Hôpitaux sud : où en est-on ?

Interview de Gérard Avena (SUD) et Jean Marie Douville (CGT) animateurs du collectif de défense
dimanche 6 août 2006
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D’après les échos qui nous parviennent, il semblerait que l’été soit brûlant dans les hôpitaux sud ?

C’est le moins que l’on puisse dire, le manque de personnels a dépassé le dramatique. Dans certains services, en particulier aux urgences, c’est de véritables exploits que les agents doivent réaliser pour faire face aux besoins. Pour ce mois de juillet, nous frisons pour la première fois les 3000 passages aux urgences. Il devrait y avoir 8 infirmières par vacations (6 pour les soins, une pour l’accueil et une pour les problèmes psychiatriques), au lieu de ça, elles ne sont fréquemment que 4 ou 5, et à plusieurs reprises se sont retrouvées 3.
Les brancardiers se sont même retrouvés à 2 là où ils devraient être 7, et leur rôle est important puisque c’est eux qui assurent le passage des malades d’un service à l’autre, tout l’hôpital s’en trouve désorganisé.
Etc, etc....

Il y a donc un risque pour les malades ?

Évidemment, avoir du temps et la tête tranquille pour s’occuper des gens est une nécessité absolue pour soigner avec humanité et le moins de risques possibles. Et les choses sont aggravées par les restructurations en cours qui nous privent de moyens. Les médecins eux-mêmes le disent, ceux des urgences, mais d’autres aussi. En réponse à une information de la Direction sur la réorganisation des urgences vitales internes voici le mail qu’un Professeur Agrégé a envoyé à l’ensemble du personnel : « désolé mais la prise en charge d’urgences vitales par qui que ce soit dans un hôpital sans structure cardiologique est vouée à l’échec. Nous en avons, hélas, régulièrement la preuve. »

Les médecins s’impliquent ?

Pas à la hauteur de ce qui serait nécessaire au vu de la gravité de la situation, mais les signes de leur malaise sont là. Il y a quelques semaines, les Praticiens Hospitaliers (ceux que le grand public appelle encore les « Assistants ») ont fait grève pour défendre leur statut. Ils se rendent compte qu’ils vont perdre leur indépendance de soignants au profit d’impératifs économiques.

La crise à Sainte Marguerite est-elle due à l’été ?

Pas du tout. Avant les congés les personnels des 3 réanimations, se sont réunis en Assemblée Générale pour dénoncer la situation d’épuisement dans laquelle ils se trouvent. Ils ont chiffré que par rapport aux autre réanimations de l’AP-HM, il leur manque 81 agents (infirmières, aides-soignantes, agents de service), alors qu’ils réalisent la plus gros volume d’actes sur Marseille.
L’état des réanimations est d’ailleurs significatif de la politique qui est menée dans les hôpitaux sud : on ne dote pas les services suffisamment, on crée une situation de crise, en réponse aux attentes on déplore qu’il n’y ait pas assez d’infirmières sur le marché et on propose la fermeture comme seule solution (c’est la teneur d’un rapport confidentiel que la Direction n’a pas voulu nous communiquer).

Quels moyens ont les personnels pour se faire entendre ?

Honnêtement ? Aucun !
Lorsqu’ils sont reçu(e)s par un directeur quelconque, le résultat est toujours le même : le directeur commence par saluer l’admirable travail accompli par ces agents qu’il « sait dans une situation difficile », il fait part des difficultés de l’AP-HM notamment pour les recrutements (en oubliant de préciser que depuis 20 ans l’AP-HM ne s’est pas manifestée pour que les tutelles augmentent le nombre de places en Institut de Formation des Infirmières), puis il quitte son ton condescendant, fait semblant de s’attaquer au problème à bras le corps, et propose des miettes. Malheureusement certains syndicats se satisfont de ce genre de rapports et sont un frein aux mobilisations qui seules jusqu’à présent ont permis d’améliorer les choses.
Quant aux élus des personnels, ils n’ont qu’un avis à donner que la direction n’est pas tenue de suivre. Exemple : les projets de refonte de la psychiatrie ont été rejetés par le Comité Technique Paritaire (instance où siègent les élus), ils seront tout de même appliqués.

La politique de casse des hôpitaux sud continue donc ?

