Elections municipales au Venezuela : symbole de la persistance du « chavisme » ?

samedi 28 décembre 2013
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LE POINT DE VUE DE CHRISTOPHE VENTURA, CHERCHEUR ASSOCIÉ À L’IRIS

Les résultats provisoires [1] annoncent une victoire significative du Parti socialiste uni du Venezuela (Psuv) au pouvoir, avec l’obtention de 196 municipalités contre 53 pour la coalition d’opposition. Le test est-il réussi pour le président Nicolas Maduro ?

C’est une réussite indéniable. D’ailleurs, pour s’en convaincre, il suffit de lire la presse, y compris celle qui, d’habitude, n’est pas tendre avec le président Nicolas Maduro et le processus bolivarien en général. Je pense à des médias comme El Pais en Espagne ou Le Monde en France qui prennent acte du fait que le « chavisme » existe, et qu’il constitue un mouvement durable, au-delà de la personnalité fondatrice d’Hugo Chavez. Cette élection est une victoire incontestable pour Nicolas Maduro et pour le chavisme, aussi bien du point de vue des villes gagnées par la majorité présidentielle qu’en nombre de voix. En effet, il y avait un doute quant à la capacité du chavisme à conserver une majorité dans le pays en termes de voix. Le résultat parle de lui-même. Sur 97 % des votes dépouillés, le chavisme a obtenu, en additionnant les scores du Psuv et de ses alliés, 49,2 % des suffrages, soit un total 5,1 millions de voix. Pour sa part, la Table de l’unité démocratique (MUD), principale coalition d’opposition de droite menée par Henrique Capriles, a obtenu 42,7 % des voix (4,4 millions) et gagné un certain nombre de villes dynamiques du pays. Et ce, dans le cadre d’une participation d’environ 59% du corps électoral. Cette victoire est aussi celle de Nicolas Maduro. Elle confirme sa propre légitimité. C’est certainement un moment fondateur qui lui permet de s’installer désormais comme leader.

Malgré cette quatrième défaite électorale consécutive, l’opposition de droite, menée par Henrique Capriles, a tout de même récolté plus de 40 % des suffrages au niveau national. La société vénézuélienne est-elle divisée ? Comment voyez-vous l’avenir du pays à court et moyen terme ?

Cette élection a donné à l’opposition vénézuélienne un résultat relativement habituel. En d’autres termes, celle-ci pèse, toutes tendances confondues, entre 40 % et 45 % de l’électorat en général. Indépendamment des problèmes du pays et des critiques qui sont faites sur le parti au pouvoir, l’opposition ne suscite pas l’adhésion au-delà de ce pourcentage. Cela laisse le pays dans une situation polarisée. En effet, il est clair qu’au Venezuela il existe des blocs constitués, chacun ayant un avis très tranché sur l’avenir du pays. Et aujourd’hui, après 15 ans de révolution bolivarienne, il y existe incontestablement une majorité de Vénézuéliens qui restent attachés à ce processus et aux acquis qu’il a apportés à la société vénézuélienne. Même l’opposition est obligée d’en prendre acte puisque, pour cette élection, ses dirigeants avaient décidé de demander à la population de voter pour la MUD en tant que telle, comme pour appuyer le caractère national de ce scrutin local. Tandis que du côté de la majorité présidentielle, les gens pouvaient voter pour différents partis alliés, l’addition des voix se faisant par la suite.
Concernant l’avenir du pays, s’il est difficile de le définir, une chose est sûre : le ciel politique se dégage pour Nicolas Maduro. En effet, le Venezuela va connaître une pause électorale puisqu’il n’y aura plus d’élections avant les législatives de 2015. Cela veut dire que le gouvernement dispose de deux années pour travailler - sauf événement imprévisible ou déstabilisation -. Il va devoir relever les nombreux défis auxquels il est confronté.

