Giap, je suis un général de la paix, non de la guerre

lundi 14 octobre 2013
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Au moment où des centaines de milliers de vietnamiens viennent de rendre un dernier hommage à leur héros (voir médaillon) constituant ainsi le plus grand rassemblement populaire de ces dernières années, Michel nous envoie cet article paru dans El Watan rappelant, s’il en était besoin, les liens qui unissaient les combattants des anciennes colonies et le catalyseur mondial que fut la bataille de Dien Bien Phu. L’huma republie un entretien fort instructif paru en 2004.

Giap, décoré par l’Algérie de l’Ordre de l’amitié en 2004 à l’occasion du 50e anniversaire de la victoire de Dien Bien Phu, se définissait lui-même comme un « général de la paix ». « Brezjinski (conseiller à la Sécurité nationale du président des Etats-Unis Jimmy Carter) s’est interrogé sur le pourquoi de notre victoire. Nous nous sommes rencontrés à Alger, peu après la fin de la guerre. ‘‘Quelle est votre stratégie ?’’ interrogea-t-il. Ma réponse fut simple : ‘‘Ma stratégie est celle de la paix. Je suis un général de la paix, non de la guerre ».
C’est certainement pour cela qu’il a été vainqueur ! Avec son peuple, bien sûr !

Michel Peyret

Général Giap : « Mon peuple, mon général ! »

« Le meilleur général du Vietnam est le peuple vietnamien. » Ainsi répondait Giap au général et ancien secrétaire américain à la Défense, Robert McNamara, en visite à Hanoi en 1995.

De la modestie, Giap en aura jusqu’à ses 102 ans de vie, lui qui n’avait rien d’un général ès containers, mais tout juste héros intemporel de la révolution vietnamienne, leader mythique de ses guerres d’indépendance (1954) et de réunification (1975) du Vietnam et icône mondiale de la résistance anticolonialiste et anti-impérialiste. Les galons du généralissime ministre de la Défense du Vietnam (pendant trente ans, jusqu’à sa mise à l’écart dans les années 1980), il ne les a pas dénichés en quincaillerie. « Volcan sous la neige », comme le surnommaient ses camarades du Parti communiste ou « Trotski de la révolution vietnamienne », Giap allait « toujours plus vite, toujours (en) plus audacieux », sa devise, son mot d’ordre ; en prophète de « la guerre totale » contre les oppresseurs en toutes puissances de feu.

« Nous ne nous laisserons arrêter, disait-il, par aucune considération de personnes, par aucune destruction. » Ni l’armada américaine – un demi-million de soldats – et des millions de litres d’agent orange, de bombes au napalm déversés sur le Vietnam, ni les massacres et les cruautés du corps expéditionnaire français n’ont eu raison de la lutte du peuple vietnamien qu’incarnait jusqu’à friser le mythe le duo révolutionnaire Ho Chi Minh/Giap. « La guerre reste la guerre mais avec les Américains, ce fut autre chose, un conflit néocolonial (…) et, après, une guerre vietnamisée. On a alors changé la couleur de peau des cadavres », disait-il dans un entretien au journal L’Humanité (avril 2004).

« Les Américains étaient naturellement sûrs de leur victoire et n’ont pas voulu entendre les conseils des Français qui avaient fait l’expérience (...) Ils (les Américains) n’avaient aucune connaissance de notre histoire, de notre culture, de nos coutumes, de la personnalité des Vietnamiens. A MacNamara, j’ai dit : ‘‘Vous avez engagé contre nous de formidables forces artilleries, aviation, gaz toxiques, mais vous ne compreniez pas notre peuple, épris d’indépendance et de liberté et qui veut être maître de son pays. » Né en 1911 dans un petit village de la province de Quang-Binh, dans le Nord-Annam, Vo Nguyen Giap milite dès l’âge de 14 ans contre l’occupation française.

Un siècle de colonisation.

Lui dont la mère tissait la toile et le père, lettré, cultivait un lopin de terre, goûtera vite aux affres de la répression – après l’interdiction du parti communiste indochinois (1939) – et dont son épouse ne sortira pas indemne. Elle décédera en prison suite à son arrestation. Réfugié en 1940 en Chine, il rencontre Ho Chi Minh dont il deviendra le compagnon de lutte. En 1944, il créera le premier embryon de la future Armée populaire vietnamienne.