Les uns après les autres les services s’en vont. De 1600 lits à l’origine, nous n’en sommes plus qu’à environ 800. Alors que la nécessité des hôpitaux sud est plus que jamais évidente : augmentation permanente des admissions aux urgences, score des réanimations, occupation maximum des lits, ... mais cette évidence ne s’impose pas seulement par notre niveau d’activité, aussi grâce aux déclarations des patrons de la Générale de Santé et de la Fondation Saint Joseph qui font pression pour la reprendre.
Par ailleurs, la grève honteuse des médecins de cliniques privées atteste que seul le service public se soucie réellement de la santé de la population.

Générale de Santé ? Fondation Saint Joseph ?

La Générale est un énorme trust introduit en bourse. A l’origine filiale de la Générale des Eaux, elle appartient aujourd’hui à des banques et des fonds d’investissements. Elle compte 170 établissements en France. A Marseille elle rachète tout ce qu’elle peut (Résidence du Parc, Clairval, Beauregard, Monticelli, Quatre Saisons, Saint Michel). Certains de ses actionnaires sont des créanciers de l’AP-HM. Si un jour, comme c’est prévisible, une directive de Bruxelles et de l’OMC autorisent la libéralisation totale du système de santé, à Marseille la Générale pourra s’emparer à moindre coût d’une AP-HM en rupture de paiement.

Saint Joseph est un établissement privé à but non lucratif qui appartient à un groupe religieux influent et pas des plus progressistes dont Mattei (membre de son conseil d’administration) serait proche. Ce même Mattei qui permet la casse du service public hospitalier avec son Plan Hôpital 2007 et de l’hospitalisation de proximité (en tant que président de la Croix Rouge il fait fermer la clinique du Camas pour en céder les lits à ... Saint Joseph).

Où en est la privatisation des hôpitaux sud ?

Les vainqueurs de l’appel d’offre pour les lits de SSR (soins de suite et de réadaptation) sont maintenant connus : la clinique La Phocéane (80 lits) et Saint Martin propriété de la famille Muselier (90 lits). Reste à savoir quelle sera la durée du bail emphytéotique et le partage des coûts (il semblerait que le bâti soit à la charge du privé mais que l’AP-HM ait la charge de la viabilisation du terrain). Et surtout quels moyens se donnera l’AP-HM pour contrôler leur activité (ce qu’elle prétend faire ) ? Mais d’ores et déjà on dépasse les 155 lits prévus d’être donné au privé à l’origine (80 + 90 = 170). Certains de nos « collègues » qui se sont abstenus ou ont voté pour ces projets tout en prétendant qu’ils resteraient vigilants doivent se sentir mal à l’aise.

Quant aux 60 lits qui arrivent du Centre Valmante (privé à but non lucratif géré par la Sécurité Sociale), nos amis de la CGT Valmante avec qui nous sommes en rapports étroits, y voient la désorganisation de leur institution qui a pourtant fait ses preuves dans la rééducation et sa mise au service du privé à but lucratif.

Déjà les restructurations profitent aux faiseurs de fric : un des membres actifs du Collectif (retraité), défenseur de toujours de l’hôpital public était suivi en néphrologie à Sainte Marguerite, avec le déménagement du service à la Conception, il en a été réduit, bon gré mal gré, à s’adresser à la Résidence du Parc, et là, surprise, ils ne prennent pas les mutuelles, il a du faire l’avance des frais, heureusement, il pouvait le faire, ce n’est pas le cas de tout le monde.

Plus vicieux, certaines tâches de l’hôpital public sont discrètement livrées au privé : il est prévu de donner le ménage des chambres de psychiatrie à des entreprises extérieures. Outre que par leur organisation ces entreprises ne peuvent pas assurer correctement le ménage, c’est dangereux pour la confidentialité à laquelle les malades ont droit. En parlant de psychiatrie d’ailleurs, nous venons tout juste d’apprendre qu’une partie de l’hôpital Salvator va être donnée à SERENA (assoc à but non lucratif) pour y installer un hôpital de psychiatrie de l’adolescent.

La psychiatrie non plus ne semble pas épargnée ?

La perte de moyens et l’abandon des fondements de la conception française dite « psychiatrie de secteur » sont le socle de la réorganisation du pôle de Sainte Marguerite.
Des 164 lits du temps de la splendeur (relative) des trois services, nous tombons à 112, ce qui sera nettement insuffisant au vu des besoins et on nous propose une déqualification massive des personnels : 23,75 postes d’infirmières remplacés par 21,25 postes d’aides-soignantes.

