Pacifisme et Internationalisme : l’exemple de la Confédération Générale du Travail Part.4 et fin

lundi 30 décembre 2013
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Rouge Midi reprend un article paru sur le blog Pensée Libre, ceci est la quatrième et dernière partie. Vous pouvez lire la partie 1 ici, la partie 2 là et la partie 3. Cet article est tiré de l’intervention de Jean-Pierre Page [1]

IV - Nos responsabilités syndicales

En conclusion, tous ces sujets renvoient à une réflexion essentielle pour le mouvement syndical en général et la CGT en particulier : à savoir comment agir efficacement pour la paix et la solidarité internationale !

Le cas de la Syrie est de ce point de vue exemplaire pour ceux qui considèrent avec une fausse naïveté que c’est Bachar el Assad le responsable de cette situation ! Quand en fait le problème n’est pas d’être pour ou contre Bachar El Assad mais de comprendre et donc expliquer les tenants et les aboutissants, en contribuant à élever la conscience des travailleurs quant aux enjeux véritables. C’est là une responsabilité essentielle du Mouvement syndical. Reste à le faire sans exclusive ni a priori, en toute indépendance ! [2]Il faut avoir pour cela les yeux grands ouverts, être lucides ! Les « djihadistes », comme hier les mafieux albanais qui ont fait main basse sur le Kosovo, ne sont pas de gentils rebelles. Ensuite, on ne saurait se taire sur le fait que les USA, la France et la Grande Bretagne, qui ne sont pas des États philanthropiques, ont une ambition dans cette région dont dépend le renforcement d’Israël comme puissance régionale, au détriment des droits des peuples arabes et en particulier du peuple palestinien ! L’objectif est de redessiner la carte du Proche Orient pour le compte des multinationales, des institutions financières ou des monarchies réactionnaires du Golfe arabo-persique. Enfin, il est aussi de contenir la Chine, la Russie et l’Iran qui constituent des préoccupations constantes pour Washington. [3]

Par conséquent, le mouvement syndical a la responsabilité d’expliquer pour mieux mobiliser le monde du travail en faveur de la paix et de la solidarité internationale en travaillant sur le contenu de ses arguments. Le fait-il ? Poser la question c’est y répondre !Car, quand je lis de la part de Bernadette Segol, Secrétaire générale de la CES « qu’a priori la CES n’est pas contre les interventions militaires si elles peuvent permettre le règlement d’un conflit » [4]. Outre le fait qu’on n’a jamais vu un pays du Sud agresser et bombarder un pays du Nord, il faut rappeler que depuis la Deuxième Guerre mondiale et jusqu’en 2003 les USA ont bombardé 23 pays, certains plusieurs fois, comme la Chine (4 fois), l’Irak, la Corée mais encore le Panama, Grenade, Cuba, l’Indonésie, la Libye, le Congo, l’Afghanistan, le Vietnam, le Laos, le Cambodge, le Guatemala, le Pérou, le Salvador, le Nicaragua, le Soudan, la Yougoslavie et qu’ils aimeraient le faire en Syrie ! Dans combien de pays cela a contribué à régler des conflits [5] : Aucun ! Cette position scandaleuse, non sans connotation raciste, laisse entendre que les pays du Tiers monde étant incapable de se diriger eux mêmes et de protéger leurs citoyens, il serait légitime de s’ingérer dans leurs propres affaires. C’est à peine plus sophistiqué mais beaucoup plus hypocrite que ce qu’on laissait entendre à l’époque de la guerre du Rif ! Une question alors se pose quant à cette position des dirigeants de la CES et de la CSI, est-elle également celle de la CGT qui est affiliée à ces deux organisations ? Si ce n’est pas le cas, quelle interpellation publique de Bernadette Segol envisage- t-elle ? C’est là aussi un problème d’indépendance syndicale. Ne rien dire, ne rien faire serait lourd de signification et renverrait à des débats et des comportements passés. Mais il est vrai comme on le dit que « L’histoire ne se répète pas, elle bégaie ». [6]

