L’Algérie an 51 : Une croisée des chemins

mardi 9 juillet 2013
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« Le monde flatte l’éléphant et piétine la fourmi. »

Proverbe indien

51 ans d’indépendance, l’Algérie est plus que jamais à la croisée des chemins. De plus, qu’on se le dise, les nuages s’accumulent au dessus de nos têtes. Il n’est que de voir l’anomie du monde arabe, l’instrumentalisation du peuple égyptien à qui on d’abord fait croire que les Frères musulmans étaient la solution avec des simulacres d’élection et ensuite , ces mêmes Frères n’étant plus en odeur de sainteté l’Occident accepte un coup d’état déguisé pour créer encore plus le chaos…

En Algérie d’une façon autiste, les maîtres de cérémonie continueront comme par le passé à nous susurrer : « Tout va très bien, madame la marquise. » Nous pouvons être sûr, à l’instar des années précédentes, nous allons avoir un rituel de commémoration de l’indépendance, où on ressortira les mêmes clichés, les mêmes films, les mêmes cérémonies avec les mêmes inaugurateurs qui ont vieilli, mais qui sont toujours là, plus solides que l’ennui,

Qu’est-ce qu’être indépendant quand on a stérilisé toute velléité de fierté des Algériens à telle enseigne que cet événement majeur est vécu dans la clandestinité la plus totale pour 99% de la population, notamment la jeunesse qui a ses propres dynamiques souterraines et qui sera de plus en sensible aux messages de la Toile.

Encore une fois, à la veille du cinquante et unième anniversaire d’une indépendance chèrement acquise, il est important pour la génération montante de savoir que nous avons pris un faux départ dès l’indépendance. Souvenons-nous les années soixante, la vague de décolonisation a donné l’illusion que les pays étaient réellement indépendants et que tout était permis, la misère morale et matérielle devait faire place à la liberté de parole, de travailler, bref, de donner la pleine mesure de son talent. Cruelle erreur, les espoirs furent rapidement confisqués par des dirigeants qui jouèrent le même rôle que l’ancien occupant tout en s’éliminant mutuellement sous les regards harassés des peuples. Aimé Césaire, en son temps, jugeant d’un oeil très critique cet hold-up de la liberté, de la démocratie, eut cette formule lapidaire sans appel : « La lutte pour l’indépendance, c’est l’épopée ! L’indépendance acquise, c’est la tragédie. »

A l’Indépendance, nous étions tout feu, tout flamme et nous tirions notre légitimité internationale de l’aura de la glorieuse Révolution de Novembre. La flamme de la Révolution s’est refroidie en rites sans conviction, pour donner l’illusion de la continuité. Mieux encore, le moteur de la Révolution qu’était le FLN a été confisqué au profit d’une caste pendant un demi-siècle. Pourtant, de par le monde, tous les partis uniques ont fait leur mue ou on disparu ! Le FLN postrévolution s’accroche au pouvoir, fait des alliances contre nature pour durer, n’a pour programme que l’opportunisme et ceci, il faut bien le dire, d’un manque cruel de compétence de ceux qui se l’ont approprié. Pour le regretté Boudiaf : « Le FLN est mort en 1962. » Le FLN qui a rempli son immense tâche historique qui a abouti à l’indépendance est la propriété de tous les Algériens sans exclusive et qu’il doit laisser la place à d’autres partis politiques qui ont pour légitimité l’intelligence, le savoir, le Web 2.0

L’Algérie cinquante et un ans d’attente du messie

Si on doit faire brièvement un inventaire de ce demi-siècle d’errance, la période Boumediene vit une séquestration des libertés, les adversaires étaient réduits au silence. La révolution agraire malgré la tentative de construction des mille villages agricoles pour sédentariser la paysannerie. La révolution culturelle, qui ignora la composante amazighe, fut aussi un échec patent. L’Algérie fut confiée corps et âme à une sphère moyen-orientale et on en paie le prix en termes d’errance. Par contre, il serait honnête de reconnaître que des dizaines d’usines furent construites, l’Algérie tentait de se faire une place. La nationalisation des hydrocarbures, la construction de la transaharienne et aussi le Barrage vert dont on découvre les vertus trente ans après, furent des réussites L’essentiel de l’outil de raffinage date de cette période.

