« Il y aura un avant et un après Brétigny » (CGT cheminots)

mardi 16 juillet 2013
par  Charles Hoareau
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En 1997, juste avant de perdre les élections législatives anticipées, la droite votait au parlement la loi consacrant la séparation en deux de la SNCF : d’un côté RFF (réseau ferré de France) chargé de la gestion des infrastructures ferroviaires (principalement les voies ferrées), de l’autre la SNCF chargée du transport de voyageurs et de l’entretien des voies. La gauche plurielle d’alors revenue au pouvoir n’a pas abrogé cette loi qu’elle avait tant décriée 3 mois auparavant quand elle était dans l’opposition, Jean Claude Gayssot en tête...

Selon les partisans de la loi, celle-ci devait permettre le désendettement de la SNCF et faciliter les investissements futurs.
En fait elle permettait surtout et avant tout de transposer en droit français la directive européenne 91/440 ayant essentiellement pour but de rendre possible la concurrence du transport de voyageurs, autrement dit d’ouvrir le service public au appétits financiers du Privé.

16 ans après, d’évidence cette loi n’a pas permis une progression nette de la maintenance et les investissements ferroviaires prévus antérieurement sont remis en question par l’actuel gouvernement. La chute des effectifs n’a pas été enrayée mais de plus le recours à la sous-traitance a été lui augmenté avec toutes les conséquences sur les personnels et les usagers.

On est ainsi passé de 350 000 employés en France à statut SNCF dans les années 1960 [1] à 250 000 employés dans 120 pays du monde du « groupe SNCF » en 2012 [2] . A eux seuls ces deux chiffres donnent raison à la fédération CGT des cheminots et à Didier Le Reste qui tous deux dénoncent des problèmes de maintenance mettant en cause la sécurité. Espérons que la fédération CGT des cheminots sera entendue et qu’il y aura bien un avant et un après Brétigny...pour le plus grand bien du service dû au public tant salarié qu’usager.

« Entre les TGV et les Corail, il y a une SNCF à deux vitesses »

Entretien avec Didier Le Reste, secrétaire général de la fédération CGT des cheminots entre 2000 et 2010.

Pourquoi contestez-vous la rapidité de l’explication donnée par la SNCF ?

D’expérience, il est quasi impossible de donner dès le lendemain une version aussi officielle. Là, on engage une campagne nationale pour dire que l’origine du déraillement provient d’une éclisse qui s’est désolidarisée du rail. Cela me paraît prématuré. Cette cause peut faire partie d’une des nombreuses hypothèses. Par définition, il n’y a jamais qu’une seule cause, mais un processus, un enchaînement de circonstances. Il y a l’éclisse, l’état de l’ensemble de l’infrastructure, du matériel roulant, etc. On peut en tout cas écarter l’erreur humaine. Toutes les enquêtes diligentées doivent être menées en transparence et en toute indépendance pour faire éclater la vérité.

Pourquoi le dire si vite alors ?

En tant que cheminot, je suis surpris de cette communication hâtive. Mais Guillaume Pepy a une propension à se précipiter. Il avait fait de même quand l’Eurostar avait été bloqué dans le tunnel sous la Manche à l’hiver 2009. Selon lui, la neige avait contribué au blocage. J’avais alors soulevé un lien de causalité avec la maintenance. Les enquêtes m’ont donné raison. Je dis donc : attention !

Songez-vous à d’autres hypothèses ?

Cet accident ouvre le débat sur les trains d’équilibre du territoire (TET). Je me souviens de la mise en service du Corail dans les années 70. C’était à l’été 1976, pendant la canicule, je débutais alors comme contrôleur à la gare de Lyon. Depuis, on les a relookés dans les ateliers, on a fait du neuf avec du vieux, ce qui a permis à la SNCF de faire payer un droit de réservation. Mais elle les a progressivement délaissés : une prise sur trois ne fonctionne pas, certains trains n’ont pas de numérotation, plus de climatisation ou plus de chauffage… Le réseau ferré (voies, rails, traverses, etc.) se détériore, comme le montrent deux études de l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne. Il y a un désengagement financier de l’Etat sur ces lignes. Pourtant, depuis 2009, les tarifs de la SNCF ont augmenté de près de 14%…

Diriez-vous que le désengagement profite aux TGV ?

On ne peut pas voir la SNCF seulement par le prisme du TGV. Moins de 20 % des usagers l’empruntent. Les lignes à grande vitesse représentent 1 900 km de voies sur 30 000 au total. Le gros du ferroviaire passe par les Corail, les TER, le fret. Les lignes classiques ont souffert d’un sous-investissement chronique. Regardez Clermont-Ferrand-Béziers ou Nîmes-Marseille. Il y a une SNCF à deux vitesses. Le collectif pluraliste de défense de la ligne SNCF Béziers-Neussargues a ainsi réalisé une marche en mai pour alerter sur le désintérêt de la compagnie par rapport à ces lignes-là. Pourtant, concernant un service d’intérêt général, la péréquation s’impose.

Par ailleurs, la SNCF fait intervenir de plus en plus d’entreprises privées, qui ne sont pas toutes formées à la technique spécifiques du ferroviaire. Ce sont les professionnels du rail qui sont souvent contraints d’encadrer ces sous-traitants et de reprendre parfois leurs travaux. Et, en 2012, 30 % des recrutements se sont faits hors statut (contractuels, intérimaires).

Il faudrait donc investir davantage ?

Réseau ferré de France (RFF), fortement endetté, ne dispose pas aujourd’hui du milliard d’euros nécessaire pour moderniser le réseau. La SNCF a décidé de réaliser 750 millions d’économies dans les trois ans. Où va-t-on les prendre ? Ne risque-t-on pas d’affaiblir la sécurité de notre réseau ferroviaire, qui reste un des meilleurs ? Après les conclusions de Brétigny, il faudra mener dans l’entreprise une réflexion plus large pour établir un bilan, une évaluation, y compris de la sous-traitance.

14 juillet 2013 Libération

Entretien réalisé par FRÉDÉRIQUE ROUSSEL


[1Franck Seuret et Pierre Sohlberg Alter Eco N° 174 octobre 1999



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mardi 16 juillet 2013 à 10h42 - par  Sylvie B. La Ciotat

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