La victoire de Dien Bien Phu (7 mai 1954) et la prise triomphale de Saigon (avril 1975) expédieront dans la postérité ce général « autodidacte » sorti d’aucune académie militaire, mais néanmoins fin stratège militaire, connu et reconnu, organisateur hors pair, poète, tribun… et parfait (autre) leader en « sandales de caoutchouc ». « C’est une vérité que l’histoire a de tout temps confirmée. Pendant 1000 ans de domination chinoise, nous n’avons pas été assimilés. Contre les B52, ce fut la victoire de l’intelligence vietnamienne sur la technologie et l’argent. »

Dien Bien Phu, le catalyseur

Dans sa lettre à Benjamin Stora (26 novembre 1995) qui se voulait un témoignage sur la solidarité et l’amitié franco-algéro-vietnamienne, Sadek Hadjeres évoquait aussi bien les luttes communes (notamment au sein du mouvement ouvrier en France et de l’Internationale communiste), l’enthousiasme qu’a soulevé la visite du général Giap à Alger (fin des années 1970 ), l’émotion suscitée par ses exposés à la télévision qui ont « passionné les Algériens qui, pendant des années, répétaient sa fameuse phrase : ‘‘Les colonialistes sont de mauvais élèves de l’histoire’’ ». « Je me souviens de l’impact extraordinaire qu’a eu la victoire de Dien Bien Phu en Algérie », écrit l’ancien dirigeant du Parti communiste algérien et ancien premier secrétaire du Parti de l’avant-garde socialiste [1].

« Je me trouvais le 8 mai 1954 à Sidi Bel Abbès, ville garnison de la Légion étrangère. Habituellement, ce jour anniversaire du 8 mai 1945, les Algériens étaient en deuil et les militaires français faisaient la fête. Mais cette fois-là, les Algériens étaient rayonnants, ils se souhaitaient bonne fête en souriant, les paysans algériens et les cheminots européens avec qui j’avais réunion étaient pleins de confiance dans la cause nationale, Novembre 54 n’était pas loin (…). » C’est à Ben Aknoun, à la demeure de Kateb Yacine qu’aimait, dit-on, se rendre Giap lors de ses virées algéroises. Il abhorrait les palais que lui proposaient les oligarques du parti unique, leur préférant la « maison de Dieu », nom donné par Giap à l’appartement de l’inimitable écrivain, dramaturge et poète algérien, tombé sous le charme des résistants et de la résistance vietnamienne et à qui il dédiera une de ses œuvres (L’homme aux sandales de caoutchouc).

Fier et altier révolutionnaire – qui ne connaissait de la France qu’un de ses aéroports parisiens foulé… lors d’une escale à Cuba – Giap, décoré par l’Algérie de l’Ordre de l’amitié en 2004 à l’occasion du 50e anniversaire de la victoire de Dien Bien Phu, se définissait lui-même comme un « général de la paix ». « Brezjinski (conseiller à la Sécurité nationale du président des Etats-Unis Jimmy Carter) s’est interrogé sur le pourquoi de notre victoire. Nous nous sommes rencontrés à Alger, peu après la fin de la guerre. ‘‘Quelle est votre stratégie ?’’ interrogea-t-il. Ma réponse fut simple : ‘‘Ma stratégie est celle de la paix. Je suis un général de la paix, non de la guerre ».

Mohand Aziri
le 06.10.13

Cinquante ans après Diên Biên Phu, le 5 mai 2004, année du centenaire de sa fondation, l’Humanité publiait un entretien exclusif du général Vo Nguyên Giap, entouré de sa famille, chez lui à Hanoi, avec notre envoyée spéciale Dominique Bari. Entretien republié ce 7 octobre 2013

Le 7 mai, à une trentaine de mètres en retrait de la rue Hoang Diêu, se situe la villa où vit le général Vo Nguyên Giap, entouré de sa femme Dang Bich Ha et de ses enfants et petits-enfants. Un petit-fils passera la tête au cours de l’entretien que nous accorde le général, en uniforme, dans le salon du bâtiment «  officiel  » où s’entrecroisent les drapeaux. Sur les murs, des photos de Hô Chi Minh et des messages de salutations brodés venus de tout le pays. Nous irons ensuite dans la villa familiale où nous attend Dang Bich Ha. L’interview se déroule en français, langue que maîtrise parfaitement le général Giap. Ce sera aussi l’occasion d’exprimer son regret de ne jamais avoir pu aller en France  : «  Je ne connais de Paris que son aéroport, où j’ai fait escale quelques heures pour me rendre à Cuba.  »

Il y a cinquante ans, la chute de Diên Biên Phu ouvrait la voie aux accords de Genève et à la fin de la première guerre du Vietnam. La France aurait-elle pu éviter ce conflit  ?