Parmi ceux-ci, on trouve les questions préoccupantes de l’inflation, de la grande dépendance de l’économie au pétrole et aux importations, du double taux de la monnaie, de la sécurité publique, de la corruption. L’avenir représente d’abord beaucoup de travail pour Nicolas Maduro. Surtout dans un contexte où le Venezuela, comme tous les autres pays latino-américains, est confronté à une conjoncture économique internationale qui est moins favorable qu’elle ne l’a été pendant les années précédentes. La région est touchée par l’impact de la crise financière de 2008. Ses exportations baissent, ainsi que leur valeur, du fait du ralentissement de la croissance asiatique (chinoise notamment), de la récession européenne et de la stagnation de l’économie américaine. Des déficits commerciaux apparaissent dans plusieurs pays comme le Brésil, les monnaies se déprécient, les investisseurs internationaux amorcent un mouvement de reflux de leurs capitaux vers l’Europe et les Etats-Unis, l’inflation monte sensiblement.

Justement, le gouvernement vénézuélien doit également faire face à des défis économiques importants. Le pouvoir en place est-il en mesure de relancer une économie en crise ?

De toute manière, il n’a pas le choix : c’est le mandat qui lui a été confié par les Vénézuéliens. Il est certain que les dernières mesures prises par le gouvernement, assez radicales et volontaristes comme le contrôle des prix dans les magasins, ont porté leurs fruits dans les résultats des élections municipales. Manifestement, les gens ont considéré que c’était l’amorce d’une réelle prise en charge de la résolution des problèmes. De toute façon, le gouvernement vénézuélien est le premier à savoir que s’il ne va pas dans ce sens, son futur sera incertain.

Nicolas Maduro souhaite diversifier le modèle économique du pays. Il appelle de ses vœux une « révolution productive ». Il faudra observer les évolutions dans les semaines et mois à venir.

Malgré la disparition d’Hugo Chavez, il semble que la révolution bolivarienne suit son chemin. Quelles sont les perspectives pour ce processus ?

C’est indéniablement un des bilans que l’on peut tirer de cette élection : ce qui se passe au Venezuela ressemble, d’une certaine manière, à ce que l’on a pu connaître dans d’autres pays comme l’Argentine avec le péronisme. Il existe aujourd’hui une hégémonie politique et culturelle du chavisme qui perdure au-delà de son fondateur. En réalité, le chavisme semble s’être constitué, in fine, comme le cadre de référence de la vie politique nationale. Pour le moment, force est de constater que tous les partis, y compris ceux de l’opposition, doivent inscrire leur action dans le périmètre des sujets imposés par lui. Dans le cas présent, il s’agit des politiques sociales, du thème de l’éducation, de la santé, etc.

Quant à l’avenir de ce processus, il dépendra en premier lieu de l’action de Nicolas Maduro et du gouvernement pour dépasser les difficultés actuelles et maintenir les promesses du chavisme, notamment auprès des secteurs populaires, des couches les plus modestes et d’une partie des classes moyennes.

Cet avenir dépendra aussi en partie de celui de l’intégration régionale sud et latino-américaines, de la solidarité politique et économique qui s’approfondira ou pas dans les espaces comme le Mercosur ou l’Union des nations sud-américaines (Unasur). Il existe aujourd’hui de nombreux paramètres qui sont autant de défis, dans ce pays comme dans tous les autres Etats de la région. Mais le processus bolivarien continue à mobiliser sa population puisque, malgré les problèmes dont on a souvent parlé à juste titre, ce pays est encore cette année celui qui a obtenu, selon la Commission économique pour l’Amérique latine et la Caraïbe (Cepal), le plus de résultats en matière de lutte contre la pauvreté en Amérique latine. Les conditions d’existence matérielle, l’éducation et la santé des gens s’améliorent d’année en année au Venezuela et les inégalités continuent d’y baisser. Cela explique aussi le soubassement solide de cette révolution bolivarienne qui, pour l’instant en tout cas, est encore bien vivante, quinze après son lancement et au-delà, effectivement, de la personnalité d’Hugo Chavez.

CHRISTOPHE VENTURA le 11/12/ 2013

Transmis par Linsay



[1article paru le 11 décembre dernier. Les résultats définitifs n’ont pas modifié la pertinence de l’analyse



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