Pour aller vite, c’est une psychiatrie de formatage des comportements où le patient n’est plus compris comme un être particulier. Ce qui correspond parfaitement à l’idéologie et aux besoins du libéralisme triomphant, d’ailleurs, toute l’organisation du pôle correspond au Plan Hôpital 2007.

Quant à la psychiatrie de l’adolescent, les besoins sont énormes sur Marseille, mais là aussi nous ne pouvons concevoir que le secteur associatif se substitue au service public. Nous connaissons ce secteur dans le social. Il suffit qu’un ministre, comme l’a fait Raffarin, coupe les subventions pour que ces institutions soient asphyxiées. De plus, on ne peut pas confier notre santé aux associations les yeux fermés, trop d’entre elles sont d’origines religieuses ou caritatives aux motivations pas toujours très nettes. Dans le social, la plupart de ces associations se comportent en véritables patrons avec leurs salariés.

Avez-vous obtenu quelques reculs ?

Dans le regroupement public/privé, il s’agira d’une simple convention et pas d’un Groupement de Coopération Sanitaire (GCS). Nous avons suffisamment dénoncé ce risque pour penser que nous y sommes pour quelque chose.
Le GCS est une création du Plan Hôpital 2007. C’est une entité juridique qui gère ce type de regroupement, il devient notamment employeur et peut donc embaucher du personnel de droit privé pour la partie publique.

les défenseurs de l’hôpital public ont donc du pain sur la planche. Comment s’y prend le Collectif contre la privatisation et pour la défense des hôpitaux sud ?

Le Collectif a constitué une sorte de réseau d’informations. Les nombreuses associations et organisations politiques qui en sont répercutent les infos et ça fait du monde, d’autant que certaines associations sont elles-mêmes des réseaux (mouvement santé pour tous, Vivent les services publics,...). Nous informons régulièrement d’autres associations non membres du Collectif (CIQ, Confédération Syndicale des Familles, Mutuelles,...) et même d’autres syndicats non représentés à l’AP-HM ou extérieurs à celle-ci (CGT CRF Valmante, SUD Institut Paoli-Calmettes).

Nous sommes en rapport étroit avec nos amis du Comité de soutien de l’hôpital de Pertuis, du Comité santé des quartiers nord, et sommes affiliés à la Coordination Nationale des Hôpitaux et Maternités de Proximité.
Les politiques présents dans le Collectif continuent à nous soutenir. Seul le PS qui a fait la sourde oreille au début, puis est reparti, ne nous soutient pas (il faut dire qu’ils ont tout voté au Conseil d’administration, ce que n’a pas manqué de rappeler Gaudin).

Nous sommes allés dans tous les meetings et toutes les réunions où nous avons pu : meeting Collectif 29 mai contre le TCE, Manif intersyndicale en février à Aix contre le SROS, réunion publique de la MGM de Mazargues, nous participons dans la mesure de nos moyens à l’atelier du Forum Social « vivre à Marseille » initié par ATTAC, nous avons tenu une place importante le 10 juin dans la journée de défense des services publics, en mars nous avons manifesté avec les syndicats devant l’ARH.

Nous faisons évidemment des distributions pour les usagers et les personnels.

Nous avons une bonne couverture médiatique (TV, radios, presse écrite).

Et au-delà de l’info ?

Notre expérience de syndicalistes à l’AP-HM nous a appris qu’il n’y a plus grand chose à attendre d’une quelconque table ronde. L’AP-HM est dans une situation catastrophique, la solution ne peut venir que d’une information de la population marseillaise sur l’état de son hospitalisation publique et partant, d’une mobilisation massive usagers/professionnels seule capable d’inverser le cours.
Les enjeux sont trop importants pour se contenter de communiqués et de rencontres avec les autorités (quand elles le veulent bien). Nous ne pouvons faire confiance qu’à un rapport de force instauré dans une lutte, seul susceptible de faire échec à ces projets, et là, bien que syndicalistes respectueux de toutes les opinions, nous devons bien avouer que l’enjeu est politique. Nous nous devons de demander à ceux qui vont se présenter à nos suffrages leur position exacte sur ces questions vitales et nous nous devons de faire pression sur ceux qui s’opposent à la destruction du système de santé pour qu’ils ne s’éparpillent pas.



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