Le général Giap.
Nous avions proclamé notre indépendance le 2 septembre 1945, mais les colonialistes français ont voulu réimposer, par la force, leur domination sur la péninsule indochinoise. De Gaulle avait déclaré à Brazzaville qu’il fallait restaurer le régime colonial par les forces armées. Nous avons toujours cherché à négocier pour éviter que le sang ne coule. Leclerc, envoyé à la tête de l’armée française pour reconquérir l’ancienne colonie, s’est vite rendu compte qu’il ne s’agissait pas d’une promenade militaire, mais, a-t-il dit, du combat de tout un peuple. Leclerc était un réaliste. Avec Sainteny, il faisait partie de ces gens raisonnables qui étaient en faveur de pourparlers, mais du côté du gouvernement français, on ne l’entendait pas ainsi. Nous avions conclu un accord en mars 1946 et fait une grande concession sur la Cochinchine, notre objectif final étant l’indépendance totale et l’unité du pays. À la mi-avril 1946, je participais à la conférence de Dalat. Les Français ne cachaient pas leur intention de rétablir leur domination en Indochine. Je leur ai dit alors clairement que l’ère des gouvernements généraux d’Indochine était close. J’ai quitté Dalat convaincu que la guerre était inévitable. Une fois déclenchée, il y a eu pourtant quelques chances de l’arrêter. Le président Hô a plus d’une fois appelé le gouvernement français à négocier. Pour montrer notre bonne volonté, Hô Chi Minh n’ajourna pas sa visite en France pour participer à la conférence de Fontainebleau. Pendant ce temps, la situation ne cessait de s’aggraver, au nord comme au sud. À la fin 
novembre 1946, les troupes françaises attaquèrent et occupèrent le port de Haiphong. Un mois plus tard, le général Morlière, commandant des troupes françaises au nord de l’Indochine, lançait un ultimatum exigeant la présence française dans un certain nombre de positions, le droit de maintenir l’ordre dans la capitale, et le désarmement des milices d’autodéfense de Hanoi. Nous décidâmes de déclencher la résistance.

1946-1975, le Vietnam a connu trente années de guerre. Quelles ont été les différences entre les deux conflits  ?

Le général Giap.
La guerre reste la guerre, mais avec les Américains, ce fut autre chose, un conflit néocolonial avec d’abord une intervention de troupes américaines et, après, une guerre vietnamisée. On a alors changé la couleur de peau des cadavres. Les Américains étaient naturellement sûrs de leur victoire et n’ont pas voulu entendre les conseils des Français qui avaient fait l’expérience de se battre contre les Vietnamiens. Les États-Unis avaient effectivement engagé des forces colossales et peu de gens, même parmi nos amis, croyaient en notre capacité de les vaincre. Mais les Américains n’avaient aucune connaissance de notre histoire, de notre culture, de nos coutumes, de la personnalité des Vietnamiens en général et de leurs dirigeants en particulier. À McNamara, ancien secrétaire à la Défense des États-Unis que j’ai rencontré en 1995, j’ai dit  : «  Vous avez engagé contre nous de formidables forces – artillerie, aviation, gaz toxiques –, mais vous ne compreniez pas notre peuple, épris d’indépendance et de liberté et qui veut être maître de son pays.  » C’est une vérité que l’histoire a de tout temps confirmée. Pendant mille ans de domination chinoise, (jusqu’au Xe siècle – NDLR), nous n’avons pas été assimilés. Contre les B52, ce fut la victoire de l’intelligence vietnamienne sur la technologie et l’argent. Le facteur humain a été décisif. C’est pourquoi, lorsqu’un conseiller américain du service de renseignements m’a demandé qui était le plus grand général sous mes ordres, je lui ai répondu qu’il s’agissait du peuple vietnamien. «  J’ai apporté une contribution bien modeste, lui ai-je dit. C’est le peuple qui s’est battu.  » Brezjinski s’est aussi interrogé sur le pourquoi de notre victoire. Nous nous sommes rencontrés à Alger, peu après la fin de la guerre. «  Quelle est votre stratégie  ?  » interrogea-t-il. Ma réponse fut simple  : «  Ma stratégie est celle de la paix. Je suis un général de la paix, non de la guerre.  » J’ai aussi eu l’occasion de recevoir des anciens combattants américains venus visiter le Vietnam. Ils me posaient la question  : «  Nous ne comprenons pas pourquoi vous nous accueillez aujourd’hui si bien  ?  » Je leur répondais  : «  Avant, vous veniez avec des armes en ennemis et vous étiez reçus comme tels, vous venez maintenant en touristes et nous vous accueillons avec la tradition hospitalière traditionnelle des Vietnamiens.  »