Voila pourquoi si tout est discutable et est donc négociable, une chose ne l’est pas, ce sont les principes, on ne négocie jamais ses principes, au risque de voir son identité s’affadir. Cela n’est pas contradictoire avec le besoin de changer, d’évoluer, de tenir compte de ce qui change autour de nous, et de ce que l’on contribue à faire changer ! Dans une situation radicalement nouvelle tout montre que le mouvement syndical est confronté à des responsabilités internationales inédites, et à des enjeux tout à fait considérables. Ces derniers sont en relation avec le devenir même de l’humanité. Dans la mesure où le syndicalisme comme c’est le cas, n’est pas en capacité, de monter au niveau requis sa riposte, son action, ses propositions, toute idée de perspective, d’alternative est handicapé, a fortiori parce qu’il s’agit du rôle et de la place des travailleurs dans un monde sans guerre. En fait, s’il en est ainsi c’est parce que le syndicalisme mais aussi les partis politiques issus du mouvement ouvrier sont confrontés à une crise profonde, d’efficacité, de crédibilité, de représentation par rapport au monde du travail en général et tout particulièrement des jeunes.

Nous vivons une situation par certains cotés, paradoxale : le syndicalisme international est en crise, et dans le même temps, jamais l’exigence de solidarité internationale, d’internationalisme, de paix n’a été si forte ! Cette situation contradictoire tient beaucoup au fait que les syndicats des pays riches qui ont dirigé et dirigent encore le mouvement syndical international sont, pour paraphraser Enrico Berlinguer, arrivés à un point d’épuisement de leur démarche et de leur vision du syndicalisme. Ce syndicalisme là est comme nous pouvons le constater et sans aucune exception quasiment inaudible, assez déliquescent, marginalisant de ce fait les travailleurs et leurs intérêts.A contrario, on assiste depuis plusieurs années, en particulier en Amérique latine et en Asie, à des renouvellements et des résultats importants. [7]Le mouvement syndical y est au premier rang du combat pour l’indépendance et la souveraineté nationale ! Il l’est également pour un contrôle populaire à travers de véritables pouvoirs de décisions, et non comme au sein de l’Union européenne, à travers des droits de contrôle institutionnel qui sont en fait des hochets que l’on accorde aux travailleurs et à leurs syndicats.

Si certains, notamment dans le mouvement syndical européen, continuent avec arrogance à se considérer comme un modèle, ils devraient réfléchir avec humilité à leur bilan, et tirer les conséquences de leurs actes. [8] S’agit-il d’humaniser la mondialisation, de la réguler dans le cadre de ce que les employeurs décident ? Ou, au contraire, s’agit-il de contester les choix du Capital, de mettre en question la propriété et les pouvoirs de décision, du lieu de travail jusqu’au niveau de l’État ? Dans son combat pour la paix, la solidarité et la justice sociale il ne saurait y avoir de perspective pour le syndicalisme, a fortiori pour le syndicalisme de classe, sans s’en tenir à des règles et des principes, à des « fondamentaux » comme on dit !

Sans en toute circonstance une attitude résolue face au capital et aux projets impérialistes, sans une attitude fondée sur l’action coordonnée, articulée en permanence au plan professionnel et interprofessionnel, depuis l’entreprise jusqu’au niveau national et international. Aucune forme d’action ne saurait être privilégiée au détriment d’une autre. La négociation ne peut être que le résultat de l’action ! On ne saurait dissocier les objectifs les uns des autres quand c’est toute la politique du capital qu’il faut affronter ! Nous n’existons pas « pour aider un gouvernement de gauche à faire ou à revenir à une politique de gauche », mais pour contribuer aux luttes des travailleurs ! Comment espérer influer, faire régresser les conflits et les tensions dans le monde, comment espérer voir les choses bouger dans les pays du Sud si nous n’agissons pas nous mêmes ici. La meilleure solidarité internationale est celle qui repose d’abord sur l’action dans son propre pays ! En fait, nous sommes entrés dans une période de clarification, une période nouvelle où il faut choisir, où, finalement, tout le monde est au pied du mur. Il fut une époque où le syndicalisme pouvait justifier sa légitimité en négociant "le grain à moudre". Cette période est révolue, le Capital a, comme le disait Marx, tout noyé « dans les eaux glacées du calcul égoïste ». Alors de deux choses l’une, ou l’on admet que le capitalisme est un horizon indépassable, et il faut le dire, ou sinon, il faut savoir en tirer les conséquences pour confronter la logique et les choix de ce système inhumain.

