Ce que nous pouvons apprendre au monde

mercredi 13 mars 2013
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« L’Afrique est riche, c’est pour cela que les pays du Nord viennent la piller » (Aminata Traore dans le film Bamako).

De toute évidence l’auteur de l’article partage ce point de vue, même si en l’occurrence c’est d’autres richesses dont elle parle. Petite leçon de sagesse africaine

Si vous dites que les pays d’Afrique ont beaucoup à apprendre du reste du monde, personne ou presque ne vous contredira. Nous avons effectivement beaucoup à apprendre et, à certains égards, beaucoup de chemin à parcourir avant de pouvoir prétendre au statut de pays pleinement développés.

Cela, bien entendu, si l’on accepte la définition de ce qu’est un pays “développé”. Mais, même au regard de la définition communément admise, les villes et les pays africains se rapprochent de plus en plus des critères qui permettent d’être qualifié de “développé”.

Nos villes se modernisent, nos économies deviennent plus solides et plus stables, et nos modes de vie évoluent de telle sorte que nous nous sentons mieux dans notre peau d’Africains. Certains nous voient peut-être encore comme des habitants du “tiers-monde” mais ce n’est pas ou du moins plus ainsi que nous nous considérons.

La richesse exprimée en termes de PIB n’est pas un critère suffisant pour dire d’un pays qu’il est riche et fort. Il ne vous a pas échappé que lorsque les gens parlent des atouts et de la beauté de l’Afrique, ils évoquent habituellement nos paysages, notre faune abondante, nos terres fertiles, le soleil, la mer, les rivières et les lacs. Des splendeurs, d’accord, mais rien de tout cela n’est de notre fait. C’est notre cadre mais ce n’est pas nous qui l’avons créé.

On parle beaucoup de la beauté de l’Afrique mais aussi beaucoup de l’opposé : la pauvreté, les maladies, les conflits, la famine. Il est certes nécessaire de parler de ces problèmes et de les régler, mais ce discours qui oscille entre deux extrêmes aboutit à une vision assez déséquilibrée du continent. Ailleurs dans le monde, les pays ont visiblement droit à un traitement moins réducteur et plus nuancé. Il n’est donc pas impossible de faire la même chose avec l’Afrique.

Aucun chiffre n’étaie les généralisations qui suivent, et la seule chose qui m’autorise à les formuler c’est que je suis africaine, que je vis en Afrique et que j’apprends énormément des Africains et de ce que j’observe chaque jour autour de moi.

Fraternité

Cela surprendra peut-être les non-Africains qui se font une opinion des Africains à partir des informations sur les guerres et la justice de rue mais, dans la vie de tous les jours, nous avons un sens de la fraternité profondément ancré : “Tu aimeras ton prochain comme toi-même”.

C’est comme ça, on n’a pas le choix. Si quelqu’un nous demande de l’aide, nous l’aidons. Il y a bien sûr des exceptions, mais, en général, telle est la règle tacite. Si une femme pleure dans la rue, nous ne détournons pas le regard ; nous lui demandons ce qui ne va pas. Si un membre de votre famille décède, on ne vous laissera pas vous débrouiller tout seul et n’avoir de compagnie que le jour des obsèques ; il y aura toujours quelqu’un pour vous aider et vous accompagner dans votre deuil, et personne n’ira invoquer un emploi du temps trop chargé, car témoigner de l’affection et du respect passe avant l’argent ou n’importe quelle réunion. Nous trouvons toujours du temps pour les autres. Notre rapport aux autres se répercute sur tous ce que nous faisons, et c’est parfois interprété comme un manque d’efficacité ou de sérieux. Mais qu’y a-t-il de plus important que notre rapport aux autres ? C’est l’une des raisons qui fait que beaucoup d’Africains ont du mal à vivre dans une société plus individualiste.