Ensuite avec le président Chadli, nous avons vécu la période « euphorique » du programme antipénurie (PAP). Du fait d’une conjoncture favorable, le baril était à 30 dollars et le dollar à cinq francs, l’Algérie découvrait la société de consommation. La rente fut mise à profit pour « une vie meilleure ». Les gouvernements successifs ont détricoté minutieusement tout ce qui a été construit. Dès 1984, le retournement du marché amena l’Algérie à s’endetter pour se nourrir, la dette grimpa avec l’incurie. Ce qui amena d’abord les événements de 1988 et là encore, l’ouverture proposée par le président Chadli fut de courte durée.

L’arrivée de Boudiaf remobilisa la jeunesse qui découvrait que l’amour du pays pouvait transcender les partis. En vain. La parenthèse de l’espoir dura 165 jours. Elle donna ensuite lieu au chaos de la tragédie nationale. 200.000 morts plus tard malgré encore la parenthèse de Zeroual qui eut à se battre pour maintenir l’Etat debout et se battre contre le FMI qui nous a ajusté structurellement plusieurs fois…

La dernière période à partir d’avril 1999 vit une baisse progressive du terrorisme, grâce notamment aux lois sur la Rahma proposées par Bouteflika aux indemnisations et aussi au fait qu’à l’échelle planétaire, le monde commençait à s’intéresser à l’Algérie et à son combat après l’attaque des WTC, en septembre 2001. Pour cette dernière période à partir de 1999, avec l’élection de Abdelaziz Bouteflika, une rente insolente de plus de 600 milliards de dollars a permis le lancement de grands travaux à mettre au crédit, l’autoroute Est-Ouest, le métro, l’autorail sont des réalités. Les centaines de milliers de logements sont un tonneau des Danaïdes. Il est plus facile d’avoir un appartement en brûlant des pneus qu’en attendant en tant que cadre universitaire son tour depuis des lustres. Les constructions de milliers d’écoles, de lycées, voire d’amphis donnèrent à tort l’illusion de la performance. Les zerdas culturelles successives, sans lendemain remplacent les bibliothèques qui existaient en 1962 et qui ont disparu. De plus, l’indigence des médias lourds ne peut pas couvrir la gabegie qui fait que l’Algérie, dépense sans compter et a importé pour 48 milliards de dollars en 2012 dont 8 milliards de dollars de nourriture. Elle se tient toujours le ventre et indexe son destin sur le prix d’un baril de pétrole en priant qu’il ne descende pas au-dessous de 100 dollars.

L’Algérie de 2013

Une évidence : les partis politiques bâtis sur du vent furent soumis à de fortes remises en cause au point qu’il n’y a toujours pas d’élection pour désigner un responsable. Le parti qui a fait un hold-up sur le signe FLN de la révolution depuis 1962 est en train d’agoniser après avoir contribué puissamment à la débâcle du pays. Quant à son clone, n’apportant aucune valeur ajoutée, il est lui aussi étêté. Les autres partis peuvent être résumés en une phrase : opportunisme destructeur n’apportant, on l’aura compris, aucune valeur ajoutée si ce n’est une capacité de nuisance qui s’exprime certaines fois sur instruction. Bref, la scène politique est stérilisée. Il ne se dégage aucun leader capable de porter l’espérance du pays.

J’avais dans une contribution précédente résumé le seul et unique mandat de Mandela : valoriser les ministres et ne rien s’attribuer, parler vrai, préparer l’alternance, former la relève politique. Rien de tout cela chez nous !

L’Algérie actuelle, qu’est-ce que c’est ? Un pays qui se cherche, qui n’a pas divorcé avec ses démons du régionalisme, du népotisme ? Qui peine à se déployer, qui prend du retard, qui vit sur une rente immorale car elle n’est pas celle de l’effort, de la sueur, de la créativité ? C’est tout cela en même temps ! Le pays s’enfonce inexorablement dans une espèce de farniente trompeur tant que le baril couvre notre gabegie. Après, ce sera le chaos. L’Algérie perd son temps, elle rate des échéances et part du principe que le monde l’attend. Cruelle méprise. Le monde bouge. L’Algérie est installée dans les temps morts.