La CGT a elle aussi à répondre à cette interpellation ! Parce qu’au vue de certaines positions, cela n’a rien d’évident. En effet, au plan international l’affiliation de la CGT à la CES puis à la CSI n’a-t-elle pas contribué à son effacement et à déléguer ses responsabilités à un syndicalisme dont les orientations sont étrangères aux idées et valeurs que l’on trouve dans l’histoire de la CGT ? Cela ne se vérifie-t-il pas à travers le champ de ses relations syndicales internationales, sans doute parce que le contenu de certaines déclarations de la CGT ne sont pas sans soulever de légitimes interrogations ! [9] Ainsi la déclaration du 5 décembre 2012 avec la FSU et Solidaires tout en ignorant l’ingérence de la France, de la Grande Bretagne et des USA comme des monarchies réactionnaires arabes, des « djihadistes » ou encore de l’OTAN en arrive à préconiser une intervention militaire au nom de l’ingérence humanitaire !

On voit ainsi à quoi aboutit le renoncement à des principes et à une histoire, sinon à se ranger du côté de l’idéologie dominante, et l’idéologie dominante comme disait Marx, "c’est l’idéologie de la classe dominante". Cela contribue à cette démobilisation et à l’attentisme au détriment de la solidarité internationale ! Ainsi par exemple, pendant près d’un demi siècle, la CGT a entretenu des relations étroites avec les syndicats de cette région du monde : Syriens, Libanais, Palestiniens. Qu’en est il aujourd’hui, et quelles initiatives est elle prête à prendre ? [10] En toute indépendance, il s’agit pour la CGT avec d’autres syndicats en Europe et dans le monde de construire et multiplier les réseaux, les contre-pouvoirs face aux institutions supranationales, aux institutions financières, aux puissances hégémoniques qui s’arrogent le droit de décider pour le monde y compris par la force [11]. Il s’agit de se donner les moyens d’un vaste débat tout autant sur la stratégie que sur les contours qui devraient être ceux d’une société capable de mettre l’ensemble des ressources productives du monde au service des besoins légitimes et des aspirations des travailleurs, et donc des habitants de la planète, à la paix à la solidarité et la coopération.

Ce qui est décisif et radical dans cette situation, c’est que l’internationalisme doit se concrétiser en termes d’engagements concrets, de comportements conséquents et, déjà, à partir des réalités nationales auxquelles nous sommes confrontés. Pour le dire clairement, il s’agit de se doter d’un programme et d’une pratique sociale effectivement internationaliste, de telle façon à affaiblir les positions du capital dans son propre pays pour prétendre avancer vers des succès globaux et continentaux. Cela suppose de la lucidité, le refus de la facilité et du superficiel. Nul ne saurait échapper à tels exigences !Dans cet esprit, la lutte pour la paix et donc la solidarité internationale devrait pour la CGT contribuer à la mise en mouvement des travailleurs et des peuples à la réalisation de leurs objectifs propres. Ce qui renvoie aux orientations, aux priorités, aux méthodes, aux moyens et aux formes d’organisations dont la CGT dispose, si l’on veut prétendre peser sur la politique mise en œuvre tant par les entreprises, les institutions que les gouvernements. La CGT est elle aujourd’hui capable de s’engager dans cette voie ?Jaurès disait : « Un peu d’internationalisme éloigne de la patrie, beaucoup y ramène. » Il rappelait également que la nation est « le seul bien des pauvres ». La défense du cadre national reste plus que jamais une idée fondamentalement progressiste. Elle renvoie à la nécessité que le peuple décide de son avenir. C’est le combat qui a marqué la CGT, tout au long de son histoire, c’est par conséquent une responsabilité pour qu’il continue à en être ainsi !