Débrouillardise

La grande panne d’électricité provoquée à New York par l’ouragan Sandy a fait les gros titres dans le monde entier ; des millions de foyers ont été plongés dans le noir. Parlez de coupures de courant à n’importe qui dans n’importe quel pays d’Afrique et il vous dira que la vie ne s’arrête pas pour autant. Nous ne sommes pas paralysés quand les choses ne marchent pas, ou pas comme on voudrait. Nous ne sommes pas toujours débrouillards par choix : c’est juste que nous ne pouvons pas être à la merci de systèmes dont nous savons qu’ils ne sont pas fiables – mais cela nous prépare à faire preuve de souplesse dans pas mal de circonstances. En Occident, les gens sont tellement dépendants de systèmes sur lesquels ils comptent d’office que lorsqu’un de ces systèmes tombe en panne ou qu’une petite incertitude apparaît en son sein, c’est toute la machine qui s’arrête, créant des dégâts colossaux (j’ai remarqué que lorsqu’un système cesse de fonctionner en Europe ou aux Etats-Unis, on mesure l’étendue des dégâts au nombre d’heures de travail et de points de PIB perdus, ce qui incite à se demander si c’est le système qui est au service des gens, ou si ce n’est pas plutôt l’inverse). Nos systèmes, parce qu’ils sont défaillants, peuvent en général tomber en panne sans provoquer de catastrophe. Quand il y a une coupure de courant, une gazinière peut faire l’affaire, et quand il n’y a pas de gaz, on sort le charbon de bois et les allumettes. Et si ça ne marche pas, retour à la case “fraternité”.

Innovation permanente

Quand on a tout ce qu’on veut, on n’a besoin de rien. Nous les Africains, en revanche, nous avons besoin de plus que ce que nous avons, et nous sommes donc souvent obligés de faire avec ce que nous avons sous la main. Toutes sortes de choses nous manquent et nous n’avons pas toutes les machines nécessaires pour produire tout ce qui nous serait utile. Voilà pourquoi le recyclage et la récupération font partie intégrante de notre mode de vie et que nous y excellons. Nous sommes assez doués pour trouver de multiples usages aux objets que nous possédons, par exemple utiliser son vélo comme chargeur de portable.

A présent que nos économies vont mieux, que le niveau de vie augmente et que les classes moyennes se développent, j’espère que nous n’abandonnerons pas cette habitude sous prétexte que nous avons désormais les moyens d’acheter du neuf. Ce serait un grand pas en arrière, d’autant que même ceux qui sont à la pointe du progrès technologique savent à présent que le seul avenir durable pour nous tous réside dans la réutilisation et le recyclage permanent des déchets.

Respect

Les touristes qui se rendent dans un pays d’Afrique parlent souvent de la gentillesse des Africains. Il s’agit bien sûr pour une part de la courtoisie que l’on manifeste à l’égard des touristes partout dans le monde. Et puis l’on remarque plus la gentillesse quand on est en vacances, loin du stress du travail et de la vie quotidienne, mais cela n’explique pas tout. En général, nos parents nous enseignent à manifester de la courtoisie et du respect à ceux qui le méritent.

Nous ne manquons pas de respect aux personnes âgées et les enfants ne répondent pas à leurs parents (au point qu’il y a souvent peu, ou pas, de dialogue entre parents et enfants). Le respect reste une valeur de base importante.

A votre avis, qu’avons-nous d’autre à apprendre au monde ?

Par Melinda Ozongwu source This is Africa le 06/03/2013

Transmis par Linsay



Cette journaliste vit à Kampala, en Ouganda. Sur son blog, Smartgirl Living, elle décrypte la mode et les tendances de sa société avec humour et sur un ton très personnel.

Après avoir étudié et vécu dix ans à Londres, elle est revenue dans son pays natal en 2008 avec l’ambition de raconter une Afrique qui change. Résolument optimiste et panafricaniste, Melinda dit “écrire sur l’Afrique pour les Africains qui savent que le changement est en marche et sont prêts à prendre en main le destin du continent avec fierté et espoir”. On peut aussi la suivre sur Twitter (@melindaembrace).



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