Cinquante et un ans après l’Indépendance, nous n’avons plus le droit de continuer à diaboliser les autres et les rendre responsables de notre gabegie actuelle. Si le devoir d’inventaire est toujours d’actualité avec l’ancienne puissance coloniale, nous ne pouvons pas l’incriminer chaque fois que nous échouons dans la plus pure tradition de la théorie du complot. Pourtant, la guerre de Libération a été pour nous une source de ressourcement. Le grand tort est que nous n’avons pas su prendre les virages rendus nécessaires par l’évolution rapide du monde.

Qu’avons-nous fait de durable ?

Le niveau de vie et de développement d’une nation est mesuré par un indicateur : l’IDH (l’indice de développement humain) proposé par le Pnud. L’indice a été développé en 1990 par l’économiste indien, Amartya Sen, et l’économiste pakistanais, Mahbub. Cet indice prend en compte trois critères, le niveau de santé, le niveau d’éducation et le PIB. Force est de constater que sur ces trois facteurs, l’Algérie ne brille pas particulièrement ; la santé est en miettes, les hôpitaux sont des mouroirs et les ministres de la Santé qui se sont succédé se sont plus occupés de leur carrière que de la santé des populations.

Quant à l’éducation c’est un autre débat. Si pendant les premières années de l’indépendance la massification de l’éducation était légitime car elle permit à des millions d’Algériens d’aller à l’école, qui souffrit d’un manque d’enseignants, ce qui a amené les pouvoirs successifs à puiser dans la source moyen-orientale. Les enseignants recrutés ne répondaient pas dans leur grande majorité aux critères attendus de la part de ceux qui avaient le lourd privilège de « formater » les futurs cadres du pays. Résultat des courses : malgré des moyens colossaux, l’école a été qualitativement un échec. Les taux mirifiques de réussite au Bac – avec une nouvelle donne cette année, la triche en grand- ne doivent pas cacher la réalité. Le niveau est déplorable, nous le voyons dans le supérieur. Certes, nous délivrons des dizaines de milliers de diplômes mais que valent-ils réellement ? Justement, l’enseignement supérieur est analogue à un train fou que personne ne peut arrêter. Il délivre des diplômes qui correspondent bien souvent à des métiers qui n’existent pas. On comprend alors pourquoi la formation d’ingénieurs a été supprimée dans les universités au profit d’un LMD dont on découvre graduellement les errements et les limites.

L’Algérie de 2013 importe tout, ne sait plus rien faire, perd ses cadres et vit au jour le jour n’ayant plus la foi, ce feu sacré qui nous faisait espérer en l’avenir avec 100 fois moins de moyens actuellement. Le jeune Algérien de 2013 bavarde avec un portable vissé à l’oreille, il chausse des Nike, tchatche sur Internet, roule pour certains en 4×4, et pense que tout lui est dû. Il ne sait pas ce que c’est que l’effort, l’honnêteté, il pense que l’école et l’université ne servent à rien prenant l’exemple sur les troubadours et les footballeurs qui gagnent en une saison ce que gagne un enseignant en une vie… L’Algérien de 2013 pense que tout est pourri, qu’il n’y a rien à faire, que l’horizon est bouché et que c’est le sauve-qui-peut.

Qu’avons-nous fait de l’indépendance ?

Sommes-nous devenus plus autonomes ? Avons-nous un taux d’intégration et un savoir-faire réel ? Avons-nous des hôpitaux de qualité, une école qui fait réussir ? Une université vue comme un ascenseur social ? Rien de tout cela ! Notre mimétisme de l’Occident ne concerne que la dimension consommation et non dans celle du travail, de l’effort, de l’intelligence et de l’endurance ; il est encore plus tragique au sein des pays arabes car aucun d’eux ne crée de la richesse, ils vivent en satrapes sur le fonds de commerce de la nature, tel que le pétrole, le gaz. L’Algérie est devenue un immense tube digestif, décervelé, l’Algérien veut, sans effort, tout et tout de suite. Nous donnons un très mauvais signal en distribuant la rente sans contrepartie, en termes de travail et de création de richesse.