Transmis par Vincentd

Source


[1« Les rendez vous de l’Histoire », Blois, 11 octobre 2013, « La CGT et la guerre ! Et le pacifisme alors ! », Syndicalisme, pacifisme, internationalisme »*, Organisé par l’Institut d’Histoire Sociale CGT de la Région Centre et le Comité Régional CGT, Exposé de Jean-Pierre Page, Ancien responsable des Relations Internationales de la CGT et ancien membre de la commission exécutive confédérale de la CGT

[2C’est cette démarche Indépendante qui a permis à la CGT dans les années 1990 d’élargir sensiblement le champ de ses relations syndicales, y compris et tout particulièrement aux USA avec ceux qui militaient contre la guerre en Irak. Au 45-ème congres de la CGT en 1995, la CGT fut capable de recevoir 110 délégations étrangères, et en plein conflit en Yougoslavie, la CGT était ainsi capable de réunir ensemble tous les syndicats de Yougoslavie, sans exception, les Kosovars comme les Serbes, les Monténégrins comme les Croates ou les Bosniaques, ou les Macédoniens.

[3Zbigniew Brzezinski avait déclaré il y a des années « qu’il fallait toujours craindre la Russie même une Russie capitaliste ». Ce n’était pas obsessionnel chez cet ancien Secrétaire d’Etat US, toujours conseiller d’Obama après l’avoir été de tous les présidents américains depuis Carter, in« Le grand échiquier , l’Amérique et le reste du Monde »Pluriel, mars 2011.

[4Interview de Bernadette Ségol à l’Humanité Dimanche, 12 au 18 septembre 2013.

[5voir « Rogue State ( État voyou ) », un livre de William Blum, 2005 ; ou encore « La loi du plus fort, mise au pas des États voyous » de Noam Chomski, 2002.

[6Phrase attribuée à Karl Marx.

[7La dernière grève générale en Inde a mobilisé près de 60 millions de travailleurs. En Amérique Latine, le mouvement syndical occupe une place originale dans ce vaste mouvement populaire qui a permis non seulement des changements politiques, mais à travers ces derniers, la récupération et le contrôle des richesses nationales au service de la justice sociale !

[8Depuis 25 ans, ils ne peuvent se prévaloir d’aucun résultat, et ils ont perdu des millions d’adhérents, comme c’est le cas en Allemagne, en Grande-Bretagne, ne parlons pas des États-Unis, causant de ce fait un formidable préjudice à ceux qu’ils sont censés représenter ! Voir l’intéressante étude de « Faits et documents » : « le SPD et les syndicats allemands », la mutation d’un partenariat privilégié’ Wolfgang Schroeder, octobre 2008.

[9Le 5 décembre 2012 les organisations syndicales françaises CGT, FSU et Solidaires “condamnent avec force la guerre menée par le régime Assad contre le peuple syrien. Elles dénoncent ce régime sanguinaire qui a causé depuis vingt et un mois plus de 40 000 morts, contraint plus de 440 000 Syriens à se réfugier dans les pays limitrophes et qui a enfoncé le pays dans une logique de guerre. Elles appellent la communauté internationale à redoubler d’efforts et de détermination pour que soient enfin respectés les droits humains et que cesse cette barbarie. Face à cette tragédie, les Syriens ont besoin d’une aide humanitaire internationale. Les trois organisations françaises demandent aux gouvernements et aux instances internationales de mettre en œuvre des plans d’actions afin d’aider les populations de façon directe, sans intervention militaire étrangère et hors de tout contrôle de l’actuel régime syrien et de ses alliés. Les syndicats français réaffirment leur solidarité avec le peuple syrien qui aspire à un régime démocratique, au respect des droits et des libertés publiques. Ils saluent son courage et demandent que les responsables de crime contre l’humanité commis en Syrie répondent de leurs actes devant la justice internationale. Ils se déclarent déterminés à agir pour une meilleure information sur la situation en Syrie et solidaires des Syriens en lutte contre la dictature et pour la démocratie.Ils s’engagent enfin à soutenir les mouvements syndicaux indépendants qui émergent en Syrie”.

[10En 1995, une délégation de la CGT conduite par son Secrétaire général Louis Viannet se rendit au Proche-Orient : Liban, Israël et Gaza pour y rencontrer Yasser Arafat. A Beyrouth, elle rencontra l’ensemble des organisations syndicales, y compris les dirigeants de la branche syndicale du Hezbollah !

[11Ce fut d’ailleurs le choix de la CGT quant à son 45e Congrès, elle décida la non affiliation internationale, après avoir quitté la FSM, ce qui signifiait dans ses relations ne privilégier aucune organisation internationale ou nationale, mais travailler avec tous sans exclusive !



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