Vous avez fait allusion au fait que peu de personnes croyaient en votre victoire finale sur les Américains…

Le général Giap.
C’est vrai. C’est le passé, maintenant on peut le dire. Nos camarades des pays socialistes ne croyaient pas en notre victoire. J’ai pu constater, lorsque je voyageais dans ces pays, qu’il y avait beaucoup de solidarité mais peu d’espoir de nous voir vaincre. À Pékin, où je participais à une délégation conduite par le président Hô, Deng Xiaoping, pour lequel j’avais beaucoup d’amitié et de respect, m’a tapé sur l’épaule en me disant  : «  Camarade général, occupez-vous du Nord, renforcez le Nord. Pour reconquérir le Sud, il vous faudra mille ans.  » Une autre fois, j’étais à Moscou pour demander une aide renforcée et j’ai eu une réunion avec l’ensemble du bureau politique. Kossyguine m’a alors interpellé  : «  Camarade Giap, vous me parlez de vaincre les Américains. Je me permets de vous demander combien d’escadrilles d’avions à réaction avez-vous et combien, eux, en ont-ils  ?  » «  Malgré le grand décalage des forces militaires, ai-je répondu, je peux vous dire que si nous nous battons à la russe, nous ne pouvons pas tenir deux heures. Mais nous nous battons à la vietnamienne, et nous vaincrons.  »

Licencié en droit et en économie politique, professeur d’histoire, 
vous n’aviez pas de formation militaire. Or, vous avez activement participé à l’élaboration de 
cette conception vietnamienne 
de la guerre. Comment êtes-vous devenu général  ?

Le général Giap
. Il aurait fallu poser la question au président Hô Chi Minh. C’est lui qui a choisi pour moi cette carrière militaire. Il m’a chargé de constituer l’embryon d’une force armée. Lorsque nous étions impatients de déclencher la lutte contre l’occupation française, Hô nous disait que l’heure du soulèvement n’était pas encore venue. Pour Hô, une armée révolutionnaire capable de vaincre était une armée du peuple. «  Nous devons d’abord gagner le peuple à la révolution, s’appuyer sur lui, disait-il. Si nous avons le peuple, on aura tout.  » C’est le peuple qui fait la victoire et, aujourd’hui encore, si le Parti communiste veut se consolider et se développer, il doit s’appuyer sur lui.

Le Vietnam est aujourd’hui en paix, les conflits se sont déplacés sur d’autres continents. Que vous inspire la situation internationale  ?

Le général Giap.
Nous sommes en présence d’une situation mondiale difficile, dont on ne sait quelle sera l’évolution. On parle de guerres préventives, de bonheur des peuples imposé par les armes ou par la loi du marché. Il s’agit surtout, pour certains gouvernements, d’imposer leur hégémonie. C’est plutôt la loi de la jungle. On ne peut prédire ce qu’il peut se passer, mais je peux dire que le troisième millénaire doit être celui de la paix. C’est ce qui est le plus important. Nous avons vu de grandes manifestations pour le proclamer. La jeunesse doit savoir apprécier ce qu’est la paix. Le tout est de vivre et de vivre comme des hommes. Faire en sorte que toutes les nations aient leur souveraineté, que chaque homme ait le droit de vivre dignement.

L’Humanité fête son centenaire. Entre notre journal et le Vietnam, il y a une longue histoire de solidarité et de lutte commune pour la paix…

Le général Giap.
Nous avons beaucoup de souvenirs en commun avec l’Humanité et avec le PCF. Pendant les guerres française et américaine, nous avons travaillé régulièrement avec les envoyés spéciaux et les correspondants du journal. Nos relations sont un exemple de solidarité et d’internationalisme. J’adresse à tous nos camarades et à l’Humanité mes salutations et mon optimisme pour un monde qui, à l’heure de la révolution scientifique et technique, doit permettre à chaque homme de ne plus souffrir de la faim et de la maladie.

Entretien réalisé par Dominique Bari L’Huma 7 10 2013


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