaire). Le courant se reconstitue après guerre mais est exclu en 1947 et fonde le Parti socialiste unitaire (« premier PSU »). Entre temps, Jean Zyromski a rejoint le Parti communiste français et est devenu sénateur du Lot-et-Garonne en 1946. (Wikipedia)



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