Notre indépendance a atteint l’âge de raison. Mais l’Algérie peine toujours à se redéployer dans un environnement mondial de plus en plus hostile. Est-ce parce qu’elle n’abrite pas en son sein les compétences à même de la faire sortir de l’ornière ? Est-ce qu’elle n’a pas les ressources qui lui permettraient de financer son développement ? Non ! Comment alors expliquer cette panne dans l’action qui fait que nous sommes encore à chercher un projet de société et à vivre au quotidien, gaspillant une rente imméritée qui hypothèque lentement, mais sûrement l’avenir de nos enfants ? Un maitre mot, les responsables ne rendent pas compte !

Qu’est-ce qu’alors être indépendant au XXIe siècle avec une mondialisation dimensionnée à la taille des plus grands, des plus forts, des plus immoraux ? Qu’est-ce qu’être indépendant quand on est dépendant à 80% pour sa nourriture, à 100% pour sa construction, les transports, quand on est dépendant à 100% pour ses achats de tous les jours. Nous nous retrouvons, en 2013, en train de confier la construction de ce pays à des étrangers sans aucune sédimentation.

L’Algérie de 2040 : la Somalie ou la Corée du Sud

Nous ne sommes pas à l’abri d’un tsunami, nos frontières sont de plus en plus vulnérables et nous donnons l’impression de nous installer dans les temps morts avec des slogans du siècle précédent. L’épisode de Tigentourine nous a montré que nous ne sommes pas invulnérables. Le démon du régionalisme, l’échec du vivre-ensemble par le mépris de l’identité amazighe originelle, la soif du pouvoir, l’appât du gain et pour notre malheur, l’étendue du pays, sa richesse en hydrocarbures et en terres agricoles, sont autant de critères de vulnérabilité. On ne laissera pas tranquille un pays de 2387 642 km² – le premier pays d’Afrique après la partition du Soudan- avec sa profondeur stratégique, son potentiel énergétique, ses différents climats… son potentiel archéologique et touristique.

Si rien n’est fait en termes de consolidation de l’Etat, notamment par la mise en place d’un projet de société basé sur un désir de vivre-ensemble. Si l’alternance sereine n’est pas définitivement consacrée. Si rien n’est fait en termes d’économie, en termes de stratégies, en termes d’éducations. Si le maître mot en toute chose n’est pas le savoir, l’Algérie de 2040 sera celle du chaos. Imaginons-nous en 2040, plus de pétrole et de gaz à vendre malgré l’utopie des gaz de schiste. Plus d’eau potable, les changements climatiques auront fait des ravages. Ceux qui nous ont amenés au chaos ne sont plus là.

Pour n’avoir pas pris de précautions. L’eau sera rare, les sols seront devenus stériles. Nous reviendrons à la bougie pour ceux qui ont les moyens de la payer. Les maladies du Moyen âge ont refait leur apparition, la tuberculose fait des ravages L’Algérie deviendra une zone grise, Il existera des seigneurs de quartier ; elle va se somaliser graduellement sous le regard indifférent des pays qui ont fait le saut qualitatif de l’économie de la connaissance. Si on veut devenir un pays développé à l’instar de la Corée du Sud qui avait le même niveau que nous en 1962, le moment est venu de faire émerger les nouvelles légitimités du XXIe siècle.

Chacun devra être jugé sur sa valeur ajoutée. Chacun devra rendre compte. La transition inéluctable doit se faire sans douleur et que l’on mette enfin le peuple algérien au travail. La situation du pays impose de donner l’exemple et de parler vrai à cette jeunesse en panne d’espérance.

Professeur Chems Eddine Chitour le 04/04/2013

Transmis par Linsay


Professeur Chems Eddine Chitour

Ecole Polytechnique enp-edu.dz



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